Chapitre 39B: juillet - septembre 1790

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Comme elle devait beaucoup s'ennuyer à Paris, Gustavine nous écrivait très régulièrement pour nous donner des nouvelles alors que bien souvent, elle n'avait rien de vraiment intéressant à raconter. Nous savions ainsi que Jacqueline tétait bien mais seulement le sein gauche et qu'en bas de l'immeuble où ils avaient emménagés, vivait un mendiant qui lui avait déjà fait un croche-pied pour attirer son attention alors même qu'elle tenait sa fille dans ses bras. Nous savions ainsi qu’Étienne ne rentrait pas tous les soirs à la maison et que les soirées pour elle dans cet appartement trop grand devenaient alors très angoissantes.

Le dimanche quatre juillet, sous une chaleur écrasante, après la messe habituelle de onze heure, nous assistâmes à la confirmation de Marie. La petite fille, qui venait d'avoir dix ans, paraissait fière de confirmer les vœux de foi qu'avaient fait pour elle ses parents le jour de son baptême. Il faisait tellement chaud que j'aurais volontiers terminé ma vie entre ces murs qui préservaient merveilleusement bien la fraîcheur. Alors que l'après-midi je me reposais au frais avec Marie– Camille après la corvée de lessive, les trois enfants s'amusaient autour du chêne dont l'épais feuillage formait une grande couronne d'ombre autour de son tronc.

C'est dans le journal que je prenais des nouvelles de mon fils aîné. Dans un article de la gazette que nous avions acheté le dimanche dix–huit juillet, il apparaissait que Léon–Paul Aubejoux, un étudiant de la Faculté des Arts étudiant actuellement en médecine, avait sauvé la vie d'un petit garçon piétiné par une émeute qui avait eu lieu tout près du Parlement. Prise d'une fierté telle que je pensais ne jamais l'avoir été, je me décidais de lui écrire pour qu'il vienne nous rendre visite ou que j'y ailles moi même si ce n'était pas possible. Surtout que soudainement un peu confuse, je repensais qu'il venait d'avoir dix–sept ans. La réponse, même au bout de seulement cinq ou six jours, se fit grandement attendre de ma part, car si jusque là il ne me manquait pas trop, l'amour maternel reprenait subitement le dessus et je mourrais d'envie de le serrer dans mes bras.

La réponse de Léon–Paul n'arriva pas. La lettre devait s'être perdu en chemin, c'est pourquoi je lui écrivit à nouveau. Entre temps, je repensais aux vingt ans de Malou dans deux mois, un anniversaire que je lui avait promis inoubliable et que je n'avais pas encore commencé à préparer. J'avais d'abord pensé à l'emmener voir la mer, comme je l'avais fait pour sa maman il y a vingt ans exactement, mais l'argent me manquait et je ne voulais pas endetter Marie–Camille pour préparer l'anniversaire d'une jeune femme qu'elle ne connaissait même pas. Je me creusais si profondément esprit que certaines nuits j'étais prise d'insomnies, apeurée de ne pas trouver d'idée et de risquer de la décevoir.

Le jour où la fameuse lettre arriva, je m'empressais d'aller l'ouvrir dans ma chambre. Mon fils m'écrivait que si il ne pourrait pas venir jusqu'à Rouen pour me rendre visite, je pouvais tout à fait venir pour une journée à Paris pour le saluer. Folle d'impatience, je préparais mes malles en pensant que je profiterais du lieu pour aller voir Gustavine dans son grand appartement et la libérer pour quelques heures de la solitude dans laquelle son mari l'enfermait. Après maintes supplications, Jacques acceptait dans un soupir de me conduire à Paris, même si l'idée de connaître l'état de sa ville le faisait peur à lui aussi. Nous arrivâmes au bout d'une journée et demie de route, après avoir manqué de perdre un de ses chevaux rendu accablé par la chaleur, et sur le point de rendre l'âme. Grâce aux bons soins de la gérante d'une auberge sur notre route, nous gardâmes en vie la jument et nous parvînmes jusqu'à la Faculté des Arts de Paris. C'était un bâtiment coincé dans l'angle d'une rue, où je pénétrait impressionnée par la hauteur des plafonds. Un homme coincé dans son costard m'accueillait.

—''Excusez – moi madame ?

—''Bonjour. Je cherche mon fils Léon – Paul Aubejoux. Il est en troisième année.

—''Quelle spécialité ?

—''Médecine. Il a sauvé un petit garçon il y a cela une semaine... vous devriez...

L'homme leva le petit doigt et me pointa la porte de sortie.

—''Sortez dans la cour, mais attendez–moi.

Je patientais dix minutes, en tentant de me rafraîchir comme je pouvais en secouant mon éventail de papier, avant qu'un jeune homme ne fasse son apparition. Alors qu'à la vue de son visage d'adulte je pouvais douter de son identité, son boitillement significatif levait mes interrogations. Il accéléra le pas en me voyant, tout en souriant. Je le serrais dans mes bras en caressant ses épaisses boucles rousses.

—''Mon fils...

Léon – Paul releva la tête et il baisa avec affection chacune de mes joues.

—''Maman... Je suis arrivé deuxième de ma maîtrise au mois de mai. Je suis médecin.

—''Je suis tellement fière de vous mon fils. Tellement fière...

Nous parlâmes un peu mais Léon–Paul avait du travail et j'avais l'impression qu'après de si chaleureuses retrouvailles, il était pressé de me voir repartir. Tant pis. Mon fils aîné était un adulte à présent et je devais l'accepter.

Si il était resté dans sa voiture pendant que je retrouvais Léon–Paul, Jacques m'accompagna chez Gustavine un peu plus loin dans la ville, dans un quartier encore préservé de la colère du peuple et plutôt cossu. Nous fûmes accueillis par une jeune femme amaigrie et fatiguée, dont le mari n'était pas rentré depuis plusieurs jours. Elle me confia Jacqueline, deux mois, pour que je lui fasse faire son rot après la tétée. Une enfant calme, qui passait sans difficulté des bras de sa mère à une autre personne. L'appartement immense, comptait quatre chambres et un grand salon où l'on se serait perdu. Gustavine détestait cet endroit et désormais, son mari. Elle nous avouait vouloir mieux pour sa fille. Nous restâmes le plus longtemps possible avec elle, mais en fin d'après–midi, nous dûmes la laisser.

Pour l'anniversaire de ma nièce, j'avais finalement pris la décision de lui offrir moi aussi un repas dans un restaurant, n'ayant pas plus d'idées. C'est à cette période que Marie–Camille décida de déménager, lassée de déranger ces vieilles femmes qui n'avaient rien demandées. Elle cherchait donc activement un appartement, son rêve ultime aurait été d'en acheter un au bord de la mer mais sa certitude restait que l'argent lui manquerait pour cela. La ville côtière la plus proche de Rouen étant Etretat, connue pour ses imposantes falaises de calcaire, située à une journée et demie de voiture de Paris.

Mon mal de dos me prenait de plus en plus souvent et mes lunes, qui s'estompaient progressivement, me causaient des maux de ventres difficiles à supporter et des sautes d'humeur. Je savais que le temps qui passait n'arrangeait pas mon sort, mais plus jeune, j'aurais imaginé être en meilleure santé à quarante ans. Pourtant, penser à Marie–Camille et Jean–Charles qui supportaient merveilleusement bien leur soixantaine d'années chacun me redonnait foi en l'avenir.

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