Chapitre 41F: février 1793

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D'un souffle, Gustavine éteignit la bougie. Ce sept février 1793, elle venait d'avoir vingt – cinq ans. Cela faisait plus de vingt ans que nous nous connaissions, et je me souvenais de la petite orpheline de quatre ans et demi que son père m'avait présenté ce jour d'octobre 1772, quelques mois avant notre mariage.

J'avais depuis longtemps renoncé à recevoir la réponse du propriétaire mais Malou, voyant que je me battait, le relançait avec une autre lettre que j'avais dû corriger car elle était remplie de fautes d'orthographe, en se disant qu'elle s'était sans doute perdue en route.

Alors que Bernadette grandissait à vue d’œil et que ses petites dents perçaient, Jacqueline quémandait l'attention de sa mère, par quelques stratagèmes. Tranquillement assise sur le canapé du salon, elle regardait un livre, et quand sa mère arrivait avec sa petite sœur dans les bras pour l'allaiter, elle se mettait subitement à pleurer et à crier. Ces caprices insupportables ne cessaient que quand nous faisions part d'un peu d'autorité, ou quand Gustavine quittait la pièce avec Bernadette, excédée. Alors là, la petite se calmait et reprenait ses activités, ramassant au passage le livre qu'elle venait de jeter furieusement par terre.

Nous reçûmes des nouvelles du propriétaire dès la fin du mois de janvier. C'était une enveloppe cachetée de son nom, aussi nous sûmes de suite de qui il s'agissait. Malou, qui avait réceptionné le courrier en rentrant de sa promenade, attendait que je soit à côté d'elle pour l'ouvrir.

Lentement, elle décachetait le papier. Durant cinq longues minutes, et je voyais bien qu'elle peinait à lire, je restait pendue à ses expressions de visage pour déceler d'avance une possible déception. Elle posa ensuite le papier sur la petite table et elle demeurait sans émotion, le regard vide.

Après avoir lu à mon tour, je comprenais bien les raisons de cette froideur. Le propriétaire n'était pas défavorable à notre requête, mais il demandait d'abord l'accord écrit des locataires. Nous tournions en rond inutilement, puisque les locataires nous demandaient une autorisation écrite du propriétaire.

Le soir venu, alors que nous soupions comme d'habitude avec Gustavine et ses enfants, ma nièce me proposait d'écrire de fausses lettres pour pouvoir pénétrer dans ce logement. Si au premier abord l'idée me plaisait, la peur qu'ils ne communiquent m'en dissuada. La solution la plus honnête était de patiemment négocier avec le propriétaire par écrit, pour le convaincre de nous fournir cette fameuse lettre. Comme le disait si bien Gustavine, nous n'étions pas sorties de l'auberge.

Nous écrivîmes donc chacune notre tour à ce cher monsieur Julot, jusqu'à ce jour de février où nous vîmes enfin la lueur d'un espoir. En effet, le propriétaire cessait pour une fois de répondre ce qu'il écrivait depuis deux mois pour nous proposer une solution très convenable. Il voulait que l'on lui envoie une liste très détaillée des affaires que nous recherchions, pour la faire parvenir aux locataires. Ainsi, nous n'aurions le droit d'emporter que ce qui figurait sur la liste, et comme nous ne connaissions pas l'appartement tel qu'il était aujourd'hui, nous ne pourrions décrire que ce que nous connaissions. Ainsi, cela tranquilliserait le locataire qui s'assurerait que nous ne pourrions rien lui dérober.

Cette solution nous paraissait parfaite et c'est ce que je lui répondais dans je l'espérais, l'ultime courrier que j'aurais à lui envoyer.

Un jour, comme cela lui arrivait rarement, Malou se leva du pied gauche. Nous passâmes une amer matinée, ponctuée de plaintes en tout genre, et cela explosait lorsque Gustavine, qui devait aller faire sa lessive, arrivait pour nous demander gentiment de garder sa fille aînée, en pleine crise de varicelle, toute pleurnicheuse et son bébé de neuf mois.

—''Que voulez – vous encore ? Lui ouvrit Malou, sur un ton presque méchant.

J'arrivais en voyant la nonchalance de ma nièce, et Gustavine, le comprenant très vite sur son ton, se tournait vers moi.

—''Je voulais juste vous demander si cela ne vous dérangeait pas de garder les enfants le temps que j’aille faire la lessive des langes de Bernadette...

—''Bien sûr. Hop, donnez moi la petite... Alors ma puce, vous allez rester avec Louise et Malou, cet après – midi ?

J'emportais Bernadette à l'intérieur pendant que Jacqueline s'accrochait aux jupons de sa mère, mordillant ses doigts plein de bave, pleurant, grattant au passage ses boutons rouges.

Gustavine repoussa doucement sa fille.

—''Allez Jacqueline, maman revient vite.

Malou la fixait de ses yeux noirs, prête à lancer une pique.

—''Vous n'auriez pas pu vous débrouiller ?

Gustavine me regarda étonnée, avant de répondre.

—''Non Marie – Louise, je n'aurais pas pu.

—''Comment auriez – vous donc fait si nous n'avions pas été là ?

—''Je ne sais pas... Je me serais arrangée autrement...

—''Et bien alors ? Faites le plus souvent ! Nous ne sommes pas à votre service Gustavine ! D'ailleurs, vous devriez cesser de traîner dans nos pattes car cela commence franchement à m'énerver !

Voyant que la situation manquait de déraper, je préférais intervenir. Mais c'était trop tard, et ma belle – fille l'avait très mal pris. Elle me regardait des mêmes yeux noirs en tenant sa fille aînée.

—''Vous aussi vous pensez ça ? Que je ne suis qu'un boulet incapable de m'occuper de mes enfants ? Vous croyez que c'est par plaisir que je vous les confie ?

Gustavine s'en alla récupérer Bernadette dans l'appartement et elle repartit avec ses deux enfants d'un pas décidé, redescendant quatre à quatre les escaliers.

—''C'est bon Marie, vous avez gagné ? Lui lançais – je avant de descendre pour aller prendre l'air.

Le soir venu, une ambiance glaciale régnait chez nous, et c'est seule à la lueur de la bougie que je buvait ma soupe, ma nièce s'étant endormie en larmes, regrettant ses paroles blessantes envers sa cousine. Le lendemain, elle devrait aller s'excuser auprès d'elle.

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