Chapitre XXXVI : La reconquête de Teysandrul, Partie 1

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 Je suis altruiste, j'aime donc par nature aider les autres, néanmoins, j'aime aussi avoir le temps de digérer ; or ce matin, tout juste le repas englouti, la clameur de cette imminente bataille avait dû réchauffer le sang d'Evialg et de Gnas au point de les motiver à courir, l'estomac plein, en direction du combat.

 Nous nous retrouvions donc à suivre la garde félicienne qui s'était métamorphosée, courant à une allure faramineuse, filant tête baissée à travers buissons et fougères ; bien entendu que mes deux guerrières de compagnie pouvaient la suivre, elles pouvaient bondir à plusieurs mètres en hauteur, alors leurs jambes les propulsaient bien assez vite pour maintenir le rythme.



 Moi je me maudissais une fois de plus mes guibolles de promeneur, qui étaient pratiques pour aller à la cueillette mais pas pour sprinter sur des kilomètres, encore moins quand il faut traverser une forêt. Si seulement mes ailes étaient plus grandes, j'aurais pu voler et ce problème de distance ne serait plus qu'un lointain souvenir, mais là, je perdais de vue peu à peu le groupe de coureurs, et je m'imaginais à nouveau m'égarer dans cette horrible sylve.

 Pas question, et pourtant j'avais beau dépasser mes limites et accélérer, c'était désormais mon souffle qui m'abandonnait, quelle poisse. J'allais me poser au pied d'un arbre pour reprendre une bouffée d'air, mais une main tendue m'apparaissait et derrière, je voyais le visage de Gnas, qui m'invitait à prendre place sur ses omoplates, tout en m'avisant de ne pas avoir de me mains baladeuses.



 Elle fut assez convaincante, je liai donc prudemment mes mains autour de son cou, rapidement, elle reprit sa course effrénée, cette dernière fusa pour récupérer le reste du peloton, je voletai accroché du mieux que je le pouvais, éraflé par toutes les branches et feuilles coupantes que nous croisâmes, je me retrouvai presque soufflé par sa vitesse, je me sentis alors commencer à lâcher prise, glissant à cause de la sueur dégagée par mes poignes entrelacées ; tant pis me dis-je.

 Je cerclai alors solidement la poitrine voluptueuse de Gnas, qui n'eut pas l'occasion de grogner sur le moment, sûrement trop occupée à foncer. J'essayai tant bien que mal de ne pas trop peloter ce qui se trouvait sous mes doigts, cependant les bondissements vifs de ma monture m'empêchaient d'être stable.



 J'allais déguster une fois que nous serions arrivés, mais je préférais encore un coup de crâne de Gna' plutôt que d'errer sans idée de ma direction. Heureusement, après plusieurs dizaines de minutes, nous atteignions enfin l'orée des bois, je descendais sans attendre du dos de Gnas, et comme par culpabilité, lui tendais mon visage pour qu'elle le martèle, mais elle n'en faisait rien.

 La félicienne avait repris son apparence humaine et gardait les bras baissés le long du corps ; mes trois comparses scrutaient muettes, droit devant elles, je tournais moi aussi mon regard dans cette direction, où plusieurs régiments armés et organisés en grands rectangles, frappaient leurs boucliers d'engouement. Cette armée comptait toute sorte d'âmes dans ses rangs : humains, géants, monstres, orcs. A vue d’œil, ils devaient être deux cents soldats, pour notre petit groupe de quatre personnes.



« Bon, voilà le plan... Commençait Evi'.

- On les défonce !!! Hurlait Gnas en se faisant craquer tout le corps.

- C'est un peu sommaire comme tactique. Poursuivait notre escorte. Puis ils sont beaucoup, non ? Lâchait-elle, en se reculant de quelques pas.

- Oh tu sais, dans ce genre de cas, mieux vaut se fier au compte que fait Gnas dans sa tête. Rigolais-je. Étant donné qu'elle ne doit savoir compter que jusqu'à dix... Je croisais les yeux de celle dont je me moquais. Le compte est plus vite fait, ahem.

- De toute façon, nous pouvons faire ça à deux, n'est-ce-pas, mon cœur ? Lançait tendrement Evialg à Gnas.

- Oh... Gnas était devenue toute rouge. Bien sûr ! Répondait-elle pleine d'enthousiasme.

- Tu peux surveiller le nabot pour nous ? Evialg Interrogeait désormais la félicienne. Il risquerait de se casser un ongle sur le front.

