Chapitre III : Les ailes de la Sagesse (Tnemesnap)

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Les souvenirs sont ce que nous voulons qu’ils restent.

 Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant d’une lame transperçant mon cœur, tenue fermement par une main d’acier, magnifique extrémité d’un bras féminin. Je succombe sous l’intensité de son coup porté ou peut-être de son charme glacial. Mes paupières se referment et emportent comme dernière image, la plus belle. Je n’arrive pas à distinguer le visage de cette femme, je l’aime mais je ne saurais la décrire. Elle a simplement une beauté qui m’est fatale.

Beaucoup de choses se brouillent dans ma tête, bien que je n’ai jamais eu la moindre occasion d’aborder une femme, je n’en suis pas moins obsédé par une, qui est malheureusement, la plus énigmatique qui puisse exister, ou peut-être pas d‘ailleurs ? Il faut se méfier des rêves, j’ai toujours eu un esprit très rationnel, mes seules préoccupations furent pendant très longtemps les livres.

Tout particulièrement les grimoires antiques, ceux qui racontaient les épopées des héros de l’ancien temps. Il y avait quelque chose de fascinant dans ces histoires, j’avais avec elles une proximité que je ne saurais expliquer. Enrichi par cette culture inhérente, j’ai commencé à m’intéresser au monde qui m’entourait, la botanique est très vite devenue mon domaine de prédilection, j’avais, semble-t-il un don pour m‘occuper des fleurs, c‘est ainsi que j‘ai acquis une connaissance aiguë des pouvoirs qu‘elles possédaient, des plus bénéfiques aux plus venimeux.

J’adorais me pavaner dans les champs, prodiguant mes soins à la flore, je m’asseyais sur quelques racines et complétais soigneusement mon carnet. Mon imagination débordante me donnait des ailes, et mes pensées poussaient à une vitesse folle, j’avais le projet d’écrire un livre en m’inspirant de ces grands ouvrages qui berçaient mon cœur.

Le seul dilemme était les personnages, je ne savais pas comment les faire de façon à ce qu’ils soient emblématiques sans être une copie conforme de mes modèles. Je devais donc voyager, pour voir et me confronter à de plus en plus de personnalités.

« Tout est ffffffl… Flou… Fou… Fffflou. »

 Peut-être avais-je eu simplement besoin, pour subvenir à cette volonté de comprendre ce qui faisait l'essence d'un personnage complexe, de rencontrer Evialg. Si par rencontrer on entend repêcher un cadavre bien sûr, car je n'aurais pas pu croiser le chemin d'une telle femme, sans que le contexte ne soit improbable, ou que cette dernière ne soit affligée d'une tare bien particulière. J'avais donc pioché le gros lot. Cette femme sans souvenir et donc sans passé, avec pour seul bagage qu'un nom, avait finalement décidé de m'accompagner. N'ayant pas de but précis, Evialg allait donc se joindre à mes randonnées et m'aider à poursuivre et mener mes recherches acharnées de nouveaux végétaux, en tous genres.

S'il fallait résumer ma première entrevue et mon association avec cette femme si mystérieuse, je crois que « le coup du hasard » convenait parfaitement. Je n’étais pas un adepte des coïncidences, et n'étant ni plus ni moins qu'un individu ordinaire, j'ai convenu que l'amnésique avait eu de la chance que je veuille croquer - par le dessin, pas par la bouche - une variété de plante endémique à cette presqu'île orientale de Mithreïlid.

Lorsque Evialg est arrivée dans ma vie, j'étais juste devenu le voyageur que je rêvais d'être depuis toujours, vagabondant là où je le souhaitais. Puis, en quelques jours, nous sommes devenus partenaires complémentaires, cela grâce à cette fameuse journée et à cette plage. Quelle fut donc ma surprise de découvrir ce jour-là une telle plante, dans un état dépassant celui de végétatif, mais cependant bien moins verte que des algues, certes... Mais bien plus intéressante.

