Chapitre 40A: avril - juillet 1791

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André n'avait jamais vraiment su ce qu'il voulait faire de sa vie. Après tout, c'était légitime, il n'avait que dix ans. Cependant, même si ce serait à lui de décider et n'espérant pas lui payer des études de l'ampleur de celles qu'effectuaient Léon–Paul, j'aurai aimé qu'il entre dans les ordres pour vouer sa vie à Dieu. Malou trouvait que c'était seulement à lui de décider de son avenir et que je ne pourrais pas dicter sa vie. Bien sûr, lui répondais–je pour la rassurer, cela ne restait qu'une envie de ma part.

Par un chaud matin de mai, alors que Malou m'aidait à me vêtir de ma lourde robe, elle me posa une bien curieuse question.

—''Dites – moi Louise... Pourquoi mettez-vous un corset aussi serré ?

—''Desserrez-le moi si vous pensez qu'il l'est un peu trop. Vous je sais que vous n'en mettez pas, mais ce serait quand même bien Malou...

—''J'ai toujours pris l'habitude de porter mes robes sur des chemises, mais sans corset. La première et dernière fois que vous m'aviez fait essayé, j'ignore si vous vous en souvenez, je devais avoir douze ans et j'ai manqué de mourir étouffée.

—''Vous avez vingt ans désormais. Et puis justement, je me doit de vous dire que vous n'avez plus la même morphologie d'il y a huit ans. Vous avez un peu de poitrine maintenant et ce serait utile de la maintenir.

—''Vous plaisantez ? Je n'ai quasiment rien. Ce n'est certainement pas moi qui aura en premier des seins en gant de toilette par rapport à Gustavine ! Riait-elle

—''Elle en met elle, des corsets. Amusez-vous bien, mais nous verrons dans une dizaine d'années, quand vous aurez des enfants et que vous les allaiterez, si vous avez gardé votre poitrine de jeune fille.

—''Gustavine m'a dit la dernière fois qu'elle était venue qu'elle avait arrêté d'en porter après la naissance de Jacqueline.

—''Ah oui ? Ça me paraît étonnant. Avec tout le lait qu'elle produit pour sa fille, ça doit pourtant lui peser au niveau du dos. Mais elle fait ce qu'elle veut après tout.

Pour le premier anniversaire de Jacqueline, un mois et demi plus tard, Gustavine lui avait acheté une splendide robe couleur crème et de petites chaussures souples pour l'entraîner à la marche. Mais l'enfant n'éprouvait pas une grande envie de se déplacer et préférait largement recevoir les chatouilles sur le ventre de Malou ou les baisers de sa mère. Je la trouvais maigre et chétive. En effet Gustavine me rapportait à chaque fois qu'elle nous rendait visite qu'elle mangeait très peu, acceptant difficilement autre chose que le lait maternel, et c'était pour cette raison entre autres qu'elle ne pouvait pas encore la sevrer. J'étais extrêmement inquiète.

—''Pourquoi ne se déplace t-elle pas d'après vous ?

—''Je n'en sais rien...

—''Elle est trop faible votre fille Gustavine. Il faut la forcer à s'alimenter et la sevrer très vite.

—''Je ne peux pas la sevrer maintenant. J'ai dit à Étienne que je voulais que Jacqueline ait au moins deux ans à la naissance de notre second enfant. Si j'arrêtais de lui donner mon lait maintenant, demain je serais enceinte. Et ce serait trop tôt.

—''Bon sang ! Ne comprenez-donc vous pas qu'elle est en danger ?! Et puis je ne vois pas la différence entre un an et neuf mois et deux ans. Pensez à votre fille avant de penser à vous. Nous allons devoir la forcer à arrêter de téter et à s'alimenter normalement.

Gustavine traînait des pieds à l'idée de sevrer sa fille, mais je savais que c'était indispensable si nous voulions qu'elle mange et grandisse normalement. En premier lieu, je lui donnais un long morceau de tissu pour qu'elle s’enserre la poitrine et ainsi stopper les montées de lait. Pendant ce temps, je tentais de nourrir Jacqueline trois fois par jour à la cuillère. La toute première fois que je tentais de lui faire avaler un fond de soupe, cela me prit une heure, sans compter ses pleurs lorsque je lui tapais la main parce-qu’elle détournait la tête à la vue de ce qui s'apparentait pour elle à un instrument de torture.

Début juillet, au bout d'une bonne semaine où elle passait ses journées chez nous, sa mère n'avait plus de lait à lui donner et Jacqueline, affamée, cessait progressivement de faire ses caprices. Un soulagement pour moi qui me désespérait de la voir maigrir au fil des jours, et qui espérait la voir bientôt faire ses premiers déplacements.

Alors que je pensais que les problèmes avec Gustavine étaient réglés, et que sa fille irait mieux, j'apprenais de la part de Malou, qui allait parfois la voir chez elle, qu'elle avait repris l'allaitement. Lorsqu'elle vint nous voir, elle s’expliqua.

—‘’ Étienne était d'accord avec moi. Nous ne voulons pas de deuxième enfant de suite et Jacqueline passait ses nuits à pleurer de faim. C'est pourquoi j'ai décidé de reprendre l'allaitement. Elle mange de tout maintenant, ne vous inquiétez pas pour ça.

—''Et voilà, je passe une semaine à tout faire pour qu'elle arrête le sein et en quelques minutes vous gâchez tout. Maintenant vous allez vous débrouiller Gustavine, vous m'entendez ?!

—''Ne vous énervez pas. Je sais que vous voulez ce qu'il y a de mieux pour moi mais je vous rappelle gentiment que vous n'êtes pas ma mère et qu'à vingt–trois ans, j'estime que je peux décider de ces choses - là seule.

—''Votre fille était en train de mourir de faim ! J'ai juste essayé de lui rendre sa santé.

—''Vous exagérez tout Louise. Jacqueline est en bonne santé, bien que j'admette qu'elle soit un peu chétive. Arrêtez de vous mêler de mes affaires et tout rentrera dans l'ordre.

Cette discussion avec ma belle–fille remettait en place les choses. Je n'était ni la grand-mère de Jacqueline, ni la mère de Gustavine, même si André était quand même son demi-frère.

Léon – Paul venait d'avoir dix – huit ans et pourtant, je me rappelais encore du jour de sa naissance comme si c'était hier. Moi, si naïve et si jeune, je n'avais que vingt-trois ans, soit l'âge actuel de Gustavine et je découvrais alors les joies et les peines de la maternité. Cinq mois plus tard, je perdais ma chère sœur déjà très malade, sûrement le plus douloureux drame de ma vie.

Le dix–sept juillet au matin, alors qu'avec Malou nous tenions André par la main pour nous rendre à la messe, je sentais une étrange ambiance dans le quartier, et dans la ville entière. Lourde, comme le temps ce jour – là.

Par les journaux, car nous étions dimanche, nous apprîmes qu'un immense rassemblement aurait lieu vers onze heures sur le Champ de Mars, pour protester encore une fois contre ce Roy. J'aurais voulu m'y rendre pour donner mon avis, mais j'aurais eu trop peur d'y croiser mon fils aîné, et puis, Malou devait sortir aux grands boulevards avec Gustavine après notre corvée de lessive et elle ne pouvait donc pas garder André.

C'est ainsi que vers seize heures de l'après–midi, Gustavine, vêtue d'une robe que je n'avais encore jamais vue, me confia sa fille pour aller se promener avec son amie elle aussi pomponnée pour l'occasion.

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