- Euh... D'accord. S'empressait-elle de répondre, comprenant qu'elle serait ainsi à l'abri.

- Comme ça, nous serons plus sereines pour nous battre. Tu es prête pour y aller ?

- Je suis prête, mais c'est moi qui ouvre la voie ! Scandait Gnas. Hé toi ! Apostrophait-elle la femme-féline. Tu peux te transformer et me jeter le plus fort que tu peux dans le tas ?!

- Je dois pouvoir faire ça, oui.

- Super ! A tout de suite Evou', on se retrouvera peut-être dans la mêlée. L'embrassait-elle avant de dégainer son immense sabre.

- Bouchère... Glissais-je. »



 Notre escorte se métamorphosait à nouveau, et empoignait Gnas, tournait sur elle-même, et la projetait en cloche, en plein centre des troupes. A peine atterrie, cette dernière fendait les rangs, faisant tournoyer la lame au-dessus de sa tête, broyant armures et os sur son passage.

 Toute l'attention des troupes était centrée sur notre camarade, permettant à Evialg, à son tour, ayant invoqué une arme que je ne connaissais pas encore, de foncer discrètement dans le dos des premières lignes, provoquant elle aussi un bain de sang dès son arrivée au combat. Toutes deux bondissaient, mâchant, brisant, éviscérant quiconque était sur leur chemin.


 Un attroupement très compact se formait autour de notre sanguinaire combattante, elle le maîtrisait quelques instants, puis semblait submergée ; cela ne dura pas longtemps, la pression de l'air changea, l'atmosphère devint lourde. Un bruit d'explosion retentissait, soufflant l'amas de soldats qui encerclait Gnas, elle avait même rengainé Masamune, et semblait désormais envoyer des demi-cercles de sang dans tous les sens, sifflant et traversant le champs de bataille promptement, les matérialisions écarlates sciaient leurs victimes en long et en large, tandis qu'émanait de notre amie une aura pourpre de plus en plus intense.

 D'autre part, Evi' était accompagnée d'une lumière aveuglante provenant de ses ailes désormais sorties et son glaive lunaire, elle effectuait acrobatie sur acrobatie, s'enroulait avec grâce sur elle-même, découpant toute résistance qui lui était opposée, virevoltant frénétiquement entre les piques et haches tendues de ses adversaires, glissant sur le sol détrempé du sang de tous les morts l'entourant.



 L'armée, quelques instants après le début du combat était déjà en déroute et devait avoir perdu la moitié de ses effectifs, Evialg fondait désormais violemment sur les lignes en retrait, sa devise "Pas de quartier".

 Gnas était toujours l'épicentre du combat, les soldats ne semblaient se focaliser que sur elle, cependant, le nombre devait peu lui importer, cette dernière, désormais transpercée de toute part, venait de s'élever au-dessus de la mêlée, et avait l'air d'incanter quelque chose : toutes les effusions sanguinolentes venaient à elle. Je ne l'avais vue qu'une fois se battre de la sorte, mais cette occasion était bien particulière, peut-être avait-elle même était inspirée par sa rencontre avec l'Evialg Draconique dont Eruxul avait parlée.


 Lors notre première rencontre, elle avait invoqué un serpent volant, cependant à cet instant précis, c'était elle qui venait de prendre l'apparence d'un dragon couleur écarlate, dégoulinant de la matière dont il était créé, le tout sous nos yeux ébahis.

 À son tour métamorphosée, elle se ruait, frappait, mordait, déchiquetait, dévorait et abattait sans retenue ceux qui étaient à sa portée. Je me souvenais du crachat sanguinolent que j'avais reçu au visage peu de temps après l'avoir soignée, justement lors de notre premier vis-à-vis ; je la voyais actuellement, déverser de sa gueule reptilienne, un torrent de sang gluant et fumant sur les cohortes, se dissolvant et fondant sur place. Les troupes désormais désorganisées et apeurées, fuyient, tout en abandonnant leurs équipements, poursuivies et rattrapées par Evi', qui semblait avoir anticipé leur tentative d'évasion.



 Face à nous, là où se tenait quelques minutes auparavant une armée prête à détruire la forêt trônant derrière nous, il ne restait plus que des tas de chair, des membres séparés de leurs corps, une quantité affolante d'armes et d'armures en tous genres, et un océan de sang. Notre dragonne sanguinaire continuait d'aplatir les derniers survivants de ce carnage, battant l'air de sa queue, soulevant du sol les quelques malheureux qui tentaient vainement de ramper hors du lieu dévasté.

