Chapitre 34E: septembre - décembre 1785

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André s'étonnait devant ce petit bébé si calme qui suçotait son doigt lorsqu'il lui enfonçait dans la bouche. La petite pleurait de faim. Comment nourrir une petite orpheline d'un mois quand on avait que du lait de vache chez soi?

André s'extasiait.

—'' Il a pas de dent maman!

—'' C'est normal Jeanjean, c'est un bébé. C'est votre cousine. Elle s'appelle Marie-Madeleine. Elle ne restera pas avec nous André, vous comprenez? Nous la garderons un peu ici, puis je la rendrais à la famille de Madeleine.

Léon - Paul aussi avait l'air triste de ne pas pouvoir garder la petite.

—'' Pourquoi elle ne peut pas rester avec nous Marie?

—'' Parce-que je ne suis que sa tante et que je ne veux plus de bébé à la maison. J'ai déjà mes deux enfants à élever, cela suffit. Ce n'est pas à moi de m'en occuper.

J'allais lui acheter du lait de chèvre, convaincue qu'elle resterait ici quelques temps. Toute la journée, je la berçait, la câlinait, faute de lit adapté pour la coucher, j'avais trop peur qu'elle ne tombe du lit des enfants.

Le soir, en rentrant, alors que je préparais le souper, André découvrait avec stupéfaction qu'il y avait chez nous un nouvel habitant. Il posait ses affaires et avançait stupéfait vers Léon - Paul, qui tenait assis au fond du canapé la petite.

—'' Eh bien, a qui est cet enfant?

Ayant entendu mon mari rentrer, j'allais répondre.

—'' Ma nièce. Mon frère me l'a gentiment apporté ce matin. Il vient de perdre son épouse. C'est un beau cadeau, non?

—'' Vous ne comptez quand même pas la garder?

—'' André et Léon - Paul voudraient bien, mais demain, j'irais la ramener aux parents de Madeleine, sa mère décédée le 30 septembre dernier en la mettant au monde. J'ai peur que le lait de chèvre ne lui provoque des maux de ventre.

—'' Allez leur rendre ce soir. De toute façon, nous n'avons pas de berceau pour la coucher. Je vous accompagne.

Je donnais quelques recommandations aux enfants.

—'' N'ouvrez pas aux inconnus, ne touchez pas aux bougies, même si vous voulez aller dormir. Nous reviendrons dans quelques heures. Soyez très sages.

Suivie de mon mari, le bébé dans les bras, nous quittâmes l'appartement, en fermant la porte du logement a clef derrière nous. Il faisait nuit noire, mais les éclairages publics récemment installés nous permettaient de voir au moins nos pieds. Je donnais l'adresse a André retrouvée dans mes papiers. Mon mari tournait un peu en rond dans les rues coupe - gorges, sales et pleines de rats, j'avais froid, puisque la petite voiture n'était pas couverte. Lorsque, puante et désormais affamée, l'enfant se mis a hurler, je demandais a André de rentrer, c'était inutile de poursuivre du vent, ses grands - parents devaient être décédés depuis longtemps.

A la maison, je retrouvais mes enfants sagement attablés, qui feuilletaient la Bible en riant, devant leur bol de soupe froide qu'ils n'avaient pas terminé. Pour une fois, je ne leur ordonnais pas de terminer leur assiette. Davantage préoccupée par la petite, je la changeais et la couchais dans un tiroir ouvert, garni de couvertures, cela lui suffirait amplement. Je me disais que j'en prendrais soin jusqu'au dimanche suivant, où André pourrait m'accompagner dans sa voiture pour chercher sa famille. Son père désormais veuf ne pouvant la reprendre, même si je ne comprenais pas pourquoi en vue de son salaire, il n'engageait pas quelqu'un pour prendre soin de sa fille, surtout que Victoire était encore en vie et qu'elle aurait aussi besoin que l'on s'occupe d'elle.

Je m’étais dit qu'elle ne resterait pas avec nous et pourtant, au fil des semaines, nous constations ses progrès. Bientôt, il ne fus plus question de l'abandonner. J'achetais un berceau pour qu'elle puisse dormir en sécurité près de moi, et un biberon pour pouvoir lui donner son lait de chèvre, qu'a mon grand bonheur elle digérait bien. André la câlinait, c'était la petite sœur qu'il n'avait jamais connu. Je ne connaissait pas sa date exacte de naissance, puisque sa mère aurait très bien pu décéder quelques jours après, mais naturellement, celle du 30 septembre restait. C'est ainsi que la petite grandissait.

Le jour du marché, Léon - Paul la gardait tandis que j'emmenais André avec moi, pour qu'il m'aide un peu. Je faisais désormais la lessive toute seule, sans aucune aide, et je mesurais ainsi a quel point Gustavine et Malou m'avaient été importantes dans la bonne tenue du foyer.

L'hiver commença, le premier pour Marie - Madeleine. Pour nous, il était doux, car l'argent que nous envoyait Gustavine permettait de bien nous chauffer, mais pour d'autres, c'était une épreuve. Parfois, des mendiants venaient frapper à la porte, alors André y avait percer un œillet, ainsi, nous pouvions savoir qui était devant chez nous, et ne pas ouvrir si nous le désirions. Mon benjamin s'amusait a espionner les voisins, car il pouvait voir sans être vu. Malheureusement pour lui, les nôtres étaient plutôt discrets et ils passaient rarement devant notre porte. Les journées d'André se résumaient a dessiner un peu et a distraire Marie - Madeleine, que j'avais installée dans le salon sur une couverture. Il tentait de l'amuser avec un grelot déniché au fond du placard, mais elle était trop petite pour véritablement porter intérêt a ce jeu qui finissait par m'agacer, a force de sonner toute la journée. Léon - Paul, lui, étudiait, persuadé qu'il réussirait a devenir chirurgien en étudiant sur ce vieux livre de médecine ramené de chez Berthe, qui avait accepté de nous le donner lors de notre dernière visite, en voyant mon fils feuilleter les pages l'air intéressé.

Le dimanche suivant, je cherchais la tombe de Madeleine parmi celles du cimetière où j'avais l'habitude d'aller prier et déposer des fleurs, pour ma sœur, et mes parents. Elle ne devait pas être enterrée ici, puisque je ne la trouvais pas. Malgré les nombreux homonymes, l'année de naissance inscrite sur la stèle ne correspondait jamais à la sienne.

Mauvaise en calcul, j'étais persuadée que c'était cette année que ma sœur aurait fêté ses quarante ans. Née en 1746, Léon-Paul me corrigea : elle n'aurait eu cette année que trente-neuf ans.

Suite à une joyeuse Saint-Nicolas, pour le premier Noël de Marie-Madeleine, André nous emmena le vingt - cinq décembre, qui tombait un dimanche, aux jardins de Versailles, tous enneigés, pour que les enfants puissent se défouler les jambes et construire un bonhomme de neige. Léon-Paul, qui en avait longtemps fait avec Émile dans notre jardin de Montrouge, expliquait à son petit frère les principes d'une construction solide.

Je tenais dans mes bras le bébé calme, ne pouvant m'asseoir au risque d'avoir la robe trempée, tandis qu'André les aidaient en cherchant des branches d'arbre pour faire le nez et les bras de l'homme de neige. J'aimais cette vision de famille, paisible et heureuse. Jamais Léon n'aurait ainsi joué avec les enfants, et souvent, les sorties se terminaient avec lui en gifles et en pleurs.

Peut - être que finalement, j'avais fait un bon choix en me remariant et que Léon était mort pour un bien.

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