Chapitre 43D: novembre 1794

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Un matin de novembre, il devait être onze heures, Gustavine m'avait gentiment demandé de garder ses enfants, car elle disait avoir une lessive à faire, alors je surveillais Jacqueline et Bernadette en feuilletant un magazine de mode dont le tout premier numéro était paru la semaine d'avant.

Une heure passa ainsi, mais je savais le temps interminable qu'il fallait pour se rendre jusqu'à la Seine et décrasser le linge, et je m'étonnais même qu'elle me dise revenir les chercher à l'heure du dîner. Lorsqu'elle frappa à midi moins le quart, je me disais qu'il y avait vraiment un problème. Les enfants, elles, toutes contentes que leur mère arrive plus tôt, furent vite repoussée. Leur mère n'avait pas l'esprit aux réjouissances. Les cheveux attachés promptement, la boutonnière de sa robe à moitié défaite, Gustavine n'avait sûrement pas été laver son linge. Je la laissais entrer, la jeune femme avait le regard vide, et elle manqua de tomber, si bien qu'il fallait que je lui apporte la chaise. Je me penchais vers elle, prête à l'écouter.

—''Que se passe t-il Gustavine ? Pourquoi rentrez – vous si tôt et dans cet état?

—''Je vous en parlerais ce soir Louise. Quand les petites dormiront. Pour l'instant, je préfère n'inquiéter personne.

—''Dites – moi juste si c'est grave.

—''La gravité est relative. Pour moi, c'est grave, mais je pense que cela aura moins d'impact sur vous. Ce soir, hein ? Me fixa t-elle avec insistance devant Bernadette qui nous apportait sa médaille de baptême qui s'était détachée.

—''Oh ma fille, si tu tires dessus, c'est normal qu'elle se décroche. Approche, que je te la remette. Gustavine raccrocha la médaille en or au cou de l'enfant qui repartit en trottinant. Elle referma ensuite sa boutonnière et réarrangea ses cheveux, en soupirant.

—''Ma vie est difficile en ce moment, vous savez.

—''Allez, ne vous inquiétez – pas. J'ai encore ma rente jusqu'en janvier et je peux vous héberger en cas de gros soucis. Je resterais près de vous le temps qu'il faudra, ne vous en faites pas.

Le soir venu, alors que j'espérais enfin savoir ce qui paraissait si grave pour elle, elle refusa de me parler.

—''J'ai énormément réfléchi, et je ne peux pas vous le dire. Je ne peux pas me le permettre.

—''Pourquoi donc ? Est – ce aussi grave que cela ?Avez – vous tué quelqu'un ?

Elle craqua, en me baragouinant quelques mots qu'elle faisait exprès de rendre inaudible.

—''Quoi ?

—''J'ai couché avec le propriétaire. Voilà, vous savez tout, et j'ai peur d'être enceinte. Elle se cacha le visage de ses mains en sanglotant.

—''Pourquoi avez – vous donc fait cela ? Hein ?

—''Il m'avait promis d'annuler mes deux mois de loyer si je le faisais avec lui. Mais c'est un menteur, un salopard, il va faire comme si nous n'avions rien fait et je serais incapable d'aller dire :

''Monsieur Besson, vous souvenez - vous que vous m'aviez promis d'annuler mes dettes si je vous accompagnais au lit ?! ''

—''Si il vous fait un enfant, il doit vous épouser ou vous verser une rente à vie pour l'élever. Ce serait un mal pour...

—''Arrêtez s'il vous plaît. Me coupa t-elle. J'ai l'impression d'être un tapin, je me sens sale, je ne suis pas bien. Il faut que j’aille prendre l'air.

Si elle n'était heureusement pas enceinte, je me rendais compte de la misère dans laquelle elle s'enfonçait avec moi. Le premier décembre, à huit heures tapantes du matin, le propriétaire réveilla et expulsa violemment la jeune mère et ses deux enfants de leur logement, en balançant avec négligence leurs quelques affaires personnelles par la porte. Les deux petites arrivèrent chez moi pleurant à chaudes larmes, comme leur mère d'ailleurs. Je me promettait de les héberger jusqu'à ce que les choses s'arrangent. Alors que les filles retrouvèrent vite le sourire, en croquant dans leurs tartines beurrées, leur mère était morte d'inquiétude. Elle se rongeait les ongles, car Étienne aurait déjà dû envoyer l'argent.

Le mois de décembre passa plutôt sereinement pour moi, et j'offrais même une orange pour Jacqueline et Bernadette, le jour de la Saint – Nicolas. Il faisait un froid terrible dehors mais je pouvais continuer à chauffer suffisamment le logement. Le soir, j'aimais regarder les enfants dormir paisiblement et au chaud dans leurs lits, en imaginant le cauchemar qu'elles auraient dû subir sur le trottoir si je n'avais pas pu les accueillir avec leur maman.

Alors que l'échéance de la fin de ma rente approchait, je recevait une lettre qui contenait des sous. Même si il n'y avait pas écrit le nom du destinataire au dos de l'enveloppe, le petit mot m'assurait qu'elle venait de mon fils aîné.

Ma chère mère,

Je peux enfin vous rembourser l'argent que je vous avait emprunté il y a quelques temps, car j'ai terminé d'installer mon affaire dans un cabinet au village et même fini de rembourser l'emprunt. J'exerce avec deux de mes amis de la Faculté qui eux non plus, n'ont pas eu le temps de passer leur diplôme. Comme mon ami Claude se marie l'été prochain à Versailles, je passerais peut – être vous rendre visite à Paris. Renvoyez – moi simplement votre adresse, que j'ai oublié de noter. Donnez - moi de vos nouvelles.

Léon – Paul.

Heureuse, je comptais les sous. Il y avait un peu moins que ce qu'il me devait, mais c'était déjà ça. J'avais tellement hâte de revoir mon fils.

Un soir de fin décembre, en buvant son verre de tisane, Gustavine me disait de sa voix enrouée.

—''Comme Étienne ne paye toujours pas, j'ai cherché et je viens de trouver une place de domestique chez un couple.

—''Ah oui ? M'étonnais – je. Mais... comment allez – vous faire avec les petites?

—''Je rentrerais ici chaque soir. Ils me proposent deux cent louis par mois. Je commence lundi pour ma période d'essai.

C'est ainsi que ma belle – fille partait chaque matin à pieds chez ces gens qui vivaient à deux rues de chez nous. Elle les avaient choisis exprès, pour la proximité. Là – bas, elle travaillait avec trois autres domestiques dont une cuisinière et une autre nourrice. Sa charge était principalement de surveiller durant la journée les quatre jeunes enfants du couple. En vérité, cela lui changeait peu de son quotidien si ce n'était le nombre d'enfants qui doublait.

Au bout d'une semaine de travail, la jeune femme était définitivement embauchée. Sa seule peur et le seul regret qu'elle avait était d'avoir prétexté ne pas avoir d'enfants pour être engagée plus vite. Maintenant qu'elle avait dit cela, elle n'avait plus aucune raison de refuser de travailler jusqu'à tard le soir. La journée, Bernadette faisait des crises à répétition, n'ayant jamais été séparée de sa mère aussi longtemps, qu'elle ne voyait plus guère qu'en fin de semaine. Elle était infecte. Sa sœur en revanche était un ange, regardant mes magazines de mode bien qu'a l'envers, tranquillement assise sur son lit. Si leurs caractères contrastaient, en revanche, elles se ressemblaient beaucoup sur le plan physique. Elles avaient le même nez fin, les mêmes yeux gris-bleus et les cheveux longs et châtains.

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