Chapitre 37F: janvier 1788

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Pensant subitement aux cinq enfants que j'avais laissé dans la chambre, je m'y rendais pour les rassurer un peu. Ne les voyant pas, je paniquais d'abord, avant d'entendre un éternuement.

—'' Vous pouvez sortir maintenant. Ils sont partis.

Je me penchais sous le lit où demeuraient trois petites têtes blondes, les unes devant supporter de recevoir les pieds des autres dans le visage. Comme je voulais voir mon fils, je me penchais sous les autres couches. Il s'était caché avec Marie sous le lit près de la fenêtre, et seulement quand il me vit, il se dégagea de ce refuge à poussière et il me sauta dans les bras. Je l'embrassais en le rassurant.

—'' C'est fini, hein André? Allez. Vous êtes tout poussiéreux mais vous avez fait ce qu'il fallait. Tout va bien Marie? Dites à vos frères qu'ils peuvent sortir de dessous le lit maintenant.

Évidemment tous très inquiets, nous guettâmes dans les jours qui suivirent la fenêtre, au cas où Étienne ramènerait son épouse chez nous pour fuir. Recherché pour avoir participé a des réunions alors que le Roy l'interdisait strictement depuis les premières révoltes du peuple, il avait intérêt a trouver une bonne cachette si il voulait garder la tête sur les épaules.

Le mois de janvier n'était plus pour nous qu'une longue et douloureuse attente, de nouvelles, d'un billet pour nous rassurer. J'en profitais pour me rendre chez ma nièce et mon neveu, qui n'avaient presque plus rien a manger, le décès de leur père ayant aggravé leur situation, et Auguste étant incapable de subvenir a ses besoins et a ceux de sa jeune sœur. A dix-neuf ans, il n'était au moment du drame encore qu'en apprentissage au cabinet de son père. Je n'avais comme solution que de leur apporter a manger, pour qu'Auguste retrouve assez de forces pour trouver un travail et pouvoir entretenir sa sœur. Malou m'en voulait beaucoup, sans doute d'avoir sous-entendu l'autre jour que le décès d'Auguste était en parti de sa faute avec son frère.

Elle ne m'adressa d'ailleurs presque pas la parole pendant la petite heure que je passais chez eux.

Par une glacial soirée, le couple arriva enfin chez nous. Gustavine, qui grelottait, était couverte d'une laine trempée par la neige qui tombait continuellement depuis quelques jours. Marie-Camille sermonna son fils, en frictionnant sa belle-fille pour la réchauffer.

—'' Vous vous rendez compte? Il fait tellement froid et je me fait un sang d'encre pour vous. Gustavine est enceinte en plus...

—'' Elle a perdu son bébé maman. Elle restera avec vous jusqu'à ce que la situation s'apaise. Ne vous inquiétez pas.

Sur ces mots, il nous quitta. Personne ne savait quand il reviendrait, ni même si il reviendrait. Nous conduisîmes la jeune femme auprès du feu de cheminée, pour la réchauffer. Elle tenait sa tasse chaude de ses deux mains, et elle soufflait sur le thé brûlant, dont la vapeur dessinait d'inquiétantes formes.

—'' Quand avez-vous fait votre fausse couche? La questionnais-je en espérant que ce ne soit pas trop douloureux pour elle.

—'' Pendant le trajet pour venir ici. Nous nous étions arrêtés dans une auberge et j'ai commencé a perdre beaucoup de sang. J'ai crié si fort que la gérante est venue me sermonner de déranger les autres clients, avant d'aller m'aider. C'est d'autant plus difficile à supporter qu'elle m'a dit que c'était une fille.

—'' Et donc vous avez imaginé l'enfant? Supposais-je

—'' Oui exactement. J'ai imaginé la petite fille que j'aurais pu prendre dans mes bras et entendre rire. Maintenant j'en veux trop à Étienne... Si nous n'avions pas déménagé a Grenoble, l'enfant serait peut-être encore dans mon ventre aujourd'hui.

