Chapitre 45A: poliomyélite

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Par un triste et pluvieux jour de mai, je réalisais que d'ici six mois, ma sœur chérie aurait eu cinquante ans. Je suis sûre qu'elle aurait été très fière des adultes qu'étaient devenus ses enfants, et tellement heureuse de cajoler ses petits-enfants. Je me rendrais sur sa tombe le deux novembre, pour ne jamais cesser d'honorer sa mémoire.

C'est ce mois – ci que la Sardaigne céda à la France le comté de Nice et la Savoie. Cela ne changerait assurément pas ma vie, mais il était toujours bon de le savoir.

L'état d'André s'améliorait de jour en jour. Ses quintes de toux baissaient d'intensité et il reprenait des forces en mangeant d'avantage. J'étais rassurée.

Lorsque le dimanche vingt – six juin arrivait, et que Jacqueline avait désormais six ans, la question se posait de son éducation. Comment apprendrait t-elle tout ce que les enfants de son âge doivent connaître pour être instruits ?

Sa mère ne s'inquiétait pas du tout pour elle.

—''Quand j'aurais fait ma formation et que nous aurons déménagé, je lui apprendrais moi-même à lire, écrire et compter. En attendant, rien ne presse. Ma mère ne savait elle – même pas lire et c'était la plus aimante et la plus heureuse des femmes.

J'avais du mal à croire que l'on puisse être parfaitement épanoui et heureux dans sa vie sans savoir aligner deux mots sur le papier ou les déchiffrer.

Ma belle-fille avait abandonné l'idée d'écrire à ses beaux-parents et cela se manifestait notamment par ce papier daté du six février qui trônait toujours sur la table du salon.

Un matin de juin, le vacarme d'une chute d'objet dans les escaliers me réveillait. La petite Jacqueline, qui apparemment ne dormait plus depuis longtemps, bondissait de son lit pour aller voir ce qu'il se passait. J'entendais la porte d'entrée qui s'ouvrait, et sa petite voix aiguë. Je m'étirais et me levais à mon tour, enfilant ma robe de chambre accrochée au cadre du lit et refermant soigneusement la porte pour ne pas déranger les autres avec la lumière du jour. Jacqueline observait statique l'homme aux cheveux ébouriffés qui montait avec difficulté un meuble à l'étage. Mes mains sur les épaules de l'enfant, je faisais de même.

—''Bonjour madame ! Me lança t-il en sueur en levant la tête de son ouvrage.

—''Monsieur. Emménagez – vous par ici ?

—''Non! Je viens de la part du propriétaire remplacer certains meubles au troisième étage ! Soufflait t-il de fatigue en reposant un coin de l'armoire sur une marche.

Je me tournais doucement vers Jacqueline, qui ne quittait pas l'homme des yeux.

—''C'est là où vous habitiez il n'y a pas si longtemps avec votre maman et votre sœur. Vous en rappelez – vous ?

—''Non. Me répondit-elle peu intéressée par ma question en se détournant.

Je m'adressais de nouveau à l'homme.

—''Bonne journée.

Sans attendre une quelconque réponse, je suivais Jacqueline pour aller prendre mon déjeuner. Dans l'après – midi, je montais discrètement au troisième étage pour aller voir comment avançait les choses. Par la porte ouverte, je pouvais voir le salon d'un logement exigu et simplement meublé, au milieu duquel une armoire neuve était posée. Sur le palier, un vieux meuble rongé de vermine attendait que l'on vienne sonner son glas. J'ignorais bien qui viendrait vivre ici. Sans doute encore de pauvres locataires que le propriétaire ne tarderait pas à expulser au premier loyer impayé.

L'été passait et mon fils de quinze ans s'inquiétait de son avenir. Souvent, il me demandait pourquoi je n'avais pas de réponse à la lettre que j'avais prétendument envoyée au couvent des Magdaléniens de Compiègne. Si je mentais à André, c'était pour son bien, pour qu'il ne soit pas malheureux et désespéré.

