Chapitre 36B: octobre 1786

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C'est ainsi que pleine d'espoir et plutôt heureuse, alors que Léon-Paul gardait son petit-frère du haut de ses quatorze ans, que je me rendais chez les futurs beaux - parents de ma belle - fille. Conduisant la voiture, attirant les regards dans la rue, je me rendais chez ces gens riches qui vivaient a l'autre bout de Paris, dans un immeuble cossu, au premier étage. Je fus accueillie par la domestique, que je suivais jusqu'au salon, où étaient assis, près de Gustavine, presque méconnaissable tant elle avait grandie, deux jeunes hommes, une vieille dame et un vieil homme. Tous se levèrent pour me saluer. Ils se présentèrent. Les deux jeunes hommes étaient le frère du fiancé de Gustavine et le fiancé lui - même, prénommé Étienne. Les deux personnes âgées étaient leurs parents, monsieur et madame Marcel.

Nous fîmes plus ample connaissance, et tandis que je leur expliquais ma situation, sans bien sûr demander quoi que ce soit, ils me proposèrent de venir vivre parmi eux. Je refusais catégoriquement, incapable de devoir assumer redevenir le boulet que j'étais avant mon premier mariage, lorsque je logeais encore chez mon frère et son épouse. Gentiment malgré tout, on me reprochait ce choix égoïste, que je n'était pas toute seule et que mon petit dernier notamment avait besoin de soins quotidiens et d'un logement suffisamment spacieux pour pouvoir se muscler les jambes, alors que je pensais très fortement qu'il progressait tout aussi bien dans un petit endroit, chaleureux d'autant plus. Je quittais le soir tombé l'appartement avec le sentiment que personne ne me ferait changer d'avis. J'étais bien bête.

Dès le mois suivant, je paniquais lorsque l'enveloppe contenant l'argent de Gustavine n'arrivait pas. Ils avaient décidé de me coincer en me coupant les vivres, c'était très méchant. Je n'appréciais pas du tout, mais cette fois, c'était une question de vie ou de mort. En plein mois de novembre, nous n'aurions pas tenu longtemps sans la moindre source de chaleur. Je pliais, ils avaient gagné. Nous allions déménager.

La réaction de mon benjamin lorsque je lui annonçait que nous allions partir était difficilement discernable. Il me souriait, en me posant seulement une petite question.

—'' Où partons - nous maman?

—'' Non loin d'ici. Ne vous inquiétez pas. Je serais là.

Je l'embrassais affectueusement, un rictus de douleur apparaissait au coin de sa bouche.

—'' On va guérir votre petite dent. Vous n'aurez plus mal. Hum?

—'' J'en ai marre de moi.

—'' Pourquoi dites - vous cela?

—'' Quand je vomi, c'est parce-que je mange trop, quand je peux plus bouger mes jambes, c'est Dieu qui m'a puni et ma dent, c'est a cause des sucreries.

—'' Je ne crois pas que Dieu vous punisse pour quoi que ce soit. Vous êtes un petit garçon fragile, c'est tout.

—'' Comme la porcelaine?

—'' Oui, comme la porcelaine.

Notre départ se faisait rapidement, puisque comme d'habitude, les meubles restaient dans l'appartement. Nous n'avions qu'a remplir quelques malles de nos affaires. Au dernier moment, vers la fin novembre, je portais André jusqu'à la voiture. Il tendait le cou pour sentir la fraîcheur du vent, savourant ce moment comme un bon biscuit tout chaud. Ses longs cheveux blonds - châtains voletaient, il s'égayait. Il ne fallait quand même pas qu'il prenne froid. A notre arrivée chez monsieur et madame Marcel, je le couchais dans les draps frais et propre lavés avant notre arrivée, puis Marie-Camille, que je n’appelais plus madame Marcel, me donna pour lui d'autres vêtements. André partagerait sa chambre avec les trois neveux d’Étienne. Une bonne s'occuperait de ses soins.

Je partageais une chambre avec Gustavine, qui de toute façon ne resterait plus très longtemps ici. Elle me montra la splendide robe de mariée qu'on lui avait cousue, son diadème, ses jupons, ses chaussures, elle était comme une enfant. Une enfant qui allait avoir vingt ans. Elle me parlait de son fiancé, âgé de cinq ans de plus qu'elle, qu'elle aimait profondément, d'un amour encore platonique. Le soir, elle me posa des questions sur mon mariage, car certaines choses la tracassait particulièrement. Je lui répondis simplement, sans donner trop de détails, non pas pour lui raconter ma vie, mais juste pour qu'elle ne s'inquiète pas trop et qu'elle ne fasse pas de montagnes de petites choses finalement sans importance.

Cet environnement fait de dorures et de tableaux de valeur me rappela mon enfance passée dans la richesse et le luxe. Ma tante qui paradoxalement, allait donner des sous aux bonnes sœurs qui nourrissaient les pauvres enfants à l'orphelinat mais qui soutenait ma gouvernante lorsqu'elle disait que ce n'étaient que des chiens auxquels il ne fallait pas donner du pain blanc mais plutôt du pain rassis. Ma tante si douce, si belle, qui nous éleva ma sœur et moi dans la foi et dans le bonheur.

L'hiver fut très doux, et sans neige. Un fait plutôt inhabituel.

Comme j'avais toujours eu l'habitude de m'occuper du foyer et de mes enfants, le fait que tout soit fait a ma place me perturbait. Les repas, les lessives, les courses au marché ou encore le bain d'André n'étaient plus de mon ressort, puisque des domestiques s'en occupaient.

J'avais tout de même réussi a obtenir gain de cause pour le couchage de mes garçons, leur lecture quotidienne de la Bible et l'apprentissage de l'écriture d'André, des moments importants qui selon moi, ne pouvaient pas être délégués. Mes journées, je les passaient avec Marie-Camille, elle m'apprenait la broderie, me faisait découvrir des œuvres littéraires pour certaines particulièrement ennuyantes, ou encore, elle me parlait pendant des heures de sa passion dans la préparation du thé, avec des feuilles rares et chères récoltées en Indochine.

Ce n'était pas bien passionnant mais elle m'agrippait comme un chat a sa souris dès la fin du dîner, et elle ne me lâchait plus jusqu'en fin d'après-dîner, quand André me réclamait son goûter. D'ailleurs, le chat d'André avait trouvé bon de s'unir avec la minette de Marie-Camille, et nous attendions la naissance des chatons, enfin, c'était plutôt André qui était rendu fou par cette nouvelle. Chaque jour il me demandait la date du jour, car je lui avait dit qu'ils naîtraient au tout début du mois de janvier prochain. Alors chaque soir, il barrait avec sa petite plume la date du jour sur le calendrier, impatient.

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