Chapitre I : Sérénade de l'Ombre (Evialg)

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  Cette falaise que je venais d'atteindre représentait le bout de mon chemin, ici mon existence prendrait fin. Autour de moi, la nue et l'océan hurlaient leur courroux, tandis qu'en moi, c'était ma propre âme qui semblait engendrer une tempête que je ne pouvais plus maîtriser. J'avais été trop loin, j'avais causé trop de morts, j'étais finalement devenue ce que je haïssais le plus : une meurtrière, une bouchère, un monstre. Avais-je pu à tel point perdre le contrôle de moi-même ? Ma colère avait-elle le pouvoir de me rendre si dangereuse ? Quand bien même je n'avais pas prémédité ce carnage, je ne pouvais pas me pardonner ce que j'avais commis. À quel moment le Destin s'était-il chargé de m'affliger toutes ces mésaventures et ces peines ? Alors que j'essayais de répondre à cette question, ma mémoire sondait mes souvenirs.

 Je songeais alors à mes premiers cycles et à mes premiers pas sur Mithreïlid. Toute jeune, j'honorais une divinité qui était, selon Mère, étroitement liée avec moi. Elle me racontait que cette Déesse incarnait et symbolisait la plus grande source de puissance de Mithreïlid. Nous vivions seules, Mère et moi dans une petite maison isolée et éloignée de tout. J'avais donc grandi au milieu d'une lande dépeuplée, dans laquelle pullulaient seulement des créatures hostiles. Dès que je fus en âge de soulever une lame, Mère passa tout son temps libre à m'entraîner au maniement des armes, jour après jour, jusqu'à épuisement complet. Les rares personnes que je croisais dans cette région reculée de Mithreïlid, étaient pour la plupart des cultistes, qui se devaient sûrement se rendre au temple abandonné, une vieille bâtisse où mère m'avait formellement interdit d'aller. Les cycles passaient et j'accomplissais avec régularité les rites envers ma divinité, constance toujours surveillée de très près par Mère. Tant l'entraînement et les enseignements qu'elle me prodiguait, que le culte qui m'était imposé, semblaient me conduire vers une vie belliqueuse et vindicative. Je refusais néanmoins de pratiquer certains rituels qui me paraissaient macabres, bien que cela déclenchait des fureurs effroyables chez Mère... Je me consolais en me disant qu'allait bientôt arriver le temps où je pourrais partir seule à la découverte de Mithreïlid, sans avoir à effectuer d'occultes coutumes.

Ma mémoire me renvoyait seulement quelques jours plus tôt. Enfin était arrivé ce fameux jour, enfin était arrivé mon grand moment. J'allais quitter notre maison et pouvoir vivre ma propre aventure. Nous partions donc Mère et moi sur notre monture bipède, emportant un grand sac de provisions et de tissus. Après avoir traversé de nombreux paysages magnifiques et plein de vie, nous finissions par arriver dans une plaine desséchée. Ce n'est que quelques minutes plus tard que se dessinaient à l'horizon des remparts. Ces derniers devaient protéger une cité dont une aura mauve malsaine émanait et teintait le plafond nuageux. Je frissonnais en apercevant la foudre fendant la nue ténébreuse, cette obscurité céleste qui recouvrait et assombrissait totalement la région. Plus nous avancions vers l'épicentre violet et vers les murs d'enceinte, plus je m'interrogeais nerveusement quant à la raison qui aurait pu expliquer pourquoi nous nous y dirigions ; rien ne me donnait envie d'être ici.


 Arrivées à quelques dizaines de mètres des murs de la morne ville, Mère me proposa de faire une halte, je descendis alors de notre moyen de transport. Je m'éloignai inconsciemment après avoir repéré deux créatures humanoïdes dissimulées derrière un rocher qui me guettaient. Je les mettais en pièce et fière de mon exploit, je voulus l'annoncer à Mère. Lorsque je sortis de derrière l'imposante pierre, je n'aperçus que la poussière soulevée par notre monture, repartant au loin. Pourquoi Mère m'avait-elle laissée ici, sans vivres, sans argent ? Je n'allais quand même pas commencer mon périple par la visite de cet endroit infâme !

