Chapitre 38E: janvier - mars 1790

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Par un froid matin de janvier, ses sœurs retrouvèrent Charlotte décédée dans son lit. Nous embrassâmes chacun la joue de la vieille femme qui laissait trois sœurs et un frère éploré, et le lendemain, nous prîmes la voiture de Jean-Charles pour aller la faire enterrer au cimetière de Saint-Aubin-lès-Elbeuf. C'était son village natal, celui où elle avait passé ses jeunes années avant de remonter sur Rouen pour se marier et élever ses enfants.

Étienne revint de Paris ce mois–ci. En entrant dans la maison, il embrassa froidement sa femme et s'en alla saluer ses parents. Contrairement à ce qu'aurait espéré Gustavine qui aurait voulu qu'il se pose un peu, il repartit trois jours plus tard, selon ses dires, pour redescendre sur Grenoble. Elle me confia qu'elle n'avait pas trouvé de moment pour lui annoncer sa grossesse, son espoir qu'il le devine en voyant son ventre ayant été vain. Son mari se trouvait trop préoccupé par les événements de ces temps–ci et cela la faisait beaucoup souffrir. Elle ne pensait pas en se mariant que les choses seraient aussi compliquées. Elle imaginait pouvoir vivre en paix dans un logement appartenant à Étienne, situé à Paris, habiter tout près de chez ses beaux–parents, pouvoir venir souvent nous rendre visite et avoir des enfants. Or pour l'instant, elle n'en avait pas, et elle ne vivait pas à Paris. Elle restait chez ses beaux-parents, et son mari n'était jamais là. Une vie faite de désillusions en quelque sorte.

Le jour des neuf ans d'André, à la fin du dîner alors que j'apportais le gâteau sur lequel trônait toutes les bougies, je trébuchais sur le pavé mal fixé que tout le monde redoutait et venait me cogner le menton contre le sol de pierre. L'incendie qui se déclarait fus vite maîtrisé par Jean– Charles qui versa dessus un peu d'eau, mais le gâteau pour lequel nous avions passé deux heures avait été réduit en bouillie et une de mes dents de devant était cassée. Pour résumer le malheur, l'anniversaire de mon fils était gâché et nous n'eûmes pas de dessert. Prise de remords, je m'excusais auprès de Jeanjean, qui lui, n'avait pas l'air dégoûté de voir sa fête ainsi terminée. En revanche, il le fut davantage en mars, jour de son départ pour Rouen avec Étienne, où il pleura sur mon épaule, comme un petit garçon capricieux qui refusait d'obéir. La séparation était toujours aussi difficile pour lui et je me demandais bien jusqu'à quel âge il rechignerait pour me quitter.

Quand en mars, ma belle–fille entama son sixième mois de grossesse, nous nous rendîmes à Rouen pour faire les achats nécessaires au bébé. Marie–Camille choisissait des langes et un berceau chez un ébéniste, qu'elle faisait graver d'une citation de Nazareth, mais elle achetait aussi un biberon, au cas-où. Elle paraissait plus heureuse que Gustavine, qui ne sortait presque plus et qui se plaignait sans cesse de ce gros ventre qui l'empêchait de mettre ses chaussures.

Tant que je ne recevais pas de lettre pour m'informer que mon fils ne supportait pas la vie avec les jésuites, je pouvais me dire qu'il s'habituait. C'était en quelque sorte mon dernier enfant, le dernier petit garçon que je pouvais cajoler, Léon–Paul étant devenu un jeune adulte qui n'avait plus trop besoin de moi. Je me faisais beaucoup de souci pour mon fils et parfois, cela agaçait Marie–Camille ou Gustavine, à force que je me demande à voix haute mille fois par jour si il allait bien là–bas.

Malou, toute seule durant la journée quand son frère travaillait, se rendait souvent en voiture à la maison pour prendre des nouvelles de la future maman, et la détendre. Un jour, assise au bord du lit sur lequel elle se reposait, elle lui posa un problème auquel personne n'avait songé.

—''Et... savez-vous qui vous accouchera ?

—''A vrai dire je n'y ai jamais pensé. Sans doute ma belle–mère, peut–être Louise. Dites-moi Malou, vous ne voudriez pas être présente avec moi le jour de l'accouchement ?

—''J'aimerai bien mais... La vue du sang me dégoûte...

J'intervenais dans la conversation.

—''Vous pourriez juste être là pour la réconforter. Pour ma part, le premier accouchement auquel j'ai assisté, je m'en souviens bien, j'avais dix–neuf ans, c'était pour soutenir votre mère lors de la naissance d'Auguste. La seule fois où j'ai vu du sang ce jour -là, c'était sur le bébé quand il est né, et je peux vous dire que cela n'avait plus d'importance.

Malou parut curieuse.

—''Et ma naissance ? Vous y avez assisté ?

—''Non. J'étais fiévreuse. Je venais de passer l'été à faire des allers-retours entre chez mon frère et chez votre mère pour la veiller pendant la fin de sa grossesse, et j'avais attrapé un coup de chaleur. En revanche, j’étais - là lors de la naissance difficile de Michel.

Finalement, Malou décida qu'elle resterait avec son amie le jour de l'accouchement. Gustavine, soulagée de la savoir près d'elle pour ce moment important, l'embrassa affectueusement.

Ma belle–fille dormait peu la nuit, à cause du fait que son bébé bouge beaucoup dans son ventre, et cela provoquait durant la journée des colères de sa part. Fatiguée, elle s'en prenait à n'importe qui et n'importe quoi la faisait pleurer. C'est ainsi que nous venions à préférer qu'elle reste dans son lit la journée, quitte à lui apporter ses repas dans sa chambre.

Marie–Camille m'avait prévenue que nous quitterions bientôt cette maison, car nous n'étions pas chez nous, même si les enfants avaient de l'espace pour courir dans le jardin et à l'intérieur, et que nous aussi nous nous sentions bien ici. Où irions–nous ? Je l'ignorais. Sans doute emménagerions nous au centre–ville de Rouen. Chaque dimanche, nous repérions les appartements à vendre ou à louer, ce n'était pas une question d'argent, mais plutôt de place, c'est qu'il y avait beaucoup de monde à loger.

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