Gustavine, qui ne me paraissait pas non plus traumatisée par cet accident, était d'avantage inquiète pour son mari. Elle ignorait comme nous où il irait, et la nuit, elle cauchemardait de le voir guillotiné. Elle se levait souvent la nuit pour aller observer à la fenêtre, au cas où il aurait décidé de revenir.

Au début du mois de février, alors qu'il avait presque huit ans, il était temps qu'André parte chez les jésuites pour faire ses études. Il ne serait pas seul puisque Étienne, le neveu d’Étienne, partirait avec lui. Mon fils accepta assez vite de se détacher de moi, en réalité, c'était pour moi que c'était plus difficile. Il me quitta après un dernier et millième baiser, repoussant presque mes bras, pour la première fois, je sentais que mon petit oiseau s'envolait. Quelques jours plus tard, Gustavine fêta son anniversaire, en pensant très fort a son mari qui souffrait de ses opinions en ce moment même.

Si nous nous rendions régulièrement a des exécutions place de la Grève, ma belle-fille n'en avait pas la force, même si nous lui promettions que ce n'étaient que des meurtriers et pas des anti- monarchistes. Chaque jour, du matin au soir, la jolie brune déprimait assise les genoux repliés contre elle près de la fenêtre, comme une princesse guettant le retour de son prince. Malheureusement pour elle, il n'était pas non plus revenu pour le premier anniversaire de leur mariage, le vingt et un mars. Assise près de moi sur le canapé, elle commençait à perdre espoir.

—'' Dites-moi Louise, vous croyez qu'il reviendra?

—''Je suis sûre qu'il sera bientôt de retour. Ne vous en faites pas.

Tous les dimanches, je croisais ma petite cousine Berthe à la messe. Ce dimanche - là, après l'office, elle m'avait l'air toute excitée. Courant presque vers moi le sourire aux lèvres, elle laissait un instant son mari et la nourrice avec les jumeaux. Elle m'embrassait en laissant son parfum sur mes joues.

—'' Bonjour Louise. Comment allez - vous?

—'' Assez bien, je vous remercie.

—'' Devinez quoi... Charlotte à accouché jeudi !

—'' Vous qui trouviez honteux qu'elle soit enceinte... Comment va t-elle?

—'' Elles va bien mais elle à mis tellement de temps pour accoucher qu'elle à besoin de beaucoup de repos. Mon frère est déçu car il aurait préféré avoir un garçon. Bon écoutez, Gabriel m'attend, je dois y aller. Passez quand vous voulez. Bonne journée Louise !

—'' Bonne continuation Berthe et bonne santé à l'accouchée !

Je discutais avec Gustavine dans la chambre quand une voix masculine retentit. J'entendais Marie - Camille parler, sans doute avec son fils. Une minute plus tard, comme je l'aurais pensé, on frappa à la porte de la chambre.

—'' Entrez. Somma avec lassitude Gustavine.

—'' Bonjour.

La jeune femme bondit du lit pour aller embrasser celui qu'elle pensait mort. Ils s’enlacèrent longuement, s'étant beaucoup manqués. Le soir, pendant le souper, Étienne nous expliqua ce qu'il comptait faire dans les prochains jours.

—'' Je suis retourné a Grenoble plusieurs fois pour rejoindre mes comparses et établir un plan de fuite et de manifestation.

Son épouse lui prit la main, l'air inquiète.

—'' Mais... tu ne vas pas y retourner, n'est-ce pas?

—'' Je vais rester ici quelques jours, mais je ne peux pas prendre le risque qu'ils reviennent, tu comprends? Je ne veux surtout pas vous mettre en danger mais juste obtenir gain de cause, a savoir la mort du Roy. Tant que sa tête ne sera pas accrochée au mur du Palais du Parlement, je n'abandonnerai pas !

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