Chapitre 39A: mai - juin 1790

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D'ordinaire, je fêtais pas mon anniversaire, mais le trois mai 1790 fut particulier puisque j'avais quarante ans. Malou, la seule personne de ma famille qui connaissait ma date de naissance, m'invita donc avec son frère dans un restaurant du centre–ville pour aller se régaler et rire. C'était la première fois de ma vie que je me rendais dans un tel établissement, et nous y mangeâmes fort bien. Cela changea un peu de la soupe que nous avalions tous les jours à la maison. Pour une fois depuis des années, nous eûmes du pain blanc, de la viande de bœuf avec de la sauce blanche, des petits pois et en dessert, folle de joie, quatre bougies plantées sur une délicieuse charlotte aux fraises. Trop heureuse de ce beau cadeau, je lui promettais de lui faire autant plaisir pour ses vingt ans qu'elle célébrerait dans quatre mois.

Gustavine restait désormais dans son lit, proche de son terme. Étienne, revenu nous voir une fois courant avril, avait longuement prié et s'était penché au chevet de son épouse, qui passait ses journées assise sur son lit à remplir des grilles de morpion avec ma nièce, quand elle ne souffrait pas trop. Chouchoutée par toute la maisonnée, nous lui apportions tout ce qu'elle désirait, car, selon les vieilles croyances qui stagnaient dans l'esprit de Marie–Camille, les envies non satisfaites d'une femme enceinte donnaient des enfants malades ou boiteux. La sage–femme engagée par Marie– Camille venait d’arriver.

Le vingt–quatre juin, Gustavine perdit les eaux, ce qu’attendait en réalité la praticienne pour commencer à travailler. Assises près d’elle, nous tentions de la réconforter, avec de douces paroles qui se perdaient dans les horribles cris de douleur. Malou quitta la chambre prématurément, morte de fatigue et ne supportant plus les cris de souffrances de sa cousine et l’odeur du sang qui rendait l’air étouffant. Lorsque la petite fille naquit, dans la nuit du vingt-cinq au vingt–six, Marie–Camille alla la tirer de son lit.

Je remplaçais les serviettes trempées par des propres, aérait la chambre devenue irrespirable et j'aidais la jeune maman à changer de chemise, dans laquelle elle avait beaucoup transpiré.

Jacqueline termina sa première nuit dans les bras de sa mère. C'était bien plus confortable pour elle que de dormir dans le beau berceau d'ébène que sa grand–mère lui avait acheté avec tant d'impatience.

Quand le lendemain matin ils purent enfin accéder à la chambre, les enfants caressèrent les cheveux de leur cousine, et baisèrent sa petite tête fragile en lui chuchotant des mots doux. Quand elle criait pour manger, sa mère la prenait contre elle pour la faire téter. Cela exaspérait Marie– Camille qui trouvait cela trop ''animal'' et qui avait pourtant déjà engagée une nourrice, mais c'était un choix que nous respections tous. Le nouveau–né avait l'air de sourire, mesurant peut–être sa chance d'avoir vu le jour dans une famille aussi aimante et attentionnée. Malou s'excusa encore d'avoir abandonné Gustavine pendant son accouchement, mais cela n'avait pas d'importance, puisque tout le monde était en bonne santé.

Le baptême fut célébré le lundi vingt – huit juin, en l'église Saint–Maclou de Rouen, où l'enfant reçu officiellement les prénoms de Marie–Camille, Jacqueline et l'invitation dans la grande famille des catholiques. Son premier prénom venait de sa grand–mère, qu'on avait désigné comme sa marraine, tandis que son deuxième, qui deviendrait l’usuel, de son parrain, beau–frère de sa mère, Jacques.