Paniquée et convaincue que je devais m'éloigner de cette ville, j'errais dans les landes arides et grises depuis plusieurs heures. Après m'être éloignée de l'enceinte fortifiée, j'avais fini par me perdre et tandis que la faim me tiraillait, je désespérais à l'idée de ne pas réussir à quitter cette terre désolée. Désemparée et assoiffée, j'attendais que la mort vienne me récupérer dans ses bras gelés, assise sur une pierre, pleurant les quelques dernières larmes de mon corps. Le morne silence qui m'accompagnait depuis trop longtemps était finalement rompu par le fracas de lourds pas venant vers moi. Peut-être venait-on me sauver ?! Je me levais et distinguais plusieurs montures, je me mettais à faire de grands gestes pour que l'on me repère. La chevauchée semblait venir vers moi, j'étais sauvée. Bientôt à ma portée, je remarquais les lances immenses, portées par des hommes en armures sombres et arborant un macabre drapeau. Sans me poser de question et sans tenir compte de mon état, je me mis à courir, du plus vite que je le pus, hélas je trébuchai et m'écrasai au sol. J'étais épuisée. Derrière moi, j'entendais les rires moqueurs et sentais que quelqu'un m'approchait. Une main me saisit par les cheveux tout en me soulevant. J'hurlai et fis un bond de côté, tout en dégainant nerveusement mon épée. Un de mes opposants montés pouffa et sauta au sol. Il se dressa face à moi et pointa sa lance dans ma direction. Je prenais conscience que je n'avais jamais croisé le fer avec un Mithreïlidien. Mon adversaire n'hésita pas une seule seconde avant d'essayer de me frapper directement au ventre. Comme guidée par mon instinct, j'esquivai l'assaut et après m'être habilement rapprochée de mon assaillant, je lui déchirai l'abdomen d'un revers de poignet. La vue du sang sur la lame brillante de mon arme interrompit brièvement le cours de mes pensées et troubla ma vision. Je pensais à toutes les fois où je m'étais interdite d'ôter la vie de qui que ce soit, je songeais aux fureurs de Mère interprétant ce refus comme une preuve de lâcheté et de faiblesse. Tandis que le soldat éventré s'écroulait dans la poussière, et que je regrettais déjà mon funeste geste, deux autres gardes s'empressaient de me faire front. Confuse et troublée, je me contentais de jeter mon épée à terre, lorsque je sentis un coup violent derrière mon crâne.


 Plusieurs heures ou jours plus tard, j'ouvrais les yeux, la bouche bâillonnée, les mains bloquées par de solides menottes suspendues par une chaîne au plafond, mes chevilles étaient entravées par un système pareil à celui me brisant les poignets. Il faisait sombre et une odeur désagréable se dégageait de ce lieu. Je devais avoir été emprisonnées dans des cachots. La faim et la soif m'empêchaient de me débattre, néanmoins, je parvenais à faire tinter l'acier de mes liens afin que l'on constate que j'étais vivante. Le faible écho métallique des chaînes se mélangeait à un bruit nouveau. Des pas résonnaient sur le sol, quelqu'un venait.


 La silhouette qui s'approchait portait à la main une torche et dans l'autre, une planche en bois sur laquelle étaient posés un morceau de pain et un pichet. L'ombre ouvrait la cellule, et se débarrassait de son flambeau sur un reposoir appliqué au mur. Le geôlier s'approchait de moi et commençait à me scruter silencieusement. Je distinguais mal son visage, cependant, je constatais que malgré les traits juvéniles de mon gardien, une violence aiguë émanait de lui. L'homme passait ses mains derrière ma tête, et détachait le tissu qui m'empêchait de respirer correctement. Je respirais alors une grande bouffée de l'air puant et moite de la geôle, mes poumons semblaient imploser tant ils avaient été comprimés jusqu'alors. Le garde m'amenait à la bouche le morceau de pain, je le croquais farouchement, mais j'eus plus de mal à l'avaler, constatant que l'aliment était rassis, je le mangeais à contrecœur afin de calmer ma faim. Une fois le croûton avarié ingéré, le geôlier apporta face à mes lèvres le pichet, qu'il versa tout d'abord délicatement, puis finit par me vider dessus violemment, me détrempant et faisant vaciller tout mon corps tant le liquide était froid. L'homme laissa sa torche dans la cellule, et partit sans dire un mot.


  Épuisée, j'essayais de fermer les yeux pour me reposer, néanmoins la lumière m'en empêchait, je ne réussis à m'assoupir que lorsque le combustible fut complètement consumé. Malgré l'inconfort de ma position actuelle, je pouvais enfin dormir et j'espérais reprendre un peu de force. Mon repos n'allait cependant pas durer longtemps.
  Je fus réveillée par une gifle violente. Deux gardes ricanaient de mon état. L'un d'eux s'exclama :

« Elle est bien plus jolie quand elle ne peut pas se débattre. Qu'en dis-tu ?

- T'as raison. L'autre jour, on aurait pu presque croire qu'elle était dangereuse, à croire que non. Il se mettait à rire à gorge déployée. C'est vrai qu'il va falloir payer pour ce que tu as fait. Il interpellait du regard l'autre soldat. Bon et si on s'amusait un peu avec elle maintenant ?

