Chapitre VI : Une mare de sang

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Après une chute pareille, j'eus du mal à reprendre mes esprits. Nous venions d'être sauvés par cette folle sanguinaire. Cependant, suite aux deux projectiles qu'elle avait reçus, elle s'était effondrée, subitement, en glissant ou en sursautant. Je ne savais pas.

 À quelques mètres de moi. Tne' soulevait sa tête du sol couvert de racines, de terre et de feuilles. Il était lui, taché de sang, j'accourais en priorité vers lui, ne perdant pas de temps pour demander si ce sang était le sien. Il ne disait rien. Durant son silence, il me désignait du regard la direction dans laquelle il voulait que mon visage se tourne. Je voyais Gnas, en train de convulser au sol. Son abdomen était creusé d'un énorme trou, et je supposais qu'un autre devait se trouver dans son dos. Son sang se déversait à une vitesse folle hors de son corps. Des larmes de crocodile perlaient de ses yeux pour aller mouiller le sol de la forêt. Ses doigts cherchaient à s'agripper à quelque chose.

 « Il faut lui retirer ce qu'elle a en ses plaies Tne', fais quelque chose ! Hurlais-je. »

Mais aucune réaction ne s'en suivit. Il était pétrifié à la vue de Gnas qui était en train de se tordre en deux de douleur. Je m'avançais au-dessus de son corps meurtri et blessé, je ne pouvais pas commencer par son ventre. J'étais d'ailleurs tout autant incertaine quant à ma capacité à procéder aux extractions desdits projectiles, mais je ne pouvais pour autant pas la laisser mourir, une seconde fois. Je me motivais et la retournais pour l'installer à plat ventre, puis j'enfonçais mes doigts dans le creux qui prenait place dans son dos. J'y sentais la présence d'une masse ronde aussi dure que de la pierre.

J'essayais de l'extraire mais mes doigts recouverts du sang chaud glissaient beaucoup trop. Je me décidais à contrecœur à finalement rapprocher ma bouche de la plaie puis commençais à aspirer au plus fort que je le pouvais. Le liquide brûlant inondait ma bouche, je le recrachais au plus vite possible, tout en me retenant pour ne pas vomir. Je sentais un choc contre mes dents, le sang ne coulait plus, la boule venait enfin de se déloger de la chair. À fleur de peau, je l'extirpais délicatement hors du corps de Gnas, tout en faisant attention à ne pas trop amocher les contours de la plaie. Du plomb, une énorme balle de plomb. Voilà les munitions crachées par cette arme dévastatrice.

Je devais désormais m'occuper du second emplacement. Je retournais Gnas sur le dos. Cette fois-ci, j'eus un peu de mal à commencer ma succion. Le trou était bien mal placé. Je ne savais absolument pas comment réagir. Il était clair que malgré sa bonne volonté de guérisseur, Tne' était un peu trop obsédé par l'anatomie féminine pour pouvoir faire ceci correctement, d'autant qu'il semblait encore abasourdi et choqué. Ses mains se perdraient ou déraperaient, il ne pourrait qu'aggraver la situation.

Je devais le faire moi-même. Je relevais gênée, le peu de plastron qui lui restait sur le buste. Je me servais alors d’un pan de ma tunique pour éponger vainement la peau de ses flancs détrempés d'hémoglobine, c'est ainsi que j'y découvrais alors de larges plaies à peine cicatrisées. Je fus prise d'une drôle de sensation à cette vue.

 Je me penchais maladroitement au-dessus de sa poitrine dénudée et je plaçais ma bouche sous son sein. Puis, lentement, je commençais la ponction du corps étranger. Son sang affluait trop, et si son cœur avait été endommagé ? Gna' se mouvait de douleur à chaque fois que j'exerçais une pression en aspirant son sang, je sentais ma bouche s'en remplir, je recrachais machinalement. Cependant, juste avant d'enfin déloger la balle de son hôte je sursautais et avalais une gorgée de son sang. Cela fut comme si quelqu'un venait de me raconter en une seconde et par une multitude d'images des fragments de l'histoire de Gnas, comme si elle-même venait de me chuchoter ses secrets à l'oreille.

Le liquide écarlate et brûlant, semblait contenir à la fois ses souvenirs et ses sentiments. J'en goûtais la souffrance, je ressentais ce qu'elle avait enduré, tout autant que l'extase qui avait pu sillonner son corps... Je la voyais brièvement dans une armure scintillante ; puis je la regardais pleurer alors qu'elle transportait une femme inanimée. Son sang avait matérialisé en mon esprit des moments de son existence qu'elle-même ne m'aurait jamais racontés, et encore moins avec le climat actuel régnant dans l'équipée.

