Chapitre 42B: avril - juin 1793

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Elle referma la porte en nous laissant avec la toile aussi précieuse qu'encombrante. Malou était relativement heureuse de l'avoir récupéré, mais elle regrettait un peu de ne pas avoir pu pénétrer dans son appartement natal, celui où elle avait passé ses dix-huit premiers mois de vie.

Au bout d'une demie-heure d'attente devant l'immeuble, nous allâmes nous asseoir sur un banc, dans le square situé à cent mètres d'ici. Je lui parlais de l'histoire et des circonstances de ce tableau, dont elle ignorait encore tout. Je contemplais le nourrisson serré dans ses mailles, couché dans les bras de son frère aîné.

—''J'y repense et je me dit que votre frère était particulièrement jeune à votre naissance.

—''En effet, nous n'avons qu'un an d'écart. Quand a été peint ce tableau ?

—''Je ne me souviens plus de la date exacte, mais soit à la toute fin du mois de septembre 1770, soit au début du mois d'octobre. Le peintre s'était arraché les cheveux à l'époque.

—''Ah bon ?

—''Bien sûr. Votre frère avait quinze mois, il devait tenir assis en vous tenant sur ses genoux pendant deux ou trois heures, c'était très difficile pour lui. Il voulait tout le temps se lever.

—''Et maman, elle était où ?

—''Sans doute derrière, avec moi. Nous riions bien en regardant votre père se débattre avec le petit.

—''Vous n'aviez pas encore d'enfant, vous ?

—''Non. Léon – Paul est arrivé trois ans plus tard. Disons que c'était ma période où je ne savais pas trop où aller, je m'ennuyais beaucoup, je vivais chez mon oncle mais je restais le plus souvent chez vos parents, avec Camille.

Après une heure de discussion et voyant qu'il était déjà dix – sept heures, nous commençâmes à nous inquiéter de ne pas voir revenir notre cher voisin. Nos pieds n'étaient pas fainéants, mais c'était plutôt ce grand tableau qui nous empêchait de rentrer à pieds, si il se mettait à pleuvoir, la peinture dégoulinerait et ce tableau si cher sentimentalement serait fichu.

Ce n'est que vers six heures du soir que nous comprîmes qu'il ne reviendrait pas nous chercher. Perdues, sans aucun plan de la ville dans ma besace et encombrées de cette grande toile fragile, nous sollicitâmes un passant en dernier recours, qui nous ramena jusqu'à chez nous en voiture. Soulagées d'être rentrées, nous accrochâmes le tableau dans la chambre et nous priâmes Sainte Marie mère de Dieu de nous l'avoir rendu.

—''Je vous salue Marie, pleine de grâce ;

Le Seigneur est avec vous ;

Vous êtes bénie entre toutes les femmes ;

Et Jésus, le fruit de vos entrailles, est béni.

Sainte Marie, mère de Dieu,

Priez pour nous pauvres pêcheurs,

Maintenant et à l'heure de notre mort.

Amen.

Malou expliqua en détail notre mésaventure à son amie Gustavine, et les circonstances dans lesquelles avait été peint ce tableau.

Jacqueline fêta son troisième anniversaire le vingt-six juin. Si elle paraissait trop heureuse en ouvrant le petit paquet de sa mère, elle fut vite déçue. La paire de boucles d'oreilles ne devait pas correspondre a ses attentes. Nous l'assîmes sur une chaise où Malou et sa mère la tenait de chaque côté, et je prenais un petit bout de bois, que je faisais chauffer sur la cuisinière. Une fois qu'il fut prêt, je le plaçais comme je l'avais déjà fait pour sa mère contre son lobe, pour le transpercer. L'enfant hurlait de douleur en se débattant, aussi je me dépêchais de placer la première boucle, et je recommençait avec la seconde. Lorsque la petite fille était toute belle avec ses bijoux d'oreilles, sa mère la serra contre elle pour la consoler.

—''Chuuuuut... Jacqueline... C'est fini... Veux - tu que l'on ailles voir comme tu es belle ?

Elle prit sa fille par la main en essuyant d'un coup de mouchoir ses yeux et son nez, pour l'emmener jusqu'à l'unique miroir de l'appartement, dans la chambre. La petite y jeta un œil avant de se lover contre sa maman qui nous adressa un sourire, comme pour nous signifier que c'était gagné.

Si Malou et Gustavine se considéraient comme des amies d'enfance, elles étaient bien cousines germaines, puisque Léon, le père de Gustavine, était l'oncle de Malou. Je venais mûrement d'y réfléchir, moi qui pensais depuis toujours qu'elles n'avaient aucun véritable lien de parenté.

Malou avait des migraines depuis quelques temps à cause des efforts qu'elle devait faire pour ne pas voir flou. De surcroît, elle insistait pour que j'écrive encore à mon fils, que je réclame mon argent.

—''Il ne faut pas vous laisser faire Louise. Si vous ne dites rien, jamais il ne vous rendra vos sous.

—''Eh oh, je ne suis pas encore sénile. Je sais bien qu'il a une dette envers moi, mais vous ne pensez qu'à votre propre intérêt, et j'ignore parfaitement la situation dans laquelle il se trouve au moment où je vous parle.

— ‘’ Ça n'a rien a voir...

—''Bien sûr que si ! Si il fait la manche sur le trottoir et qu'il n'a pas les moyens de se payer un bout de pain, c'est sûr qu'il ne me remboursera pas. Bon...

Par une belle matinée de juillet, nous décidâmes d'aller nous promener sous le beau soleil. Je m'en souviens, je portais dans mes bras Bernadette qui, endolorie par ses dents qui poussaient, mâchouillait ses manches de robe, laissant couler un filet de bave. Gustavine et Malou étaient toutes deux d'humeur taquine ce jour-là, aussi elles décidèrent, en passant devant le parvis de l'église plein d'invités, d'assister à ce mariage, en essayant de ne pas se faire remarquer. En prenant Jacqueline par la main et en m'éloignant pour continuer ma promenade, je riais.

De loin, assise sur un banc, je les regardais, intimidées au milieu de ces gens inconnus, malgré tout mortes de rire. Quand, au bout d'un quart d'heure, les deux jeunes femmes s'engouffrèrent avec la foule dans le grand bâtiment, j'en profitais pour aller acheter la gazette, et offrir à Jacqueline une des fraises pour lesquelles elle salivait sur l'étal du marchand. Après notre petite promenade et une tentative de faire marcher Bernadette, qui se débrouillait très bien lorsqu'on la tenait par les mains, nous retournâmes nous asseoir sur le banc près de l'église, d'où ma nièce et ma belle-fille n'était toujours pas ressortie. Lorsque les portes s'ouvrirent, et que les invités firent du bruit pour les jeunes mariés, les deux jeunes femmes nous cherchèrent quelques secondes, avant de se presser de nous rejoindre. Comme le soleil commençait a frapper fort, et que Bernadette exprimait bruyamment sa faim, nous rentrâmes sans nous échanger un seul mot, les sourires complices suffisaient.

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