Par une très chaude nuit de septembre, les râles de mon fils me réveillèrent. J'allais à tâtons estimer son état, et la main que je passais sur son front trempé de sa sueur ne me mentait pas. J'allumais une bougie et je rassurais mon pauvre enfant gémissant de douleur, qui saignait du nez tellement la chaleur l'accablait. Devant tant de détresse, je l'emmenais tant bien que mal près de la fenêtre du salon, que j'ouvrais en grand ainsi que les volets. Dehors, il faisait nuit noire, et les quelques rares voitures qui circulaient encore devant chez nous berçaient nos oreilles de ce pas régulier sur le pavé. Je lui donnais de l'eau, et j'asseyais sur la chaise celui dont la très faible brise caressait la figure endolorie. Je m'asseyais toujours en le soutenant, car il était très faible, et en essuyant de mon mouchoir le sang qui s'écoulait de ses narines. Le sommeil finissait par m'emporter.

Le lendemain, le médecin examinait sérieusement mon fils, pâle et amaigri. Sa langue était étrangement blanche, il s'était remis à saigner du nez, et sa fièvre qui avait malgré tout baissée persistait. Après l'examen complet, il me rendait son verdict.

— '' Écoutez madame, d'après ce que j'ai constaté, votre fils présente tous les symptômes d'une grave maladie infectieuse qu'on appelle '' fièvre typhoïde ''. Le pronostic n'est pas bon.

—''Combien de temps lui faudra t-il pour s'en remettre ?

—''Si la maladie n'empire pas, vous devriez voir des améliorations d'ici deux ou trois semaines... Je voyait bien qu'il n'était lui – même pas convaincu de ce qu'il disait.

Une fois dans le salon, l'homme quitta le logement sur ces derniers mots.

—''Personnellement, je vous conseille d'informer votre famille. Car les chances qu'il s'en sorte sont quasiment inexistantes et cela tiendrait plus du miracle.

Je refermais presque la porte sur lui, comme pour essayer de me convaincre qu'il n'était pas venu et qu'il n'avait pas dit ça. Je prenais les mains glacées de mon fils et je les baisais jusqu'à ce qu'elle retrouvent un peu de leurs couleurs. André respirait régulièrement, les yeux fixant le plafond. Un instant, j'essayais de l'imaginer en bonne santé, qu'il se lèverait de son lit et que nous irions nous promener tranquillement, sous le doux soleil de ce mois de septembre. Son nez qui se remettait à saigner était comme un dur rappel à la réalité. Je serais bien restée toute la journée à ses côtés, mais malheureusement, Jacqueline et surtout Bernadette réclamaient elles aussi de l'attention. Je préparais de la purée de pommes de terre pour le dîner, et comme Jacqueline, qui pouvait désormais m'aider, s'occupait de mettre la table, servir sa sœur et elle-même, je pouvais aller m'occuper de mon enfant.

Je m'asseyais au bord de son lit et je tentais de le nourrir un peu. Il ouvrait la bouche, sans doute affamé depuis le temps que je n'arrivait pas à le faire manger, et il avalait lentement, bouchée par bouchée, près du quart de l'assiette que j'avais préparé pour lui. Cela me rassurait énormément.

Je pouvais ainsi aller m’enquérir des enfants que je n'entendais pas. Elles mangeaient sagement attablées, et même si Bernadette avait les coudes sur la table et qu'elle dévorait déjà son dessert, j'étais satisfaite de leur attitude. Le soir venu, comme André toussait assez fort, et que les enfants qui me le réclamait depuis longtemps le méritait, du fait de leur comportement exemplaire, j'installais leurs deux matelas par terre dans le salon, et je tendais un drap entre deux chaises au dessus, pour faire comme si elles campaient. Jacqueline et Bernadette eurent du mal à s'endormir tant elles étaient excitées et je les entendais rire depuis la chambre. De plus, le lendemain matin je devais attendre qu'il soit une heure raisonnable pour me lever et donc, les réveiller.

C'est ce qu'elles retinrent de leur semaine. Le samedi soir, lorsque leur mère rentra épuisée, elles lui sautèrent au cou en racontant ce que je leur avais accordé quelques jours avant, comme si il s'agissait pour elles du cadeau le plus incroyable que je puisse leur offrir. J'étais contente qu'il suffise de ça pour leur faire plaisir.

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