Chapitre 43C: juin 1794

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Comme le lendemain était un dimanche, nous allâmes le lundi suivant voir le notaire, accompagnées des deux chères têtes blondes qui tenaient sagement les mains de leur mère. J'avais fait transférer nos dossiers depuis Rouen, et pris rendez – vous. Nous attendîmes longtemps assises sur les deux pauvres chaises installés dans l'entrée. Alors que nous avions les yeux dans le vague, en regardant les deux petites jouer accroupies sur le grand tapis, je sentais soudainement une curieuse odeur d'ammoniac qui flottait dans l'air. C'est en me penchant sur Bernadette que je me rendais compte de ce qu'il se passait. Une grande tâche humide s'étendait sur le tapis, et elle marchait dedans.

—''Gustavine...

—''Oui, que se passe t-il ? Se tourna-elle en souriant vers moi

—''Je crois que Bernadette n'a pas su se retenir.

Elle se leva de la chaise et souleva sa fille assise au milieu de sa flaque. Le bas de sa robe était trempé, mais ça n'avait pas l'air de la déranger. Gustavine s'écria, tout en la soulevant par les épaules.

—''J'oublie une fois de te mettre des langes et forcément, c'est chez le notaire que tu me fais ça ! Franchement Bernadette, tu exagères !

Elle retira la robe de sa fille, qui se mit a galoper nue dans la salle d'attente. Sa mère la rattrapa sévèrement, puis elle lui attrapa le menton pour qu'elle la regarde.

—''Tu as décidé de me rendre chèvre ? Regarde – moi Bernadette. C'est ça que tu veux ?

Elle l'allongea ensuite par terre, essuya sa minette et ses fesses de la robe sale, et sans avoir le temps de me demander quoi que ce soit, le notaire fit sortir son client précédent.

Elle se releva, gênée, la petite fille nue dans les bras, en laissant passer la vieille femme.

—''Excusez – moi.

—''Bonjour mesdames. Nous salua l'homme en ayant l'air d'ignorer le petit incident.

Gustavine me tendit Bernadette.

—''Je peux vous la confier ? Vu que cela ne vous concerne pas vraiment.

Elle pénétra dans le cabinet avec le notaire, pendant que je veillais sur ses enfants. Le temps me parut long, mais je crois que c'était pire pour Jacqueline et Bernadette, qui tremblait de froid. Je me refusais a lui enfiler sa robe désormais trop sale, mais je la serrais contre moi et la couvrais de mon manteau, en espérant qu'elle n'ait pas une autre envie pressante. Lorsque ma belle – fille sortait du cabinet, j'y entrait, car maître Chantais me disait que j'avais une histoire importante à régler.

—''Voilà. Posait-il les coudes sur le bureau. Madame Aubejoux – Bailly, l'heure est grave. Il feuilletait un énorme dossier dont dépassaient des dizaines de feuilles. Quand je regarde vos revenus, vous n'avez que votre rente.

—''Oui. Et alors ? Demandais-je

—''Et le problème, c'est que dès le premier janvier prochain, vous entrerez dans la quatrième année.

—''La quatrième année ? Je ne comprend pas.

—''Et bien cela fera quatre ans que vous bénéficierez de la rente accordée aux veuves. Cela veut dire que vous n'y aurez plus le droit.

—''Mais attendez, ce sont mes seuls revenus ! Vous ne pouvez pas me supprimer ça !

—''Il fallait en profiter pour vous remarier, madame Aubejoux. C'était l'occasion.

—''N'allez pas me dire que je dois sauter sur le premier homme venu parce que je n'ai pas d'argent ! Et puis, j'ai presque quarante – cinq ans monsieur, quel homme voudrait de moi ?

—''Ce n'est pas mon problème, ça madame. Ma principale préoccupation à votre sujet, pour l'instant, c'est de savoir comment vous allez vivre.

Il me demanda si j'avais de la famille sur Paris. A part Gustavine, je n'avais plus personne proche de chez moi, et proche de moi. La seule solution qu'il trouvait de raisonnable était de rendre les clefs de mon appartement pour louer un d'une pièce, et ainsi réduire au maximum les coûts. Gustavine ne pouvait pas m'héberger, car elle – même était en difficulté financière. Quand je sortais du cabinet, un peu décontenancée, il n'y avait plus personne dans la salle d'attente.

Je marchais en grelottant, n'ayant plus mon manteau, expirant la vapeur, priant pour qu'il ne neige pas. Je rentrais chez moi pour me réchauffer près du feu, profitant des dernières bûches qu'il me restait pour chauffer mon appartement. Le soir venu, quand elle venait manger avec moi, sa mère m'expliquait qu'elle était partie précipitamment lorsque Bernadette s'était mise à tousser, craignant qu'elle n'attrape une pneumonie ou autre chose dans ce genre. Le notaire l'avait rassuré en lui disant qu’Étienne s'était simplement remarié à grands frais et qu'il reprendrait le paiement de sa rente au mois de décembre. Gustavine pleurait doucement, fatiguée. Elle m'avouait ne pas pouvoir payer son loyer des mois d'octobre et de novembre et nourrir ses filles sans une aide financière. J'y pensais un temps mais qu'elle vienne vivre chez moi n'y changerait rien : elle avait une dette chaque mois envers le propriétaire pour la location de l'appartement, qu'elle y vive ou non.

J'y réfléchissais longuement, mais je ne pouvais pas me résoudre à rendre les clefs de mon appartement. J'y habitais depuis quatre ans et à mon âge, je n'avais vraiment plus envie de déménager. Et puis, c'était aussi pour ma belle – fille que je n'imaginais pas laisser toute seule, qui n'avait pas la capacité financière de s'occuper seule de ses deux jeunes enfants. Léon – Paul avait arrêté depuis des années de me verser la petite rente a laquelle j'avais droit lorsque j'étais encore sa maman chérie, qui m'aurait pourtant bien aidée en ces temps difficiles. Même si personne ne l'avait jamais obligé à me verser cet argent chaque mois, il me devait tout de même l'équivalent de trois semaines de loyer.

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