Chapitre 34D: juillet - septembre 1785

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Madeleine ( 1743 - 30 septembre 1785)

Avec André et Léon-Paul, par une journée où il faisait si chaud que j'avais dû fermer a moitié les volets de l'appartement, nous nous rendîmes chez Berthe. Les enfants étaient mous, sans énergie, accablés de chaleur et de soif, ils avaient les joues rouges, les cheveux mouillés, et ne manifestaient pas tellement envie de se promener. Je transpirais énormément sous le corset que je portais par dessous ma robe, mais si nous n'y allions pas aujourd'hui, nous n'irions jamais. C'était un samedi, le trente juillet. L'odeur dans la rue presque déserte était réellement insupportable, il devait faire aux alentours de 35° dehors, c'était difficile. Je tentais de faire en sorte que le chemin leur paraisse moins long.

—'' Etes-vous déjà venu chez ma petite cousine André?

—'' Non.

Léon-Paul s'immisca dans la conversation.

—'' Moi non plus.

—'' Vous verrez, c'est très beau et très grand. Évidemment, on ne touche a rien, on ne court pas, on ne crie pas, on reste près de moi et on répond poliment aux questions.

—'' C'est un musée chez eux? Ria mon aîné

—'' Un peu oui. Son mari est assez riche.

—'' Qui est t-elle par rapport a vous?

—'' Oh... C'est un peu compliqué. Ma mère avait une sœur, ma tante Marguerite, qui avait quatre filles. Vous suivez? Parmi ces quatre filles, il y avait ma cousine Élisabeth. Elle a eu deux ou trois enfants avec son premier mari, dont Berthe.

—'' Je crois que j'ai compris. Restez ici André. C'est là?

—'' Oui. Allez, vous avez entendu, on ne court pas, on ne crie pas. André, vous entendez?

Nous montâmes jusqu'au premier étage, puis invités par la bonne de maison, nous pénétrâmes dans cet appartement. Les enfants restaient bouche bée devant tant de luxe, peu habitué a un univers aussi chargé, riche et flamboyant, du sol au plafond. La dernière fois que j’étais venue, trois mois après son mariage, rien n'était vraiment en place. Aujourd'hui tout était décoré, peint, meublé.

Berthe, très élégante, nous accueillit chez elle. Sa splendide robe de damas bleu lui donnait un air de femme riche. Elle s'extasiait devant mes petits, simplement vêtus, puis elle nous invitait dans son salon. La bonne versait le thé glacé dans nos tasses pendant que Berthe interrogeait les garçons mal à l'aise.

—'' Désirez-vous un verre de jus frais les enfants?

André ne répondit pas, préférant se tordre les mains dans tous les sens.

Léon-Paul regarda avec insistance son frère.

—'' Oui s'il vous plaît.

—'' André? Répondez–vous? M'agaçais - je quelque peu.

—'' Non merci madame.

—'' Oh, qu'il est mignon ce petit homme. Désirez vous un verre d'eau? Un chocolat?

Je répondais pour lui, lassée de devoir attendre sa réponse.

—'' Il prendra un verre d'eau.

La bonne s'en retourna pour chercher les boissons, alors que je me demandais de plus en plus qui Berthe avait à nous présenter. La jeune femme, en s'extasiant devant mes fils qui buvaient leurs tasses, appela soudainement une de ses nombreuses bonnes de maison.

—'' Claude! Apportez - moi les enfants !

La femme apparut confuse.

—'' Ils dorment madame.

—'' Et bien réveillez-les. Ils dormirons mieux cette nuit.

Les bonnes apportèrent deux paquets emmaillotés qui pleuraient, dérangés dans leur sommeil. Berthe les attrapait assez maladroitement pour nous les présenter.

—'' Alors je ne sais plus qui est qui, mais voici Gabriel et Berthe.

—'' Vous ne m'aviez pas dit que vous étiez maman! De jumeaux en plus! Quels âge ont t-ils?

—'' J'ai été accouchée le 18 juillet. Ils ont donc dix jours. Non, douze excusez - moi.

—'' C'est assez étonnant... saviez vous que votre mère et votre tante avaient aussi mis au monde des jumeaux? A chaque fois, un seul avait survécu, mais c'est très drôle comme coïncidence. Les bonnes s'en occupent?