- Ne me touchez pas ! Criais-je, en me débattant autant que je le pouvais.Je ne voulais pas blesser qui que ce soit ! Je ne sais pas comment pourrais-je me faire pardonner, mais je ne voulais pas nuire !

- C'est un peu tard pour regretter. De toute manière, maintenant que tu es là, nous aurions tort de ne pas en profiter. Après tout, personne ne t'a réclamée.

- Mère vous le fera payer ! Je vous le ferai payer ! Bande de lâches ! Dès que je me serais libérée, j'aurais votre peau ! Vous m'entendez !

- On t'entend ça, oui. Mais enchaînée comme tu l'es, je ne vois pas ce que l'on risque.

- Puis les ordres sont clairs. Lâchait l'autre. Faites-la souffrir.

- Quoi ? Mais de qui sont vos ordres, de qui ?! Désespérais-je, ne comprenant pas ce que j'avais fait pour me retrouver ici.»

L'un d'eux s'approchait de moi, mais je lui crachais au visage, tout en me débattant de plus belle. Je voulais à tout prix l'éloigner de mon corps, aussi je me tortillais au mieux que cela était possible.

«Mais c'est qu'elle résiste la peste, je me serais plutôt contenté de ne pas résister si j'avais été toi.»

C'est ainsi que le vrai désespoir s'empara de moi, et que mon destin allait être corrompu. L'homme arborait un sourire odieux, sortait une dague fine de son ceinturon et s'en servait pour découper d'un éclair argenté les liens de mon haut de tunique. Il se débarrassait du poignard et glissait alors ses mains dans mon pagne, jusqu'à pouvoir caresser vicieusement mon entrejambe. Je m'égosillais autant que je le pouvais, sans pour autant avoir un quelconque espoir d'alerter qui que ce soit ; si je me trouvais dans les cachots de la cité que j'avais auparavant aperçue, j'étais convaincue que ceux qui m'entendraient, au mieux viendraient se divertir de ma situation désastreuse.


 L'autre garde passa derrière moi, restreignant mon cou d'une main et plaçant la seconde sur mes hanches. Puis ses doigts descendirent contre ma peau et atteignirent le haut de mon pagne, qui fut déchiré sans hésitation, me mettant à nue. Je suppliai en larme les soldats d'arrêter, tandis que mon souffle était saccadé par la panique et le stress.


 Cependant, ma détresse ne fit que déclencher un éclat de rire chez les deux pervers, qui n'en firent rien et retirèrent leurs bas. Mon corps et mon âme étaient saccagés par la violence des aller-retours perpétrés, mon anatomie était souillée par ces criminels. J'étais écrasée entre les des deux abuseurs, qui m'insultaient tout en me pénétrant de part et d'autre. Combien de temps allait durer cet enfer ? Combien de temps ces monstres sans cœur ni âme allaient-ils continuer cette torture ? Je ne pouvais qu'imaginer le pire, je pleurais toutes les larmes de mon corps ; affligée d'un profond dégoût et d'une terrible envie de mourir, mes veines et mes songes se remplissaient par la soif de vengeance.

" Je vous tuerai. Peinais-je à prononcer. Je vous tuerai tous jusqu'au dernier. " Mon souffle se tarissait, la douleur était insupportable, je m'abandonnais aux griffes de mon désarroi interne et finissais par m'évanouir.


 Parfois, il m'arrivait de rêver. J'essayais, au plus profond des ténèbres, d'imaginer la sensation procurée par les rayons du soleil sur la peau. Je me rappelais ce que c'était de vivre et de respirer librement, néanmoins l'obscurité dans laquelle j'étais retenue, m'extirpait de mes rêves et me ramenait à la cruelle réalité. Je continuais d'être l'objet des sévices sexuels de ces soldats désaxés et fourbes ; ces pratiques s'étaient tant répétées, que je n'en étais plus consciente : mon âme devait avoir quitté mon corps, j'avais cessé d'espérer et de penser, je refusais de me nourrir, et cherchais seulement à mourir, afin de mettre fin à cette abomination. Je voulais et devais mourir, j'étais souillée, on m'avait détruite physiquement et moralement.

Tel que je m'en souviens, c'est lorsque que cette envie de cesser de vivre avait complètement conquis mon être, que j'avais senti crépiter en moi une énergie nouvelle. Cette dernière émanant de la haine virulente qui n'avait jamais cessé de croître en moi, furtivement lovée autour du peu de volonté qu'il me restait, et qui allait finalement avoir raison de moi.