Je quittais mes songes et sentais enfin quelque chose heurter mes dents. La deuxième balle de plomb. Je venais enfin de l'extraire de son corps, la saisissais avec mes doigts et la jetais dans la flaque de sang, que j'avais, crachat après crachat constituée.

« Tne' tu es de nouveau là ?

- Splendide... Me répondait-il.

- Pardon !? Tu n'as que ça à me dire, à ce moment-là ?! Fais quelque chose ! Lui criais-je.

- Ton dévouement buccal était tout simplement érotique.... Héroïque, que dis-je. Mais, tiens. Il farfouilla dans son petit sac et en sortit une petite fiole. C'est une potion que j'ai confectionnée moi-même. Son but principal est d’accélérer toute guérison et toute cicatrisation. Cependant je ne sais pas encore s’il y a des effets secondaires... Personne ne l'a jamais encore goûtée...

- Passe-la moi. Nous ne pouvons qu'essayer. »

Tout en me penchant au-dessus de Gna', j'ôtais le bouchon en liège de la petite fiole et approchais le goulot de ses lèvres, closes. Je lui ouvrais la bouche, chose qui bien entendu, allait provoquer une réaction naturelle. Une gerbe de sang fusa entre ses lèvres et mon visage, le fameux crachat sanguinaire. Ce qui normalement m'aurait fait hurler, m'avait cette fois-ci faite sourire. Je pouvais désormais lui verser le contenu de la fiole dans la bouche, la faisant tousser. Elle ne déglutissait pas, mais semblait après un laps de temps avoir ingéré la potion.

 Une triste vue de notre sauveuse s'offrait cependant à moi. Elle avait perdu son teint bronzé, ne respirait presque plus, son corps devait s'être vidé de tout son sang, tant ses plaies étaient larges, et tant le sol sylvain avait viré à la couleur pourpre. Bien que la connaissant peu, je ne pouvais ignorer le fait qu'elle nous avait sauvés la vie et que malgré sa singularité et son coté insupportable, je décelais du bien en elle.

Je ne pouvais cependant plus oublier cet instant, où, j'avais été envahie par ses souvenirs, son chemin avait été parsemé de désespoir. Je ne pouvais plus ignorer le fardeau qu'elle supportait au quotidien, la tristesse qui devait ronger son âme et son corps, jour après jour.

Tout être vivant vit avec un but, avec une raison d'être, la sienne était-elle de souffrir ? Non, personne ne peut choisir cela. Sa façon de vivre, n'avait peut-être pas grand-chose de différent avec la mienne. Je n'étais pas assoiffée de sang, certes, mais tout comme elle, je marchais sans savoir où j'allais, remplissant mes journées comme je le pouvais, juste pour fuir l'ennui et ainsi éviter d'avoir à revivre ces réminiscences amères qui pourraient éclore de mon passé si j'arrivais à le découvrir.

Une larme coula le long de ma joue, tandis que j'étais penchée au-dessus de Gnas.

« Je me risque à te le demander à nouveau, mais... Ça ne va pas Evi ? Me demandait Tne'.

- Sais-tu où vont te mener tes pas ? Ou plutôt, où voudrais-tu qu'ils te mènent, si tu pouvais choisir ? Lui rétorquais-je.

- Et bien, en réalité je ne sais pas trop. Mon esprit peut se délecter de chaque plante et de chaque fleur que nous croisons tous les jours. Chaque seconde que je peux passer à tes côtés me permet d'enrichir mes connaissances. Sans avoir vraiment de but, je me laisse dériver en te suivant.

- Tu estimes quand même que tu avances ?

- Même si nous marchions à reculons, je considérerai toujours que j'avance, jour après jour. Du moment que nous ne fonçons pas tête baissée vers de nouveaux champs de bataille !

- Soit... Maintenant, que tu as repris tes esprits. Penses-tu pouvoir faire quelque chose d'autre pour la sauver ? J'ai peur qu'elle ne meure.

- Son sort ne t'est donc plus égal, n'est-ce pas ? Me lançait-t-il d'un ton doux.

- Non, son sort ne m'est plus égal, elle nous a sauvée sans réfléchir, elle doit vivre. À nos côtés.

- Je ne peux malheureusement rien faire de plus. Nous devons nous contenter d'attendre désormais. »

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