Chapitre 35A: janvier 1785

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Je pu lire un très beau poème dans le journal d'André, à la page d'une chronique réservée aux poètes en herbe, dont la gazette publiait chaque mois une de leurs œuvres :

Un matin de mai,

Parcourant de long en large les roseraies,

Je te trouverais, toi, mon trésor,

Parmi les fleurs, sous le soleil ocre de l'aurore,

Mon tout-petit, mon éternel,

Je marcherais longtemps,

Entre les mers, les fleuves, les champs,

Quand sous un ciel presque noir,

Au moment où tombera le soir,

Je prierais pour toi mon enfant,

Qui ne sera jamais grand,

J'embrasserais le marbre glacé de ta stèle,

J'embrasserais le petit Christ crucifié,

Je baiserais si il le fallait la bruyère ici déposée,

Et le matin revenu, je repartirais, mon chagrin un peu estompé,

Pour quelques temps, malgré le mistral giflant,

Pour que toi, mon enfant,

Tu puisses reposer tout apaisé,

Comme les soirs où je venais te bercer.

Si j'avais pu un jour rédiger un tel écrit, je l'aurais dédié à tous mes petits anges partis trop tôt. Je découpais le poème et je le rangeais dans le tiroir de ma table de chevet, en espérant que mon époux ne s'inquiète pas trop de voir son journal ainsi troué.

Alors que je n'avais même pas entendu les coups répétés contre la porte, c'est André qui s’en alla ouvrir. Je l'avais juste entendu s'exclamer heureux :

—'' Malou!

Je me précipitais, ma nièce attendait encore sur le seuil, sa malle près d'elle. Une petite larme perlait sur sa joue, elle avait beaucoup grandie, et j'ignorais pour quelle raison elle rentrait si précocement de chez son père.

—'' Eh bien, que faites vous là?

—'' C'est que... Chuchota t–elle. J'ai mes causes. Gustavine m'en avait parlé, mais j'ignorais que cela faisait si...

Je lui assénais une belle gifle. Pour deux causes, d'abord pour son culot de revenir me voir alors qu'elle avait claqué la porte l'année dernière, et puis pour la coutume de la voir devenir une femme, à quinze ans et demi.

—'' Dois-je la faire entrer? Demandais-je sans attendre de réponse à André, qui suçotait un quignon de pain derrière moi.

Malou, remise de sa gifle, joignit ses mains, mal à l'aise et certainement endolorie par son petit ventre.

—'' Je vous en prie... Cela coule et je vais salir le parquet.

Je lui permettais d'entrer, mais à une seule condition.

—'' Vous récupérez quelques langes et vous quittez l'appartement. Je ne veux plus vous voir ici.

—'' Mais...

—'' Écoutez moi bien Marie - Louise. Quand vous êtes partie d'ici, c'était censé être définitif. Si votre père vous a récupérée, c'est qu'il a les moyens de subvenir a vos besoins. Je ne suis pas censée jouer les bonnes Samaritaines sur le salaire de Gustavine qui travaille pour nous faire vivre! Récupérez vos affaires et sortez d'ici. Maintenant.

Sans doute très étonnée, après avoir réglé ses problèmes de femme, elle claquait la porte de l'appartement en marmonnant, sa petite malle à la main. André était déçu, car il aurait aimé que sa cousine reste un peu plus avec lui, mais je lui expliquais que sa maison n'était plus ici et que c'était bien mieux comme cela.

Mon fils de cinq ans racontait à son frère aîné les bêtises de sa petite sœur, et le soir, il voulait absolument qu'on laisse une place à Louise a table. Cela m'énervait, mais il était encore jeune et je me disais que cela lui passerait.

Lorsque je reçu ce courrier, j’étais sûre que mon fils sauterait de joie.

—'' Léon - Paul!

—'' J'arrive maman ! Cria t-il alors que sa chambre n'était pas si loin

Il arrivait avec son boitillement habituel, suivi de près par son petit frère, a qui il manquait une chaussure.

—'' Où est passée votre deuxième chausse André?

—'' C'est Léon - Paul, il me l'a piquée.

—'' Ce n'est pas vrai. Il raconte trop de mensonges.

—'' Bon, vous n'étiez pas venu pour cela. Lisez cette lettre.

Il la lu, puis il me regardait avec ce sourire qui signifiait de l'incompréhension.

—'' Vous, vous n'avez pas compris. Le mari de Berthe accepte de vous prendre comme élève, jusqu'à votre possible entrée à la faculté des Arts, dans deux ans. Vous êtes content?

Il me sauta dans les bras, moi aussi j'avais du mal a y croire. Mon fils deviendrait médecin.

—'' Vous ne deviendrez pas chirurgien, parce-que, comme elle m'avait expliqué, ce n'est pas un métier reconnu. Il vaut mieux être médecin.

—'' Je suis trop heureux maman. Quand est-ce que j'irais me former chez lui?

—'' Il peut vous prendre en tant que stagiaire, à partir du mois d'octobre, quand son actuel partira à la Faculté. Il faudra être attentif, poli, et ne pas avoir peur de poser des questions, il n'y a que cela qui vous fera avancer Léon-Paul. Vous m'entendez? Ce sera votre unique moyen de progresser, surtout que vous n'aurez que du théorique une fois à la Faculté.

Très fier, il se tourna vers son petit frère.

—'' Et vous Jeanjean? Que ferez vous plus tard comme études?

—'' Moi je veux être Jésus Cri.

—'' Cela n'existe pas comme métier, André. Jésus est une figure, pas un métier.

—'' Bon, laissez le vouloir être Jésus Christ, si il en a envie. Écrivez donc à Berthe, pour qu'elle vous renseigne avec exactitude sur la formation prodiguée par son mari.

J'avais écrit à Gustavine pour lui indiquer que son mariage ne serait pas possible, prétextant le fait qu'elle était trop jeune. Nous avions absolument besoin de son salaire et ces noces seraient une véritable catastrophe pour notre famille. Sa réponse me laissa présager le pire : elle ne se soucierait pas de mon avis, puisqu'elle n'avait plus de parents et que seuls eux auraient pu avoir une certaine influence sur son choix. Elle me donna véritablement la boule au ventre.

Lorsque André recevait les lettres qui prévenaient de l'arrivée prochaine des releveurs d'impôts, il hallucinait chaque mois un peu plus. Le Roy demandait tant a des gens qui n'avaient déjà pas grand chose, que j'imaginais mal la situation dans une famille qui ne possédait presque rien. Chaque premier ou parfois deuxième jour du mois, deux hommes envoyés par le Roy passaient dans les foyers pour récolter l'impôt. Ils étaient sévères, muets, maigres. C'étaient presque toujours les mêmes. Le matin avant de partir pour la cordonnerie, André me laissait l'enveloppe de billets que je devrais leur donner si ils arrivaient avant son retour. Comme avec Léon, mais bien sûr en moins grandes proportions, j'avais chaque jour le droit a un peu d'argent pour mes dépenses personnelles, bien utiles.

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