Chapitre 46A: Normandie

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Comme d'ici deux mois, je me retrouverais seule dans mon petit appartement parisien, pour la toute première fois de ma vie, que je ne pourrais plus payer le loyer et que cela m'angoissait réellement, j'écrivais à mon fils aîné pour pouvoir le rejoindre en Normandie. Déménager ne me ravissait pas énormément non plus, mais rester seule était pour moi pire. J'en parlais à ma belle – fille qui haussait simplement les épaules en prenant Bernadette sur ses genoux. La petite qui allait avoir cinq ans changeait beaucoup, ne serait – ce par son caractère qui s'assagissait.

C'est un mardi de mai que je recevais cette lettre, destinée à ma belle – fille. Comme elle était absente à ce moment – là, et que je mourais d'envie de savoir qui lui écrivait, j'ouvrais proprement l'enveloppe.

Gustavine,

Ne t'en fait pas, je ne t'ai pas oublié durant ces cinq années. Comme je me disait que le pardon était le salut de l'homme, peut – être accepterait tu de venir me parler. Il faut que je t'explique pourquoi je suis parti et pourquoi penses - tu que je t'ai abandonnée. Si tu refuses obstinément, saches que je conserve même en étant divorcé le droit de voir mes enfants. Mon épouse m'incite à réclamer et à faire valoir mes droits de père, et elle a parfaitement raison car c'est ce que j'ai décidé de faire. Si tu persistes dans ton idée de procès, je lèverais la famille contre toi et n'oublie pas que j'ai les moyens du meilleur avocat de la ville.

Étienne.

J'ignorais qu'elle avait repris son idée d'engager des procédures pénales contre son ancien mari, et cette lettre prouvait qu'il était un vrai salaud, ne la recontactant que par peur de devoir payer des frais monstres en avocats et procès, alors même qu'il lui devait déjà une somme conséquente en rente impayée. Je savais bien qu'il n'avait rien a faire de ses enfants et qu'elles n'étaient qu'un prétexte. Un prétexte pourtant parfaitement légitime aux yeux de la famille et de la loi.

Ne sachant trop quoi faire devant cette enveloppe décachetée, et ayant peur de la réaction de Gustavine, je prenais mes précautions en recopiant l'adresse sur une neuve, et coulant la cire pour faire comme si elle n'avait jamais été ouverte. Si je n'avais pas omis d'y glisser la lettre, tout aurait très bien pu fonctionner. Heureusement que je m'en apercevais à temps et que je pu tout recommencer.

Je la laissais sur une pile de papiers dans la chambre, en faisant mine de l'avoir reçu puis oubliée lorsque ma belle – fille était de retour le samedi suivant. Je la lui tendais avec détachement, elle la retournait pour voir le destinataire. Comme ça n'était pas écrit au dos de l'enveloppe originale, je ne l'avais pas noté. Elle déchirait de son annulaire le bord de l'enveloppe pour pouvoir l'ouvrir, et au bout de quelques secondes, après avoir su le destinataire, elle quittait la pièce, par pudeur je pense. Cela devait lui sembler tellement intime, pour qu'elle s'isole comme ça. Je n'aurais peut – être pas dû la lire. Innocemment, lorsqu’elle revenait, je lui demandais :

—''Qui étais – ce ?

— '' Étienne. Il voudrait voir ses enfants et je ne sais comment l'en empêcher.

—''Comme ça. Il vous abandonne pendant cinq ans et il vous écrit un beau jour, pour voir ses filles.

Elle riait nerveusement.

—''Le fait en lui – même qu'il voit Jacqueline et Bernadette ne me dérange pas, voyez – vous, mais c'est surtout que je serais obligée de les accompagner et je n'ai aucune envie de le revoir.

—''Peut – être y a t-il autre chose derrière sa lettre. C'est la première fois qu'il vous écrit ?

—''Non, mais je ne vois pas. Je ne sais pas. Elle quitta le salon perturbée.