 Victorieuse et toute-puissante, Gnas déployait au plus possible ses majestueuses ailes visqueuses et poussait un incroyable rugissement de son immense gueule, hurlement suivi par celui d'Evialg qui elle aussi, semblait avoir terminé sa macabre tache. Dans une explosion poisseuse, la créature formidable laissait réapparaître Gnas, toute rouge, rapidement rejoint par Evi', se jetant dans ses bras, et se couvrant du même éclat qu'elle. Se rapprochant peu de temps après de nous.



 « Je ne sais pas si cela sert à quelque chose que je vous demande si vous êtes blessées... Soufflais-je, l'estomac retourné par ce spectacle et par la course qui le précédait.

- Je crois que je me suis coupée. Evi' me désignait son front, légèrement entaillé.

- C'est très superficiel... Surtout comparativement, aux blessures que vous avez occasionnées... Je leur montrais du doigt la vue d'ensemble que nous avions.

- Ah ouais... Quand on est dedans on ne voit rien en même temps. Gloussait Gnas. Tu vois l'acier des équipements... La lumière qui se reflète dedans elle t'aveugle, après tu reçois du sang dans le visage, ça embourbe et ça force à fermer les yeux. C'est presque un combat à l'aveugle trois quart du temps. Se plaignait-elle.

- En Dragon aussi tu étais gênée ? Lui demandait compatissante Evialg, pour je ne sais quelle raison, au vu du massacre qu'elle venait d'engendrer.

- Ah non ! Pour le coup, j'avoue que la vue était assez dégagée. C'est marrant de se sentir plus grande que d'habitude. Par contre, bonjour l'angoisse pour se déplacer, je n'imaginais pas ça aussi pataud un Dragon...

- C'est quand même fou, que vous ayez réussi se prodige à deux. Clamait d'un ton admirateur la félicienne qui, elle aussi avait observé la scène. Vous n'aviez déjà pas besoin de moi, mais si vous le permettez, je vais aller rassurer la Grande Prêtresse et annoncer votre victoire.

- Oui c'est certain que c'est une bonne nouvelle pour votre habitat. Transmettez-lui aussi que nous partons pour Teysandrul dans la foulée. Evialg peux-tu te rapprocher ? Je fouillais dans mon fourre-tout.

- Je n'y manquerai pas, je conterai aussi cette glorieuse bataille. Elle s'empressait de se changer à nouveau en félin et disparaissait.

- Glorieuse ? Tu parles. Soufflais-je, mettant enfin la main sur un onguent que j'avais fabriqué à base du sang de Gnas et quelques plantes et baies broyées. Comment empiler des morts peut-il être glorieux ? Logique de bourrin... C'est tout. J'appliquais un peu de la pâte sur la coupure d'Evi', qui cicatrisait à vue. Voilà, tu es guérie.

- C'était rapide. Sifflait Evi'. Par contre ça pue, ton truc.

- Oh ça va... Ce qui compte c'est que cela fonctionne.

- Allez, tu te vexes parce que tu ne peux pas te défouler, et ça, parce que tu ne peux pas te battre ! Au moins tu es un bon soigneur ! C'est toujours ça. Rigolait Gnas.

- Et toi, tu n'as rien en parlant de ça ? Avec le nombres de projectiles et d'armes que tu as reçus ?

- Bah non. Me répondait-elle, en haussant les épaules. Même pas une coupure. Toute fière d'elle.

- Entre ta guérison et maintenant ta transformation en Dragon, je me dis que tu as sûrement quelque chose de divin. Je me tâtais à lui parler de son sang et des capacités régénératrices qu'il donnait à mes préparations, mais finalement, je me convainquais d'attendre et me taisais.

- Bon, nous devons nous mettre en route c'est ça ? Nous interrogeait Gnas.

- Oui, d'autant que Teysandrul, c'est au moins à quatre jours de marche d'ici.

- Moins si on court vite ! Charriait Gnas en me regardant comme si elle n'avait pas oublié.

- Ah non, hein. Après tu vas dire que je cherche les ennuis. Autant marcher normalement !

- C'est ça oui, c'est ça. Ricanait Gnas. J'espère que nous croiserons vite une auberge en tout cas. J'ai déjà faim. Maugréait-elle.

- Comment tu fais pour avoir toujours faim comme ça ?

- Elle se bat ET elle court. La soutenait Evialg en gloussant. »

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