Chapitre 37E: décembre 1787 - janvier 1788

4 minutes de lecture

Quand on frappa à la porte, c'était limite si elle ne devenait pas folle, courant presque pour aller ouvrir. Elle sauta au cou de son fils qui avait apporté une bouteille de vin, folle de joie, et elle embrassa sa belle-fille, qui n'avait pas beaucoup changée en trois mois. Autour du dîner, Gustavine faisait tinter son verre pour attirer l'attention de l'assemblée, curieuse de savoir ce qu'elle avait de si important a dire. La jeune femme se leva de sa chaise et déclara sur un ton solennel :

—'' Voilà... J'ai du mal a le croire et pourtant c'est bien vrai. J'attends un enfant pour le printemps...

Toute la table se leva pour aller la féliciter de sa grossesse pourtant tout juste entamée. Étienne l'embrassait sur la joue, venant avec nous d'apprendre l'heureuse nouvelle. Gustavine était enceinte de trois mois, d'un enfant a naître au printemps prochain. Elle nous parlait de ses appréhensions autour d'un thé, après le dîner, avec Marie - Camille et moi.

—'' Je voudrais accoucher ici. A Grenoble, je ne connaît personne. Mais Étienne dit que c'est trop loin, et que nous n'aurons pas le temps d'arriver avant la naissance. Il dit aussi qu'il ne pouvait pas se permettre d'arrêter de travailler pendant une ou deux semaines si nous venions à Paris trop tôt.

Marie-Camille proposa une solution qui me paraissait évidente.

—'' Vous pourriez venir ici quelques semaines avant l'accouchement, Étienne vous rejoindrait une fois l'enfant né. C'est une bonne idée, non?

—'' Je lui en parlerais. Nous avons encore le temps d'ici le printemps.

Je lui prenais la main.

—''Dites-moi, avez - vous senti l'enfant bouger?

—'' J'ai lu un traité sur les femmes enceintes qui disait que généralement, on pouvait sentir l'enfant bouger dans son ventre vers le cinquième mois de grossesse. Non, pour l'instant, j'ai juste eu quelques nausées et une absence de lunes.

Ils repartaient pour Grenoble le lendemain. J'étais trop heureuse que André devienne oncle, mais déçue qu'il ne puisse pas voir le bébé, car au printemps prochain, lorsque Gustavine accoucherait, il serait parti chez les jésuites. D'ailleurs, le soir de leur départ, il me demandait discrètement, après que je lui ais lu un passage de la Bible, ses origines.

—'' Qu'a Gustavine maman? Pourquoi l'avez-vous embrassée ce midi?

—'' Mais c'est parce-qu’elle va avoir un enfant, Jeanjean. Son premier.

—'' Mais... Comment le savez - vous ?

—'' On le sait, c'est tout. Bonne nuit André.

Cette année plus que les autres, par la fenêtre, on pouvait parfois voir les gens morts de froid, ensevelis sous la neige tombée en gros flocons qui trempaient les vêtements. Allongés au coin d'une rue ou sur un banc, ils restaient figés dans leur dernier geste, jusqu'à ce qu'un chien errant vienne dévorer leurs corps. André, Jacques, Étienne, Pierre et Marie, qui restaient toute la journée le visage collé contre la fenêtre, se demandaient souvent si telle ou telle personne que l'on voyait assise sur le banc en face était vivante ou morte. C'était devenu leur passe-temps, eux qui s'ennuyaient, ne pouvant sortir dehors.

Le six janvier au matin, alors que les domestiques débarrassaient le déjeuner, deux grands hommes vêtus d'uniformes débarquèrent dans l'appartement, armés et effrayants. Vociférant qu'ils cherchaient un homme nommé Étienne Marcel. Marie-Camille leur promit qu'ils se trompaient et que la personne en question n'existait pas.

Brutaux, ils renversèrent certains meubles, piétinèrent ce qui tombait à terre, hurlant, effrayant les enfants que j'enfermais dans la chambre, pour les protéger. Jean-Charles leur priait de quitter les lieux, mais ils n'en avait rien a faire, retournant le logement à la recherche de cet homme qui ne vivait plus là.

Alors qu'il aurait pu lui aussi paniquer, son frère Jacques s'enferma avec moi dans la chambre de ses parents, pour se mettre à écrire. Il retournait les tiroirs pour trouver un papier et une plume, et il écrivait une longue lettre qui priait son frère de fuir Grenoble, de se cacher, pour échapper aux soldats monarchistes, qui voulaient sa tête. Il cacheta le papier jauni, et me pria d'aller la porter au bureau des postes, pour la faire expédier le plus vite possible.

Je me sauvais de l'appartement, dévalais les escaliers et je me mettais a courir, dans la rue, sans m'occuper des morts que je devais enjamber, du froid, de la fatigue, qui rendait ma respiration saccadée. Je parvenais au bureau des postes où je donnais la lettre, par grande chance, au postier qui s'apprêtait a expédier le courrier.

Lorsque j'étais de retour, j'avais l'impression qu'une tempête avait dévasté le logement. Ne voyant plus les deux hommes, je tentais d'obtenir des informations auprès de Jean - Charles.

—'' Sont t-ils partis?

—'' Oui. Mais ils reviendront. Il faut absolument qu’Étienne fasses venir Gustavine ici pour la mettre en sécurité. Il ne faut surtout pas qu'il l'entraîne dans sa fuite. Les soldats n'ont aucune pitié, pour eux ceux qui se cachent sont forcément coupables.

—''Ne vous en faites pas, Jacques à fait envoyer une lettre ce matin pour lui demander de s'enfuir.

—'' Est-ce seulement vrai ? Seigneur, mon fils... Qu'avez vous fait tous les deux? Étienne sait pertinemment qu'il est recherché... Ils vont le retrouver avec le nom et l'adresse écrite sur la lettre ! N'avons nous comme ça pas assez de problèmes?

C'est en me mordant les doigts que j'allais faire part de notre erreur a Jacques, qui s'en voulait beaucoup d'avoir ainsi précipité la chute de son frère.

—'' N'auriez - vous pas pu me dire qu'il se savait déjà recherché?! Frappa t-il la table de son dur poing.

Dans le salon, Marie-Camille, l'air désespéré, se baissait de temps en temps pour ramasser une petite chose parmi les meubles renversés, la vaisselle de famille brisée et l'eau des nombreux vases qui formait des flaques sur le parquet.

C'était comme si après une inondation, on nettoyait l'eau avec une éponge. Les domestiques s'affairaient à relever les meubles, les chaises renversées, éponger l'eau des vases brisés sur le parquet, il y en avait deux au service de Marie-Camille et Jean-Charles, deux femmes qui couchaient dans une petite chambre près de celle de leurs employeurs.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Lanam ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0