Chapitre 46I: mon unique

4 minutes de lecture

Pour la Saint-Nicolas, les villageois, chaque année, organisaient une grande fête, où chaque habitant apportait des victuailles, souvent pas grand chose, mais qui donnait multiplié par cent un immense banquet organisé dans la plus grande maison du village. Les propriétaires, d'adorables gens, l'avaient acheté il y a une vingtaine d'années à la famille d'un ancien architecte qui venait de décéder, et qui y avait élevé sa famille nombreuse. Elle était majestueuse, bien bâtie, et sous les fenêtres du rez de chaussée d'où émanaient en été les odeurs de cuisine, des rosiers avaient été plantés. Le salon était simple, traversé d'une longue table bordée de deux bancs, où nous nous assîmes tous pour dévorer ce que chacun avait apporté.

Il n'y avait pas une grande diversité de plats, puisque tout le monde où presque avait apporté une bouteille de piquette, du boudin aux pommes auquel je goûtais pour la première fois, et une tarte. Il y avait plus d'enfants que d'adultes à ce banquet, et leurs cris, leurs rires et leurs chamailleries me rappelèrent mes années de jeune mère, avec Émile et Léon-Paul. Ce dernier, mon beau jeune homme de vingt-quatre ans, mon unique enfant, riait a gorge déployée en écoutant les plaisanteries graveleuses des paysans gras et rouges qui se remplissaient le ventre devant mes yeux dégoûtés.

Le premier janvier au matin, les cloches sonnèrent pour célébrer la naissance des premiers triplés qu'aient connus le village depuis des décennies, en même temps d'être les derniers bébés de l'année 1797. Au chevet de la paysanne rodée à l'exercice et déjà d'aplomb pour retourner dans les champs, une partie du village s'était réuni. Tandis que le garçon sommeillait dans le vieux berceau grinçant et rafistolé de cordes près du lit de sa mère, les deux minuscules petites filles, elles, étaient couchées dans le renfoncement de la table de chevet où l'on rangeait d'habitude le pot de chambre. Enveloppées d'un seul et unique linge tâché de je ne sais quoi, sans doute nées avant terme, leurs yeux étaient globuleux, et leurs têtes à peine plus grandes que la circonférence d'un verre. Les nombreux autres enfants du ménage s'égayaient dehors, tandis que le père, robuste campagnard au vieux galurin vissé sur la tête, tapotait les joues du fils plus vaillant et généreusement abreuvé à la mamelle maternelle. Comme je m'en doutais, le berceau de fortune des nouvelles nées devint rapidement leur tombe, puisqu'elles expirèrent chacune leur tour durant la journée de leur venue au monde.

La veille du cinq janvier, je préparais mes affaires pour partir un mois et demi à Paris avec mon fils. Le matin, j'étais contrainte de l'appeler, car mon dos empêchait mes mouvements. J'entendais ses pas rapides dans les escaliers.

—''Et bien ? Que se passe t-il ?

—''Aidez – donc votre vieille mère toute gâteuse.

Il m'attrapa sous les aisselles pour me mettre debout.

—''N'exagérez pas maman.

Une fois que je fus assise sur mon lit, il quitta ma chambre en m'informant du départ dans une heure.

Lentement, essayant de minimiser la douleur, j'enfilais ma robe serrée non pas par un corset mais par une petite lanière plus confortable et d'avantage à la mode de Paris. Une couverture sur les épaules et mes bas enfilés, car le temps dehors était glacial, j'appelais la domestique pour qu'elle vienne descendre ma malle. Une heure plus tard, après mon déjeuner, nous prîmes la route de la capitale. En chemin, mon fils, installé en face de moi, m'annonçait les formalités.

—''Je vous payerais les nuits d'hôtel jusqu'au quinze février. Vous risquez de vous ennuyer ferme mais bon, c'est vous qui avez tenu à m'accompagner.

—''Je change de sujet si vous me le permettez. Avez – vous conclu de la date de vos fiançailles ?

—''Pour l'instant, tout est au point mort car Marie est souffrante. Dès qu'elle se rétablira, nous nous fiancerons. J'ai terminé de payer la dot que je devais à son père, donc je suis sûr de pouvoir l'épouser.

Le trajet n'étant pas long, nous arrivâmes dans la soirée. Me souvenant bien de l'adresse, et comme ce n'était pas loin du tout, je me rendais à pied chez Gustavine le jour suivant, pour lui donner des nouvelles et en demander, elle qui ne m'écrivait pas. Confiante, je frappais. Au bout de mille coups, un jeune homme apparaissait dans l’entrebâillement. Ses cheveux étaient ébouriffés, sa voix lasse et fatiguée.

—''Oui...

—''Suis – je bien chez Gustavine Aubejoux?

—''Vous devez faire erreur. Bonne journée.

Et il refermait sa porte. Je réfléchissais, mais j'étais sûre qu'elle vivait là. Adossée au mur, j’hallucinais. Aurait-elle déménagé ? Perdu son travail ? Se serait t-elle remariée en si peu de temps ?

Comment aurais - je pu le savoir ? Elle n'avait plus vraiment de famille proche, et aucune personne ici à qui elle aurait pu confier ses déboires ou éventuels changements de vie. Je retournais stupéfaite à l'hôtel, perdue, noyée dans ces questionnements qui sans doute, resteraient sans réponse. Pas résignée pour autant, j'en parlais à Léon – Paul le soir à la table du restaurant, tournant sans appétit ma fourchette dans l'assiette.

—''Votre demie – sœur à disparue.

Il enfourna dans sa bouche son morceau de viande avant de me répondre.

—''Qui ? Gustavine ?

—''Vous n'en avez qu'une à ma connaissance.

—''Vous êtes allée la voir aujourd'hui ?

—''Hé oh! Je ne serais pas en train de vous signaler sa disparition si je l'avais vue aujourd'hui. Elle n'habite plus dans l'appartement qu'elle occupait lors de mon départ.

Il avala une gorgée de vin, puis posa son verre.

—''Ne fait t-elle pas ce qu'elle veut ? Vous n'êtes pas sa mère à ce que je saches.

—''C'est quand même inquiétant... Si seulement elle m'avait écrit... N'oubliez pas qu'elle a deux petites filles avec elle. Si par hasard vous la croisez à l'hôpital...

—''Ce sera la seule fois où on espéra pour une personne qu'elle se blesse ou qu'elle tombe malade.

—''Pas forcément, peut-être a t-elle simplement déménagé pour pouvoir faire sa formation de sage – femme à l'Hôtel Dieu. J'espère juste qu'elle va bien, c'est tout.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Lanam ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0