Chapitre 37D: septembre - décembre 1787

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Après que Jean-Charles ait ramené mon petit André fatigué à l'appartement, je me rendais donc chez ma petite-cousine, pour salier ses jumeaux. Chez elle, il n'y avait que les domestiques, son mari exerçant à l'hôpital jusqu'au soir. Je m'asseyais avec elle sur le canapé, tandis que la domestique nous servait le thé. Les deux têtes blondes vinrent me saluer, deux petits anges que la taille ne pouvait différencier. La fille, vêtue d'une robe blanche, portait ses longs cheveux blonds attachés en tresse, tandis que le garçon, ses cheveux courts, et un pantalon.

Gabriel et Berthe m'embrassèrent sur l'ordre de leur mère, j'avais rarement vu des enfants aussi sages et dociles. Ils ne décrochèrent pas un mot devant leur mère, statiques, tenant fermement la main de la domestique, ils faisaient presque peur à voir. Seulement lorsque la domestique apporta le petit paquet, en réalité leur petit frère, un sourire se dessina sur leurs visages d'ange. Ce si beau sourire qui disparu subitement lorsque Berthe ordonna à la bonne de les ramener dans leur chambre. Le nouveau-né était calme, il avait été baptisé Charles, comme son oncle, je le pris dans mes bras un instant, c'était une petite plume.

Lorsque l'heure du dîner sonna chez la famille Detant, je m'éclipsa, pour aller moi- même prendre mon repas.

Un jour, pendant une tranquille après - midi, une femme frappa à notre porte. En allant ouvrir, j'apercevais une femme au loin, vêtue misérablement. Quand je baissais les yeux, il y avait un bébé de cinq ou six mois qui gigotait dans ses linges, couché devant notre porte. J'appelais Marie- Camille, qui se dépêcha de me rejoindre.

—'' Oh... Mon dieu Louise... Je craignais que cela n'arrive et voilà... Jean - Charles? Pouvez - vous venir s'il vous plaît?

L'homme, qui avait une soixantaine d'années, était en bonne forme pour l'époque où l'on mourait généralement jeune. Il autorisa son épouse à récupérer le bébé pour le conduire à l'intérieur, car parfois, m'avait expliqué Marie - Camille, quand cela arrivait, il préférait le laisser là où il était. Selon Jean-Charles, quelqu'un qui abandonnait un enfant revenait toujours sur les lieux de l'abandon, pour vérifier qu'il avait bien été récupéré, et si ce n'était pas le cas au bout de quelques jours, il le reprenait le plus souvent. Cette fois, selon lui, ce n'était pas une simple histoire de grossesse non désirée, mais les ravages de la famine qui venait s'échouer à notre porte. Cette mère ne reviendrait pas vérifier si son enfant avait été récupéré, elle était sans doute déjà morte de faim.

Si c'était un bon geste de récupérer un enfant abandonné, encore fallait t-il savoir ce que nous en ferions. Je proposais de le conduire a l'hospice pour que les nonnes s'en occupent, mais il était assurément condamné, en vu du nombre d'orphelins que devait s'occuper les bonnes sœurs en ce temps de famine. Marie-Camille soupira, connaissant sans doute déjà la réponse que donnerait son mari quant au sort de cet enfant. C'était sans doute une des décisions les plus difficiles a prendre de notre vie, mais nous ne pouvions pas garder chaque petit orphelin qui s'échouait a notre porte, ni le laisser mourir de faim a l'hospice où parfois, ils avaient découverts des cadavres de bébés dans des placards, couchés là faute de berceaux, et oubliés malgré leurs cris.

C'est ainsi qu'après son baptême, l'enfant qu'on avait prénommé Joseph rejoignit dans le plus grand secret Dieu qui l'avait fait naître voici six mois. On fit enterrer comme il se devait le bébé dans le cimetière près de l'église.

Octobre passa, les arbres perdaient leurs feuilles, l'automne s'installait, cette saison était morose. En novembre, je me rendais au cimetière avec Marie - Camille, Jean - Charles, Jacques et André, pour prier sur la tombe de Camille qui aurait eu quarante - deux ans ce deux novembre. Je leur expliquais la relation qui m'unissait a elle, je leur parlais de ses enfants que je ne voyait plus, et de son veuf, un homme distant pour lequel je n'avais jamais éprouvé une quelconque affection.

Cette lettre que j'imaginais écrite avec toutes les larmes d'un corps, je la recevais à la mi - novembre. On m'y annonçait la mort d'Auguste, le père de Marie-Louise et d'Auguste. Je comptais aller me recueillir sur son corps, mais avant, Marie-Camille me prêta sa robe de deuil, noire, dont le chapeau comportait une petite voilette qui couvrait le visage pour dissimuler son chagrin, une mantille. Bien qu'elle me soit un peu serrée, le corset que j'enfilais m'aida a être plus a l'aise dedans. Jean - Charles m'y accompagna, avec André, qui venait de perdre son oncle. Les sanglots s'entendaient avant même que la porte soit ouverte. Dans une des chambres de cet appartement exigu, une femme et un homme, agenouillés près du lit, priaient sur ce corps si paisible, vêtu de son costume de mariage, j'en étais sûre. Malou serrait dans ses bras Auguste, éplorée par la mort de son père.

—'' C'est si difficile Louise...

—'' Je sais Marie... Je sais... De quoi est t-il décédé?

—'' D'une maladie infectieuse d'après le médecin. C'est que nous n'avions plus grand chose a manger... Il était fragile.

—'' N'auriez-vous pas pu m'écrire pour que je vous aide? Espèce de sotte!

Malou éclata en sanglots dans les bras de son frère, lui aussi déchiré. Je me relevais, très énervée.

—'' Vous l'auriez sauvé Marie ! Enfin !

Sur ces mots, je quittais l'appartement en claquant la porte derrière moi, mon fils à la main qui ne comprenait rien à la situation. Je me demandais bien comment ils feraient pour vivre, désormais sans le salaire de leur père.

Le matin du six décembre, tout était préparé pour accueillir Gustavine et Étienne, qui passeraient la journée et peut-être le lendemain avec nous, pour fêter la Saint-Nicolas. Marie-Camille était impatiente de revoir sa belle-fille et son fils, qu'elle n'avait pas vu depuis près de trois mois. Elle guettait l'heure et lorsque le moment du dîner fut arrivé, elle continua de se poser mille questions à la seconde, finissant même par se demander si ils viendraient.

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