Chapitre 44B: Théotiste

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Léon-Paul fit allonger son frère pour ausculter ses jambes. Après tout, il était médecin. Pendant que j'observais mon fils anxieuse, Gustavine discutait avec Théotiste et son mari, médecin lui aussi. Au bout de cinq minutes, Léon – Paul relevait la tête.

—''Alors ? M’inquiétais – je

—''Il n'y a pas de surprise. Ce sont les séquelles de la poliomyélite. La croissance de ses jambes vient de s'arrêter, et le fait que le reste de son corps continue de grandir ne fait qu'empirer les choses et fragilise l'os. Je suis désolé mon frère mais je crains que d'ici quelques mois, vous ne teniez même plus sur vos béquilles.

Après ce douloureux diagnostic, nous discutâmes avec les amis de Léon – Paul. Ils habitaient à la Houblonnière, près de Rouen. Comme Théotiste était originaire de Versailles, et que de ce fait toute sa famille vivait là – bas, ils s'y étaient mariés.

Léon – Paul, invité aux noces, en avait profité pour passer me dire bonjour. Ils passèrent l'après – dîner avec nous, et pendant que Théotiste s'extasiait sur Bernadette qui racontait à sa manière l'histoire que sa mère lui avait lu le matin même, Léon – Paul, assis sur le lit, écoutait son petit frère lui raconter ses déboires et ses anecdotes ramenées de l'école. Je donnais aussi des nouvelles de la famille à mon fils aîné, de Malou partie à Bordeaux, et de son frère Auguste, installé à Rouen avec son épouse.

Le soir venu, ils prirent leur souper en notre compagnie avant de rentrer à l'hôtel. Pour André, quitter son frère fus difficile, mais il avait quatorze ans passés et je refusais de sa part une attitude de petit garçon pleurnicheur.

Comme le seize août tombait un dimanche mais que Gustavine désirait acheter le cadeau en avance, elle se rendit le quinze chez le bijoutier pour aller acheter la paire de boucles d'oreilles qui serait offerte à Bernadette pour son troisième anniversaire. Elle me les montrait en rentrant, deux petites agates blanches identiques à celles de Jacqueline qui scintillaient dans leur écrin. Elle avait fait suffisamment d'économies durant cette année pour pouvoir payer le bijou et elle me confiait qu'elle s'en serait voulue de ne pas pouvoir offrir le même cadeau à ses deux filles. Le lendemain, une fois le gâteau dégusté, Bernadette ouvrait l'écrin. Croisant d'abord les bras, fronçant ses fins sourcils elle s'en allait bouder dans sa chambre en marmonnant. Sa mère me regardait étonnée, avant d'aller la chercher dans la chambre. Elle revenait sa petite fille dans les bras, et pendant qu'elle l'installait sur la chaise, je faisais chauffer les bâtonnets de bois. Ensuite, nous aurions espéré que tout se passe comme avec sa sœur deux ans auparavant, dans le calme malgré les pleurs inévitables. C'était sans compter le caractère difficile de Bernadette.

Lorsque Gustavine dégageait ses cheveux et lui tenait la tête pour que je puisse percer son lobe, elle se débattait avec force en criant et en pleurant, plantant ses dents aiguisées dans la peau de sa mère qui lui donnait une petite gifle. Lorsque je m'approchais d'elle, elle me mordait avec tant de force que je lâchais par réflexe le morceau de bois brûlant qui rebondissait sur mon avant – bras et qui tombait par terre. J'appliquais une compresse fraîche pour diminuer la douleur de la brûlure, et je regardais l'endroit où elle m'avait mordu : la blessure en demi – cercle saignait. Gustavine, très énervée, punissait sa fille en la laissant seule sur le palier, et elle pleurait si fort que nous l'entendions depuis le salon. Jacqueline quant à elle, restait tranquillement assise sur le canapé, nous observant de ses yeux d'ange. Quand nous n'entendîmes plus sa sœur et que la sanction était terminée, Gustavine s'en allait la récupérer. Elle avait laissé la porte ouverte et de ce fait, je pouvais la voir s'affoler.

—''Bernadette ! Bernadette où es – tu?!

Je la rejoignis fissa en comprenant que quelque chose d'inquiétant se passait. En effet, la petite fille de trois ans avait disparue. La jeune mère affolée descendit pour la chercher, pendant que je montais. Je m'en allais frapper aux portes du voisinage. Personne ne répondit à la première mais je reconnu la voix de la petite fille en bas. Je descendais, profondément rassurée. Gustavine tenait dans ses bras sa petite fille et elle s'apprêtait à rentrer. Je la suivais. Une voisine s'était inquiétée de l'entendre pleurer, elle était descendue et la voyant assise en larmes sur le paillasson, elle l'avait ramenée chez elle.

Le lendemain, nous reçûmes la visite de la dame en question qui venait prendre des nouvelles de Bernadette. Elle souriait en tendant une pâte de fruit à l'enfant qui ne manquait jamais une occasion de pécher par sa gourmandise. C'est de ce fait que nous l'invitâmes à boire un thé. Bavarde comme une pie, je suis sûre qu'elle ne savait même pas nos prénoms quand nous connaissions les surnoms de chacun de ses enfants.

Quand elle trouvait madame crotte ( c'est ainsi que Bernadette prenait plaisir à l'appeler), par terre, les cheveux coupés si courts qu'on ne pouvait faire plus court, elle s'en inquiétait et leur promettait une nouvelle poupée. Elle s'absenta dix minutes pour revenir avec un sachet plein de pâtes de fruit, de surcroît je revoit Bernadette, la bouche maculée de sucre, se léchant les doigts après en avoir avalé l'intégralité. Si sa mère n'avait peut – être rien vu sur le moment, en revanche, c'était elle qui se trouva réveillée en pleine nuit par ses vomissements et ses pleurs. Le problème quand il n'y avait qu'une seule chambre, c'était que quand quelqu'un était malade, il réveillait toute la pièce, par la lueur de la bougie qu'on était contraint d'allumer et les bruits. L'odeur du vomi me sauta au nez lorsque je me risquais à respirer en dehors de sous ma couverture. J'en avais mal au cœur.

Le lendemain, elle rapporta une belle poupée aux filles, qui, sur les sollicitations de leur mère, la remercia d'un baiser. Quant à Bernadette, elle allait beaucoup mieux, mais désormais, elle ne toucherait plus à une seule pâte de fruit.

Bernadette, couverte de petits boutons rouges des pieds à la tête, se promenait nue dans l'appartement, rendu sombre par les volets que je fermais à moitié à cause de la grande chaleur qui régnait en ce mois d'août. Sa mère, le dimanche d'avant, m'avait déconseillée de la couvrir car cela la grattait d'avantage et lui provoquait des irritations en plus de la faire transpirer. Sa sœur attrapait le même mal quelques jours plus tard, mais à cinq ans, je ne pouvais plus la laisser sans chemise. Je me plaisais à les appeler ''mes petites coccinelles''. Elles eurent chacune une montée de fièvre dans la nuit de mercredi à jeudi, et je restais donc près d'elle, assise au bord de mon lit, essayant de ne pas m'endormir. Je me replongeais alors dans cette terrible nuit du vingt au vingt et un juillet 1774, où j'avais perdu mon fils de sept mois d'une fièvre excessive. Je me rassurais en me disant qu'elles étaient beaucoup plus âgées que Simon au moment de sa mort, et donc moins fragiles.

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