—'' Je ne sais pas si c'est drôle mais j'ai deux nourrices pour les allaiter, et deux bonnes spécialement pour s'en occuper. Ils partent dans deux jours, donc j'ai tenu a ce que vous veniez.

—'' Ils partent?

—'' Oui, chez une nourrice. Avec Gabriel, on a pas envie de les garder ici. Ils reviendront vers trois, quatre ans. Vous savez, moi les bébés, ce n'est pas trop mon affaire. Voulez–vous encore du thé?

Cela me surprenait énormément, qu'une mère puisse ainsi abandonner ses enfants aux mains d'une personne qu'elle ne connaissait pas. Nous passâmes la fin de l'après - midi a discuter, les nouveaux - nés retournèrent vite dormir dans la pièce qui leur était réservée, sans même une parole ou un baiser de leur maman, qui ne parvenait même pas a les dissocier l'un de l'autre. Comme si l'amour maternel s'envolait avec la classe sociale, évidemment au plus haut chez Berthe.

Suite à cette visite, le soir, Léon - Paul s'interrogea.

—'' Pourquoi Berthe n'aime t-elle pas ses enfants?

—'' Vous savez, quand on ne désire pas avoir un enfant, on l'aime rarement. Ils sont arrivés aussi vite qu'ils repartiront, soyez en sûr. La nourrice les garderait dix ans ou les remplacerait qu'ils ne s'en inquiéteraient même pas. Ils en auront d'autres, et ce sera le même sort pour tous. Bonne nuit Léon - Paul.

—'' Vous m'aimez, hein maman?

—'' Mais oui mon fils. Je ne m'appelle pas Berthe. Faites de beaux rêves.

Août passa, j'imaginais le deux août les tout-petits quitter leur foyer, leurs parents, pour partir grandir dans un endroit d'où il ne reviendraient peut-être jamais. Enfant, cela m'avait marquée, mais j'avais reçu l'affection de toute la famille avant mon départ et à mon retour, ce qui ne serait sûrement pas le cas des jumeaux.

Si je n'avais plus du tout de nouvelles de Malou, qui avait quinze ans désormais, Gustavine m'envoyait a chaque début de mois une enveloppe contenant la totalité de son salaire ou presque. J'ignorais si elle me versait l'intégralité mais cela m'importait peu, après tout, elle travaillait pour gagner cet argent. L'enveloppe était toujours jointe a un billet qui me donnait quelques nouvelles. Elle se plaisait énormément dans la famille qui l'employait, et les quatre petits enfants de ses patrons, Jean, Pierre, Étienne et Marie, m'avaient au travers des lettres l'air adorables.

Septembre passa, puis en octobre, je recevais cet effroyable lettre.

Louis - Henri de Châteauroux vous annonce avec peine le décès de son épouse Madeleine, survenu dans sa quarante–deuxième année le 30 septembre 1785. Marie - Madeleine est par ce drame arrivée. Que l'âme de la mère repose en paix, que l'enfant soit protégée et bénie.

Mon frère venait de perdre sa femme en couches, et la naissance de sa sixième fille ne devait que l'attrister d'avantage. J'aurais bien voulu assister à l'enterrement de cette femme avec laquelle autrefois je m'étais très bien entendue, peinée évidemment.

Quelques jours plus tard, un matin tranquille alors que je m'apprêtais a croquer dans ma tartine, on vint frapper à la porte. Léon-Paul accouru pour aller ouvrir, avant que je ne le rejoigne, pour voir qui c'était. La vision m’écœurait. Mon frère, un bébé sommairement emmailloté dans les bras, m'apportait sa petite fille pour que je m'en occupe. Désemparée, sans trop réfléchir, j’attrapais le nouveau - né hurlant avant qu'il ne déguerpisse aussi vite qu'il était venu. Alors je réalisais, sans doute ne reviendrais t-il pas, et je devrais élever l'enfant... Mon dieu... Cela allait recommencer, on me prenait pour une bonne sœur qui élevait les petits orphelins... D'abord je la ramenais à l'intérieur, avant de réfléchir à la rendre, éventuellement, a son père.

Agée d'un peu plus d'un mois, Marie- Madeleine commençait plutôt mal sa vie.

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