 Un jour, alors que mes songes se perdaient dans l'obscurité de ma cellule, l'un des criminels qui était venu pour abuser ma chair, chercha à me tirer de la torpeur dans laquelle je me réfugiais en m'assénant une gifle. Voyant que cela ne me fit pas réagir, il se plaça derrière moi, et retira son bas. L'écho strident de la boucle de la ceinture qui venait de tomber au sol se transforma en un immense frisson sillonnant mon dos. Quelque chose venait de s'éveiller, quelque chose brûlait désormais en moi. Tandis que l'homme saisissait mes hanches et allait profaner mon corps et faire souffrir ma chair, plutôt que de vouloir m'abandonner à la mort, une rage indescriptible et toute-puissante hurla en moi. Je fis éclater les chaînes m'entravant les jambes, d'un coup de pied je repoussai le violeur, puis à l'aide d'une acrobatie, je me défis de mes liens en les rompant. Depuis ce qui me semblait être une éternité, mes pieds touchaient enfin les pavés froids de ma cellule. Sans attendre, je me ruais sur l'homme et malaxais son crâne de mes doigts, puis, tout en le projetant violemment dans les grilles, je faisais voler le tout en éclats. Je n'osais pas toucher ma peau, j'avais peur d'être dégoûtée par moi-même, je cherchais alors frénétiquement de quoi me vêtir, je ne trouvais cependant rien. J'estimais rapidement ce besoin comme secondaire, car à cet instant précis, une seule chose m'importait : me venger.


 Je prenais possession de cette puissance parcourant sauvagement mes veines, je fis alors instinctivement apparaître une longue épée de lumière dans ma main. Cette dernière était blanche, immaculée, et il en émanait une aura apaisante. Alors que j'allais partir nue cueillir les fruits de ma vengeance, une douleur intense parcourut mon dos et m'arrêta nette. Je m'affaissais sur le pavage froid, tandis que j'avais l'impression que mon épine dorsale se déformait. Mes os semblaient chercher à quitter mon corps, je pensais que j'allais mourir de douleur, mais non. Deux ailes desquelles émanaient une lueur écarlate et un grésillement venaient d'éclore de cette souffrance aiguë.
 Que s'était-il subitement passé pour que cela se produise ? Quel était ce sentiment qui me consumait de l'intérieur ? Pourquoi avais-je l'impression que tout mon corps s'effondrait sur lui-même ? J'en revenais alors à m'interroger quant à la vraie raison de ma présence ici, et du pourquoi m'avait-on fait subir toutes ces horreurs ? J'étais la victime d'une infâme injustice.

Je n'avais cependant pas envie de penser, ni de réfléchir. Je souhaitais simplement noyer mon chagrin et ma peine dans le sang de ces criminels, je le désirais ardemment. Cette haine qui inondait ma chair, satisfaisait mon esprit bien davantage que nul autre sentiment que j'avais pu ressentir ne l'avait jamais fait. Il n'y avait dans ma tête plus aucune place pour la pitié ou le pardon, pour la joie ou la compassion. Je ne pouvais plus qu'entrevoir tout le mal que l'on m'avait fait. Tout en hurlant, je relâchais toute ma fureur, une onde de choc faisait alors sauter tous les murs du bâtiment pénitencier. Les gardes aux alentours s'attroupèrent sans délai pour me faire face tandis que je m'extirpais des décombres. Les hommes et femmes en armure semblaient à la fois surpris et paniqués, tourmentés par le tumulte de mon improbable évasion. Demeurant cois devant mon apparence, je laissais mon courroux être guidé par la lame lumineuse, dont l'éclat s'harmonisait de plus en plus avec celui de mes ailes. À chacun de mes pas les pavés tremblaient et se soulevaient, je courais et bondissais frénétiquement sur chaque personne se trouvant dans mon champ de vision. Chacune des âmes de cette ville était à mes yeux responsable de mon malheur. Ce n'est qu'après avoir occis plusieurs cohortes de miliciens, que je finissais par retrouver parmi les troupes affolées, les deux visages vicieux des couards qui avaient été les premiers à me violer, à me souiller et à vouloir me détruire.