Pourquoi être ensemble si nous n’avions rien en commun ? Encore une question que je gardais sans réponse. Tout ce que je puis dire c’est que sans même échanger le moindre mot, nous étions capables d'entretenir un rapport privilégié, je la considérais comme une petite sœur, que j’avais pris sous mon aile alors qu’elle était déboussolée et en piteux état. Ça devait être mon côté altruiste qui me poussait à recueillir d’aussi frêles créatures.

 Loin de cette île paradisiaque dont je me rappellerais à tout jamais, notre errance, pour une fois commune ; nous avait, Evialg et moi, amenés ici. Bien qu'ici ne fut pas l'endroit que nous cherchions au beau milieu de ce que je pourrais résumer comme étant la seule vraie passion d'une population de bourrins : un champ de bataille.

Ce qui était certain, c’est qu’il y avait actuellement une multitude d'atrocités sous mes yeux, plus particulièrement une. En possession de tous mes moyens, je me devais d’agir, par-delà toute logique combattante, je pansais de toutes mes forces les blessures de cette guerrière ou plutôt de ce cadavre ambulant qui peu à peu reprenait vie ou tout du moins convulsait, annonçant un soubresaut de vie.

Le pauvre tas de chair remuant sous mes yeux, s'était au préalable jeté sur Evialg, le combat quoi qu'impressionnant à regarder, n'avait pas duré très longtemps. J'étais par ailleurs surpris de découvrir une telle habilité au combat de la part de ma camarade de route, et surtout qu'elle possède de tels attributs magiques. Peut-être elle-même l'ignorait avant cet instant, après tout.

À nouveau focalisé, je constatais que le tas de morceaux sanguinolents que j'essayais de sauver était anatomiquement parlant, une femelle. Bien loin de me déconcentrer, cette remarque était purement à titre d’observation et la vision de ce corps à demi-nu couvert de plaies et de tatouages empestant l'hémoglobine, n’avait sur moi presque aucun effet, si ce n’est une légère empathie constatant qu'elle était littéralement déchiquetée de toute part. Qui pouvait arriver à se mettre volontairement en pièces, à se mutiler de la sorte ?

Je me le demande sincèrement, car jamais une telle idée ne serait arrivée aux portes d'un esprit raisonné. À constater son état, la morale devait avoir fui - et non sans tort - l'esprit de cette créature qui, pourtant semblait si jeune, si jeune et pourtant si dévastée. Je me perdais à lorgner les cicatrices qui parsemaient son corps.

Ses grands yeux s’ouvraient finalement tandis que ses lèvres pulpeuses s’écartèrent sensuellement pour me cracher au visage, certainement en guise de remerciement. De toute façon, selon Evialg, il n’y avait pas grand-chose d’autre à espérer de la part d’une combattante de cet acabit. Evialg avait décrit son attitude digne de malades mentaux qui devaient se sentir bien seulement lorsqu'ils baignaient dans leur sang. Il n'empêche que moi, j’avais le visage recouvert de ce jus délicieux, et j’aurais pu replonger dans ses plaies pendant des heures encore, mon plaisir en était assuré.

Bien qu'elle fût responsable de l'état actuel de la demoiselle toute déchiquetée, Evialg avait sûrement raison d'appuyer mon premier jugement, cette guerrière ne devait pas être bien dans sa tête pour s’être infligée toutes ces blessures. Peut-être que ce dont elle avait besoin c’était juste un peu d’affection ?

Quoi qu’il en soit, elle devait rester avec nous pour un moment, le temps qu’elle soit de nouveau capable de se mutiler seule, ou au moins capable de se déplacer toute seule ; Evialg l'ayant prise dans ses bras à contre-cœur, refusait pour autant de la laisser dans ce charnier, l'emportant avec nous comme si elle ramenait une dépouille du champ de bataille jusqu'au cimetière ; avec en tête l'espoir qu'elle s'en sorte, en plus. Voilà un début prometteur au récit que je rêvais d’écrire, cependant, rien de tel pour éveiller l'imagination que de le vivre.

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