Chapitre VIII : Epine émoussée

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 Sa voix me paraissant jusqu'alors si désagréable, venait subitement de changer de sonorité à mes oreilles..


 "Ce qu'il s'est passé... Je reprenais mon souffle. Et bien, ce qu'il s'est passé Gna, c'est que tu nous a sauvés. Tout en te mettant dans un piteux état..."


 Je la soutenais toujours de mes mains, la réchauffant du mieux que je le pouvais. Nos yeux ne se lâchaient plus. J'y lisais de l'apaisement, comme si je venais de la libérer d'un mauvais rêve, alors que dans les faits, c'était bel et bien elle qui aujourd'hui était une héroïne, elle en avait même payé le prix fort.

 Son corps était mutilé, perforé, détruit. Ses propres tremblements suffisaient à faire vibrer ma chair. Elle ne bougeait presque pas, presque plus, et même si elle ne semblait pas spécialement faiblir du regard, j'avais l'impression que tout son corps s'affalait, sa vie actuellement, était en train de glisser entre mes doigts. Comme si sa voix allait disparaître de ma mémoire, comme si plus jamais, je n'aurais à supporter son entêtement, ni même son humeur d'orc bougon.

 Bien que notre voyage ne faisait que commencer, je me sentais désormais redevable envers elle, envers son courage, envers le simple fait qu'elle ait fondu sur nos oppresseurs sans réfléchir pour nous aider... De nouvelles larmes perlaient de mon regard.


 Je sentis alors une main traverser maladroitement mes cheveux, agglomérant chacune de mes mèches sur son passage ensanglanté, pour finalement venir se poser sur mon visage.
Ses doigts faibles se posèrent sur ma joue, me colorant la peau de son sang empli de souvenirs et de sensations.


 Son regard se planta une nouvelle fois dans le mien, elle ne fuit pas mes yeux, elle se contenta de me sourire, comme jamais je n'aurais pu imaginer venant d'elle. Sa bouche s'ouvrit lentement.


"Tu sais.. Tu sais Evi. Si je dois mourir, mourir, là, près du nain à ailes. Si je dois mourir, là, dans cette forêt, si je dois mourir dans tes bras, à toi qui m'as vaincue, avant, avant tout ça, je m'en irai l'esprit léger.. Me lâchait-elle. Je la sentais convulser.
- Non Gna, tu ne peux pas, tu ne dois pas mourir, pense à ce qui nous attend. Lui murmurais-je d'une voix tremblante.
- Allons, sois forte, tu es forte... Tu es f....."


 Sa voix se stoppa nette, sa tête s'alourdit et ses yeux lentement commencèrent à se refermer.

 Gnas était en train de s'éteindre, là, entre mes doigts.


 "Noooooon ! Hurlais-je. Si la seule chose qui rythme ta vie doit être le sang, si seul le sang peut te maintenir en vie, alors je vais t'en donner ! Mais sois certaine que tu ne mourras pas en ayant comme seul souvenir le sang, tu ne mérites pas de souffrir."


 Du sang, du sang, j'allais lui en donner. Je plantais mes canines dans la main qui précédemment me permettait de soutenir la taille de Gna'. Seulement, malgré que je me sois mordue de toutes mes forces, seule la douleur envahissait ma bouche, pas une goutte de sang ne venait.

 En une fraction de seconde me revinrent à l'esprit tous les souvenirs que j'avais vu en buvant involontairement son sang. Je repensais alors à toute la douleur que son corps et que son âme avaient accumulée, ou à laquelle elle s'abandonnait à chaque fois qu'elle se battait.
Comment seule cette morsure pouvait me faire abandonner...


 Je retirais ma main de ma bouche, et laissais mes canines supérieures et inférieures se planter dans ma langue. Un torrent de sang se déversait désormais d'entre mes lèvres, j'en recouvrais Gna', et je me sentais à mon tour flancher, débordée par cette effusion sanguine. Ma tête me paraissait lourde, trop lourde, elle échappait à mon contrôle et tombait en avant, droit sur Gna'.

 C'est à cet instant là que nos visages se retrouvèrent nez à nez. Et que nos lèvres se lièrent. J'étais triste, affaiblie, euphorique, affolée, paniquée, je me sentais toute drôle, tout cela en même temps. Que se passait-il ?


 Sa bouche se remplissait de sang, elle ne réagissait pas, était-ce trop tard ? Je ne sentais plus aucun mouvement émanant d'elle. Je fermais les yeux, trop faible, désespérée. Une ombre sinistre semblait s'être penchée au-dessus de moi. Je n'avais pas pu la sauver..

  C'est à ce moment-là que je sentis une pression terrible sur mes lèvres. Le précieux liquide stagnant dans ma bouche était désormais siphonné par Gna'. J'ouvrais du mieux que je le pouvais mes yeux, espérant ne pas croiser les siens à cet instant précis.

 Cependant, ils étaient grands ouverts, ils semblaient même rugir d'une flamme plus intense qu'un brasier hurlant. Elle replaçait une de ses mains sur mon visage, puis se mettait à littéralement boire l'intérieur de ma propre bouche. Je ne savais plus quoi faire, je ne savais pas même quoi faire avant de vouloir me mordre.. peut-être devais-je juste me laisser faire...

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