Chapitre 46H: circoncision ⚠

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Nous installâmes un grand chiffon usé pour y déposer le nouveau–né, qui remuait beaucoup, et ainsi préserver du sang les draps immaculés du lit conjugal. Même si ni mon fils, ni son collègue n'avaient fait cela de leur vie, ils avaient appris l'art de circoncire dans les livres de médecine.

Léon – Paul comptait retirer toute la peau du capuchon qui le compressait au point de quasiment interrompre la circulation sanguine. C'est lui qui aurait la lourde tâche d'inciser et d’ablater, pendant que la maman rassurerait le petit, et qu'avec monsieur Guedon, nous lui maintiendrons les jambes pour qu'il ne bouge pas, au risque de transformer l'opération en boucherie. Quand nous fûmes tous prêts, et que la domestique avait reçu l'ordre de ne nous déranger qu'en cas d'urgence, Léon – Paul s'agenouilla entre les jambes de l'enfant suffisamment écartées, chaussa ses lunettes, et armé de son bistouri, incisa le contour. Dès que la lame pénétra sa peau, le nouveau – né se mit à pousser des cris déchirants d'une intensité que je n'avais encore jamais entendue. On ne savait pas trop si il souffrait, mais sa mère faisait de son mieux pour le calmer. Elle embrassait sa joue et son front trempés de sueur et de larmes, en chuchotant son petit nom.

—''Chuuuuut.... Mon Théo...

Ses efforts n'apaisèrent pas son fils le moins du monde. Le docteur Aubejoux, extrêmement concentré, essayait de ne pas se laisser distraire par ces hurlements atroces. Au bout de vingt minutes, il soupirait, relevait la tête et déclarait en tamponnant le sang qui coulait de la chair désormais à vif :

—''J'ai terminé.

Il descendait du lit le petit bout de peau dans la main, et déposa sa paire de lunettes sur la commode. Ensuite, nous lâchâmes les jambes du bébé hurlant qui se remettaient à gigoter à droite et à gauche et sa maman le serra contre elle en évitant de frôler le membre sensible. Cette fois, il se calma. Je lui installais la chaise qu'elle me demanda de tourner vers la fenêtre, et Théotiste l'allaita en lui chuchotant son surnom. Je m'approchais d'elle.

—''Il va mieux ?

—''En tout cas il a l'air. Je suis contente qu'il prenne bien le sein.

La jeune femme enroulait ensuite son bonhomme dans un lange et elle me suivait en bas, dans le salon, pour aller féliciter mon médecin de fils de sa prouesse. Accoudé à la table de la cuisine, il se coupait des morceaux de gâteau aux noix, en facilitant la descente avec des goulées de vin rouge. Il se frottait les mains pleines de miettes contre le pantalon et dégageait le lange du petit que sa mère tenait dans ses bras, pour jeter un dernier œil à la plaie rosâtre.

—''Il est très important que vous nettoyiez bien tous les jours, et à chaque changement de langes, car les selles et l'urine risquent d'irriter fortement les chairs à vif. D'accord ?

—''Oui docteur. Quand sa peau commencera t-elle à repousser ?

—''Je suis désolé de vous dire que je n'en sais rien. En revanche, ce dont je suis sûr, c'est que cela n'aura pas d'incidence sur sa fertilité plus tard.

Il s'adressait ensuite à monsieur Guedon en levant son verre.

—''Je suis content d'avoir réussi ma première circoncision.

Théotiste rajoutait, en berçant son fils.

—''Il va avoir l'air d'un petit juif, ainsi épluché.

Nous rimes. Sauf monsieur Guedon, visiblement, qui se leva en pointant son épouse du doigt.

— ‘’ Ça suffit maintenant avec tes bêtises ! D'abord tu mets en grave danger la vie de notre fils, alors qu'il aurait simplement suffit que tu m'en parles avant de tenter tes expériences et comble du culot, tu le traites de juif parce-qu’une âme charitable à décidé de ne pas le laisser crever ! Disparaît de ma vue maintenant, je ne veux plus te revoir avant le souper.

Soumise et résignée, la jeune femme quittait la pièce pour remonter avec son fils dans les bras. Son mari n'était pas du genre à se laisser marcher sur les pieds. Après la petite altercation, persuadés que nos présences dérangeaient, nous quittâmes les lieux.

Au village, en cette fin d'après – midi là, les cloches se mirent a sonner à cinq heures et demie. Je sortais prendre l'air : les fleurs et le riz volaient sur le parvis de l'église. Un couple suivi d'une foule sortait de l'édifice en tenant un bébé joliment habillé dans les bras. Ce n'était pas un mariage comme je le croyais au début, mais bien un baptême. Le parrain et la marraine s'embrassèrent sur les marches sous les cris des enfants du village auxquels ont jetaient des dragées. Mon fils m'expliquait le soir venu que c'était une coutume répandue pour porter chance au bébé. A Paris ou Rouen, les naissances étaient plus anonymes et les baptêmes d'avantage formalistes que festifs.

Dix jours après son intervention sur le fils de Henri et Théotiste, Léon – Paul retourna les voir. A son arrivée, le soir même, les nouvelles étaient plutôt bonnes : la plaie avait cicatrisé, l'enfant urinait normalement et ne criait plus lorsqu'on y touchait. Il était heureux d'avoir réussi, car ce n'était pas gagné. Je l'embrassais, très fière.

—''Vous êtes un grand médecin mon fils. Vous devriez passer votre diplôme.

—''C'est prévu maman. Je descendrais à Paris en janvier prochain pour un séminaire et obtenir le sésame. Comme ça, après mon mariage, je pourrais exercer à l'Hôtel Dieu de Rouen.

—''M'emmènerez – vous ?

—''Si vous voulez, mais ces quarante jours risquent de vous paraître long.

—''Oh non... Mais vos patients ? Qui s'en occupera ?

—''Henri passera dans mon cabinet tous les deux jours pour régler les cas importants. C'est un grand ami vous savez...

Il y avait environ deux mariages par an, un baptême deux ou trois fois par mois, et tous les trois ou quatre jours, un décès. A chaque fois, les cloches sonnaient et le cortège funèbre défilait dans le village, jusqu'au cimetière communal, près de l'église. L'hiver, beaucoup de personnes âgées et de bébés décédaient du froid, dans leurs maisons mal chauffées. C'est ainsi qu'un jour triste de novembre, c'est pas moins de six petits cercueils qui défilèrent en l'espace d'une heure. Une fratrie que les parents avaient voulus protéger du temps glacial et qui avait été décimée par la variole, parce qu’ils étaient restés les uns sur les autres dans l'unique pièce qui leur servait de toit.

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