La jeune mère se reposait à la maison, où pour la veiller, restaient les tantes de Jean–Charles, trop vieilles pour se déplacer aussi loin de toute façon. Elles étaient adorables, ces femmes, ne voulant que le bien de Gustavine, et proposant parfois des remèdes qu'on n'utilisaient plus de nos jours, comme le poivre pour empêcher une hémorragie de la maman ou la cuillère de sucre diluée dans un fond d'eau pour prévenir les coliques du bébé.

Nous priâmes pour que le nouveau père ne tarde pas trop pour nous rendre une nouvelle visite et ma foi, cela fonctionna. Douze jours après l'arrivée de Jacqueline, Étienne fit son grand retour. Son épouse avait alors quitté son lit depuis près d'une semaine et après avoir abandonné l'emmaillotage de l'enfant, elle avait pris l'habitude de promener sa fille sur son avant–bras, en passant sa main sous son petit ventre. Je trouvais cela très drôle de voir le bébé ainsi apaisé, les bras et les jambes pendants dans le vide. Nous apprîmes cependant en même temps que sa mère qu'il valait mieux éviter de la promener de cette manière après qu'elle ai tété, car elle régurgitait alors tout le lait qu'elle venait d'ingérer.

Quand Malou rencontra pour la première fois le mari de Gustavine, son avis sembla plutôt mitigé. Elle le fixait de ses yeux moqueurs et s'en alla rapporter en vitesse ses impressions à sa cousine. Je n'écoutais pas leurs petites cachotteries, mais il fut clair qu'à présent, Étienne était devenu pour son épouse un sujet de moquerie, et l'amour qu'elle lui avait autrefois porté s'était estompé avec l'absence. C'est pourquoi quand Étienne annonça à Gustavine au milieu d'un repas qu'il la ramenait à Paris avec leur fille, elle refusa en lui disant que jamais il ne la persuaderait de la suivre. Mais comme toujours, il avait le dernier mot.

—''Il y a des encore des endroits intacts à Paris. Ne crois pas que je t'amènerais là–bas si c'était dangereux. Un ami me loue son appartement dans un très beau quartier, pour très peu d'argent. Je te ramènerais de temps en temps ici avec la petite si tu veux.

—''C'est que je suis bien à Rouen... Pourquoi ne pas louer dans cette ville ?

—''Parce-qu’à Paris, je connaît des gens. Voilà. Arrête un peu de poser des questions. Fais tes malles, dans trois jours, nous prenons congé.

—''Trois jours ?

—''Tu m'as bien entendu. Il se leva l'air satisfait. Nous allons lui faire voir du pays à cette petite ! Je vous le dit moi !

Assise sur son lit, Gustavine pestait contre son mari en enroulant sa chaîne d'or autour de ses doigts.

—''Après des mois d'absence, il revient pour me ramener dans cette ville où l'on décapite les gens comme on tue des poulets ? Ah je vous dit Louise, les hommes sont de vrais salauds.

Jacqueline quant à elle, ignorant tous les problèmes des adultes, dormait dans le berceau qu'on avait laissé tout près du lit conjugal, pour que sa mère puisse facilement la prendre la nuit pour l'allaiter. Sa bouille paisible enserrée dans ce bonnet confectionné par sa grand–mère me faisait fondre, ses petites joues qu'on avait couvertes de baisers toute la journée me donnaient envie de les croquer.

Comme il nous avait prévenu et malgré les contestations de son épouse, Étienne ramena à Paris toute sa petite famille, trois jours après son retour. Ce départ précipité de ma belle–fille perturbait toute la maisonnée, notamment Malou qui ne comprenait pas comment un homme qui disait aimer sa femme puisse la forcer à quitter aussi précipitamment sa famille pour la ramener avec leur bébé dans une ville qu'il ne valait pas mieux fréquenter en ce moment. Marie–Camille quant à elle, défendait son fils, en avançant l'argument qu'il savait ce qu'il y avait de mieux pour sa femme et sa fille, et que jamais il ne les auraient emmenées là–bas si cela représentait le moindre danger.

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