Chapitre XXXXVII : La fureur des Léviathans, Partie 1

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 Après plusieurs centaines de cycles passés sur cette île, je n'avais jamais vécu pareil ouragan. Les ondées tropicales n'étaient pas inhabituelles, certes, mais depuis quelques jours, la mer se déchaînait sans cesse, le vent hurlait et abattait les arbres exotiques qui jonchaient normalement ce bout de terre. J'en connaissais les responsables, mais je ne comprenais pas ce qui leur prenait de vouloir ainsi déclencher un tel déferlement d'éléments.

 Puis, si il n'y avait que l'océan et le vent qui s'étaient réveillés, mais en plus de ces deux fléaux, la tourbière dans laquelle je pataugeais parfois, s'étendait et menaçait désormais les mithreïlidiens qui vivaient ici, comme si quelqu'un cherchait à ensevelir la Vie, la sceller sous un tourment d'éléments, la noyer sous la boue et les cadavres.

 J'ai bien senti la perturbation qui secouait Mithreïlid, je la ressentais depuis de longs cycles, mais pourquoi est-ce que tout se précipitait subitement ? Je croyais que cela ne devait plus jamais se produire, je croyais le Mal endigué une bonne fois pour toute. Les humains ne cesseront-ils jamais de vouloir détruire et pervertir leur continent ? Que peut-il se passer dans l'âme d'un être vivant pour le pousser à vouloir faire basculer la balance dont il dépend, cela reviendrait à ce qu'un brasier veuille s'éteindre alors que sa seule raison d'être est de brûler. Je ne les comprendrai jamais.

 Pourtant, je me souviens en avoir compris une, je l'adulais pour tout ce qu'elle était, peut-être ai-je même ressenti un sentiment unique que les Hommes se réservent à son égard. Je me rappelle de la noblesse de sa volonté, de sa vigueur et de son dévouement à vouloir sauver toute son espèce, même si les représentants de cette race imparfaite cherchaient sans arrêt à nuire à leurs semblables.

 J'ai aussi conservé au sein de mon âme ses derniers mots :


 « Je suis obligée de partir et de te laisser en arrière, mon ami... Je ne sais pas si je reviendrai, je ne sais pas si je survivrai. Mais je dois le faire, je dois lutter et défendre mon Monde, si je ne le fais pas, tout ce qui nous entoure, toute la Vie qui circule en toute chose va disparaître, remplacée par une corruption malsaine. Je regrette de t'abandonner, mais je refuse que tu meurs avec moi, tu es bien trop exceptionnel pour qu'un pareil sort te soit destiné.

 Tu es Unique, alors que des êtres humains comme moi il y en a plein. Je suis désolée, nous avons accompli tant de choses ensemble, tu dois te dire que c'est injuste que je parte. Mais, je n'ai plus le choix, je ne peux pas laisser Mithreïlid sombrer, même si cela m'en coûte la vie. Je te demande de bien vouloir me pardonner et de vivre, de survivre pour moi. »



 À ces mots, elle était partie, armée de sa détermination et de son amour, combattre le Mal à son origine, et même si cela a fonctionné, elle y a perdu la vie. Elle le savait, elle savait que son existence était scellée et allait se terminer quelques jours après, pourtant elle a quand même affronté la Mort en un-contre-un. Mithreïlid a survécu grâce au sacrifice d'un seul de ses habitants.

 J'aurais dû lui dire, j'aurais dû moi aussi lui répéter les paroles qu'elle m'avait adressées, lui rappeler qu'elle était encore plus exceptionnelle que moi, lui expliquer par milles arguments qu'elle était Unique. Cependant, j'étais paralysé, stupéfié qu'elle me fasse passer avant sa propre vie, alors que nous étions destinés à tout faire à deux. Nous étions liés par notre rôle commun, par nos responsabilités envers cette Terre. Je me souviens du vide que j'ai ressenti lorsque son énergie a quitté Mithreïlid, j'ai senti le Monde affligé de sa perte, tout comme je l'étais.


 C'était pourtant ce même Monde et ceux qui le peuplaient, qui l'avaient condamnée à la mort, comme si, aussi nombreux qu'ils puissent être, pas un seul n'avait eu assez de courage pour l'épauler et la suivre. Nous étions faits pour être des égaux, pourtant, sa supériorité était sans appel... Son aura, sa personnalité, ses pensées, sa volonté, sa beauté, son pouvoir et sa force, tout était divin chez Elle.