Je stoppais ma course effrénée, révoquais mon arme et me rapprochais lentement d'eux, traquera bien qui traquera la dernière. À l'instar d'une créature cauchemardesque, j'avais pétrifié mes proies par l'effroi. Leur proximité réveilla toutes les zones de mon anatomie qu'ils avaient osé profaner. Mon sang se mit alors à bouillir et à tendre toutes mes veines. L'expression faciale de mes anciens détracteurs devint livide comme la mort tandis que je plantai ma main dans le torse de l'un des deux, saisissant à pleine paume ses organes, que j'extirpai violemment hors de son corps. La peur du second le poussa finalement à courir à toutes jambes afin de fuir son imminent décès. Malheureusement pour lui, je le rattrapais en un clignement de cils, le fauchais en lui brisant les jambes, puis je le regardais ramper quelques instants. Je le relevais d'une main, tout en lui broyant la carotide. Je le plaquais contre un mur, il battait nerveusement l'air à l'aide de ses pieds, il m'implorait du regard de le libérer, mais je n'en avais que faire. Ses cris étouffés et saccadés coupèrent le souffle des quelques témoins de la scène, instaurant un silence morose parmi l'assemblée.


 « Quand je te suppliais de ne pas me violer, as-tu cessé ce que tu allais entreprendre ? Non. Alors, assume bâtard.»


 J'armai mon poing et le lui écrasai plusieurs fois dans le visage, son sang jaillissait dans tous les sens, le macchabée défiguré s'affalait. Je fis réapparaître la lame bourdonnante, refis face aux soldats restants, et me ruai sur eux. Le sang et les corps démembrés tapissaient le sol gelé de la cité. Cette ville allait être témoin d'un carnage sans limite. Durant toute une nuit, je tuais quiconque je croisais, femmes et hommes, enfants et vieillards, coupables et innocents. Bien qu'à mes yeux, tous étaient responsables de ce qui m'était arrivé. Tous auraient pu m'aider et me faire quitter cette geôle où je n'aurais pas dû être enfermée. Mais personne n'avait répondu à mes hurlements de détresse. Cette nuit, tous allaient donc payer.


 Mon désarroi s'atténuait progressivement, et, comme si je me réveillais d'un mauvais rêve, j'ouvrais les yeux. Je tournais sur moi-même au milieu d'une place quelconque, j'étais l'épicentre d'un carnage sans nom, j'avais semé la mort dans ses formes les plus terribles. Je ne pouvais pas avoir fait ça, moi qui m'étais interdite de devenir une meurtrière... Et pourtant, considérant que j'étais recouverte de sang mais indemne, tout en étant la dernière vivante dans ce cimetière hors-terre, j'en concluais que j'étais l'unique responsable.

Accablée par la culpabilité, mes larmes coulaient à flots et brûlaient mon visage. Mon cœur battait anormalement vite, tandis que mon souffle devenait totalement incontrôlable. Mon estomac se tordait, je tombais à genoux, vomissant du pain rassis ingurgité la veille. Mon corps tremblait de toute part, je m'affaissais et me roulais dans les tièdes flaques poisseuses constituées du liquide écarlate. J'étais nue, et frigorifiée par les souffles nocturnes qui sillonnaient les artères ensanglantées de cette cité. À chacun de mes coups d’œil, j'apercevais tous les corps inanimés qui jonchaient les pavés autour de moi. Qu'avais-je-fait ? Bien sûr que je souhaitais plus que tout me venger de ceux qui avaient abusé de moi, mais pas annihiler toute la vie d'une ville entière. J'essayais de me rassurer en me disant que je devais être en train de vivre un cauchemar éveillée. Hélas, le torrent d'émotions et de ressentis dont m'avaient privé mon enfermement et que j'étais actuellement en train d'affronter, me confortait de l'inverse, j'étais tout sauf endormie.


 Ce fut cette vision infernale, qui rappela le désir d'oublier et de mettre fin à ma vie que j'avais contracté au fil des sévices que je subissais dans les cachots. C'est aussi cette même volonté qui me conduisit jusqu'à cette île inconnue, comme guidée par mon désespoir. J'avais traversé des plaines verdoyantes, marché à travers de vastes forêts, puis, j'avais fini par arriver à ces falaises, surplombant un océan tumultueux, comme si c'était mon propre esprit que j'étais en train de contempler. C'est ainsi que mon souvenir se terminait, que je reprenais le cours de mes pensées. Je fermai les yeux et étendis les bras dans les rafales venteuses chargées d'eau salée. Derrière moi, les multiples bruissements émanant d'un bosquet paisible se mélangeaient aux claquements des vagues sur les parois érodées. La brise marine, remplissait mes poumons d'un air frais, l'odeur de l'iode purifiait mes narines. Je fis trois pas en avant, atteignant le rebord de la paroi, puis me laissai tomber. Je ne sentis que l'impact d'un rocher solide, me brisant l'abdomen, écrasant ma poitrine et broyant tous mes organes. La caresse de l'eau, liée aux sveltes mouvements des vagues, donnait une dernière fois à mon corps l'impression d'être en vie.

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