Le matin suivant, avant la messe, je m'occupais de laver les cheveux des filles pendant que Gustavine, attablée dans la chambre, écrivait, sans doute à son ancien mari. Soigneuse et appliquée, je retrouvais un instant la brillante élève qu'elle avait été. Comme tous les dimanches, Bernadette, la tête savonneuse penchée au dessus du baquet, la relevait car c'était une position inconfortable, recevait du savon dans les yeux, criait et se les frottait en aggravant sa douleur. Je m'empressais de les lui rincer, mais c'était inévitable du fait de son caractère qui la rendait incapable de rester en place. Sa sœur aînée n'avait jamais eu ce souci, notamment parce-qu’elle ne bougeait pas dans tous les sens et que l'opération prenait moins de temps, étant de ce fait moins inconfortable.

Deux semaines plus tard, un dimanche après – midi, ma belle – fille préparait ses enfants à aller voir leur père. Je devinais dans sa voix que ses larmes n'étaient pas loin, et je ressentais énormément de compassion.

—''Où vous a t-il donné rendez – vous ?

—''Dans un square non loin d'ici. Oh Louise, je n'ai tellement pas envie d'y aller...

Elle venait vers moi et je lui donnais un baiser d'encouragement. Les petites filles avaient l'air impatientes, surtout Bernadette qui ne l'avait jamais vu et qui sautillait sur place en répétant :

—''Je vais voir mon papa ! Je vais voir mon papa !

Elles finissaient par sortir et je passais le début de l'après-dîner à me demander comment la rencontre se déroulait. Elles rentrèrent vers seize heures et c'est Jacqueline qui m'expliqua, en allant s'asseoir près de moi.

—''Maman a pleuré car Étienne l'a giflée.

—''Seigneur... Est t-elle dans la chambre ?

—''Oui.

Je me rendais dans la pièce où la jeune femme sanglotait la tête sous son oreiller. Je m'asseyais au bord du lit, soulevant doucement le coussin.

—''Il vous a fait du mal ?

—''Oui, en plus des deux gifles, il m'a traité de pauvre idiote et il m'a dit que Bernadette portait un prénom horriblement laid.

—''Que s'est t-il passé pour en arriver là ? Hein ?

—''Je lui ai simplement dit qu'il me devait beaucoup d'argent et que j'engagerais un procès contre lui en y mettant toutes mes économies s'il le fallait. Ça l'a énervé.

Bernadette, qui ne mâchait pas ses mots, me confiait qu'elle ne voulait plus jamais revoir son père parce-qu’elle le trouvait moche et qu'il ne sentait pas bon. La petite fille de trois ans et demi avait dû graver dans son esprit le déchaînement de violence entre ses parents, identifier son père comme le '' méchant'' et ne sachant pas comment exprimer cela, elle avait pris ce qu'elle trouvait de plus simple.

Vers le vingt juin, Gustavine recevait une lettre qui l'informait du rendez – vous avec l'avocat, le 22 novembre prochain. Le début d'un labyrinthe sans fin, sachant qu'elle ne pouvait pas savoir où elle allait.

Le vingt – six, Jacqueline souffla sa septième bougie et atteignait ainsi l'âge de raison. Elle ne savait encore ni lire, ni écrire, mais comme toujours, rien ne pressait. C'était une petite brune dont les cheveux jamais coupés tombaient en bas du dos lorsqu'elle les détachait. Les beaux jours, elle les portait en chignon sous un petit châle, ou un chapeau en cas de mauvais temps.

Le début du mois de juillet fus rythmé par l'attente de la visite de ma nièce. Le dix, je me levais le cœur battant en les imaginant devant la porte, et je passais la journée assise près de la fenêtre à regarder les voitures passer. Ils n'arrivèrent ni le lendemain, ni encore le surlendemain ou les autres jours. Nous les attendîmes ainsi avec de plus en plus d'impatience pendant une semaine, ravalant notre déception à chaque fois que c'était le facteur ou un voisin.

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