 Si je pouvais le distinguer, alors n'importe lequel de ses semblables aurait dû en être capable aussi, et de ce fait, n'importe lequel des mithreïlidiens aurait dû l'accompagner. A la place de ça, sa race l'a laissée tomber, l'a abandonnée, on a oublié qui elle était, on a bafoué ce qu'elle avait bâti. C'est ce qui m'a amené à fuir ce peuple indigne et ingrat du sacrifice et de l'abnégation dont elle avait fait preuve, c'est pour ça que depuis tout ce temps, je me réfugie sur cette île, loin de ceux qui ont sali le nom et l'existence de ma Déesse.


 Je pensais que cette distance des humains, ferait de ce lieu un havre de paix et d'équilibre, sauf que depuis quelques temps, ceux qui régissent Mithreïlid s'agitent et se déchaînent. Eux aussi ont-ils oublié ce qu'il s'est passé il y a de ça quatre cent cycles ? Ont-ils condamné à leur tour le sacrifice de celle qui avait ramené la lumière à notre Continent, au point de recréer les mêmes tourments qu'à l'époque ? Je devais en avoir le cœur net, aujourd'hui, j'allais appeler mes frères, et leur demander ce qu'il se passait pour qu'ils soient si furieux.


 Je galopais dans la jungle, sautant au-dessus des arbres soufflés et abattus par le vent, qui désormais nourrissaient le limon pourrissant et corrosif dont était constituée cette tourbière grandissante. Le soleil ardent qui faisait fleurir les plantes géantes de l'île et qui faisait scintiller le sable avait disparu, voilé par des nappes obscures de nuages gigantesques et orageux. Les animaux avaient fui, et ceux qui avaient été pris au piège étaient maintenant différents, enragés et habités par une haine farouche, je sentais le Mal s'insinuer en chaque chose. Mes frères aussi avaient dû être touchés par ce vice insidieux. Il me fallait faire vite, sinon le sacrifice de celle que j'aimais allait être vain.

 J'atteignais enfin une falaise surplombant l'océan fou de rage, je gravissais des rochers frappés par un vent tonitruant, battus par la colère d'une pluie diluvienne. J'étais au point de rendez- vous de deux grands esprits, de deux de mes semblables, de deux autres régisseurs de l'équilibre de Mithreïlid. Je m'approchais du bord du promontoire, je laissais les lames d'air siffler entre mes bois. Je regardais les vagues venir percuter violemment la roche érodée, j'admirais la foudre qui scindait l'horizon en tout point par d'immenses striures blanches et oranges, j'entendais le courroux de la mer et du ciel se mélanger face à moi. Qu'est-ce qu'il se passait pour qu'un tel désarroi puisse émaner de créatures aussi puissantes et sages que mes semblables ? Pourquoi laissaient-ils ainsi leurs pouvoirs éclater ?


Nous, les léviathans, ne sommes pas capable de parler, nous pouvons cependant communiquer par télépathie. Que cela soit entre nous, ou avec les humains, nous nous servons de cette méthode pour nous exprimer. J'allais tenter ma chance.



 « Frère de l'Océan, Frère des Tempêtes. Où êtes vous ? Mon premier appel fut sans réponse. Quelle folie vous anime pour que vous souhaitiez ainsi nuire au Monde des Vivants ? Je ne ressentais toujours pas la présence d'un de mes semblables. Il serait de bon ton de vous montrez, ce que vous êtes en train de faire est répréhensible au plus haut point. Suivant cette pensée, une lame de fond apparaissait au milieu des vagues déchaînées, tandis qu'un couloir d'éclairs sillonnait la nue, déchirant l'obscurité. Enfin émergeait de l'eau tumultueuse la corne pâle du maître des marées, tandis que les nageoires géantes du régisseur du ciel, fendaient l'épaisse couche nuageuse. Le Dragon de Mer et la Baleine Volante me faisaient face. Vous voilà. Je commençais à m'impatienter.

- Tu es bien hautain de nous convoquer de la sssorte. S'agitait le Serpent Draconique marin.

- Qui es-tu pour oser critiquer nos actes ? Toi qui n'est Maître d'aucun élément. Battait de la queue la Baleine, provoquant une bourrasque.

- N'oubliez pas que je suis votre égal, et que tout comme vous, ce Monde est aussi le mien. Son destin m'importe donc autant qu'il est censé vous incomber. C'est pour ça que je vous demande de répondre de la catastrophe que vous nourrissez actuellement.

- Les humains ne nous laisssent pas le choix. Vois et sssens la Mort qui ssse profile dans l'avenir proche de Mithreïlid, tu pourras peut-être comprendre pourquoi je veux balayer leur civilisation impure. Sifflait le Dragon de mer.

- Si nous n'agissons pas, le Mal s'installera sur le Continent comme il l'avait fait durant la Grande Nuit, nos âmes seront corrompues et nos pouvoirs détournés pour servir le dessein de la Mort.

- Avez-vous perdu la raison et la vue ? Pour ne pas vous rendre compte que vous êtes actuellement entrain de provoquer la mort imminente d'innocents que vous flagellez des tourments météorologiques dont vous avez été nommés responsables ? Regardez autour de vous, et constatez que vous êtes en train d'amener le monde à sa perte !

- Que t'arrive-t-il Cerf ? As-tu perdu un bois csse matin ?

- Te serais tu foulé une patte à force de gambader, le museau tendu vers le ciel ?

- Si il y a bien quelque chose qui me tracasse, c'est la stupidité dont vous faîtes actuellement preuve. Si vous pensez que je devrais me plier à votre turpitude et votre manque d'empathie envers les humains, vous vous méprenez.

- Parce que tu te penses meilleur lorsqu'il s'agit de comprendre les humains ? Toi qui a laissé ton Humaine partir seule au combat ?

- Toi qui l'a abandonnée. Qu'as tu à ajouter pour ta défenssse ?

- Je ne l'ai pas abandonnée, c'était sa volonté et sa décision, je me devais de respecter son choix. J'enrageais. Et vous, dont les sœurs sont mortes ou ont disparu il y a bien longtemps aussi, pensez-vous qu'il est de votre droit de laisser votre colère détruire ce monde que nous avons défendu à maintes reprises ? Je pense que vos Sœurs se retourneraient dans leurs tombes si elles voyaient le désastre que vous entretenez au moment-même où nous conversons. Je pense qu'elles auraient honte de vous ! Honte d'avoir pu avoir être liées à vous !

- Toi qui n'a pas de pouvoir, c'est facile de modérer tes actes, tu es un incapable, tout bonnement inapte à faire quoi que ce soit.

- Je rejoins l'avis de mon frère des nuages, tu peux critiquer nos actes, puisssque tu es impuisssant.

- Vos pensées ne me touchent pas, mon pouvoir est incommensurable face aux vôtres. Cependant, moi j'ai acquis la décence quant il s'agissait de son utilisation.

- Parce que faire éclore les bourgeons et faire faner les feuilles, tu trouves ça impressionnant comme pouvoir. Regarde l'ouragan que je réserve aux humains.

- Il est vrai que sssi je compare csse dont tu es capable, aux raz-de-marées que je peux déclencher, tu n'es rien. Cessse donc de nous importuner, et retourne brouter.

- Tu oublies qu'il est carnivore, une complète erreur de la Nature.

- C'est bien là où nous nous différencions, vous et moi. Si je laissais ma colère prendre le pas sur ma raison, vous seriez morts sans que j'ai à lever un sabot, cela reviendrait à amputer le monde de votre rôle et de votre présence, et je suis contre ça. C'est pour cela que je vous demande de retrouver vos esprits et de cesser immédiatement votre stupide projet.

- Tu nous menaces ? Mugissait la baleine.

- Je ne vous menace pas, je vous promets seulement, en utilisant votre argumentaire, si vous ne me laissez pas le choix, je vous réduirai à l'état de cadavre une bonne fois pour toute. »



 Mes mots n'avaient pas eu l'effet escompté, orgueilleux et aveuglés par leur rage, mes semblables combinèrent leurs pouvoirs pour générer une tornade gorgée d'eau qu'ils m'envoyèrent, me faisant voler en direction de la jungle. Ma projection était amortie par un amas d'arbres et de végétation que le vent de ces derniers jours avait entassé. J'étais étourdi, et constatais que l'utilisation de mon pouvoir pouvait me sauver, cependant, je me devais ne pas prendre une décision arbitraire. Je me relevais et alors que je chargeais vers la falaise bois tendus, la foudre me tombait droit dessus et me renvoyer plusieurs dizaines de mètres en arrière. Je n'étais pas rattrapé par des branchages cette fois-ci.

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