Chapitre 33E: février - avril 1785

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Dès ce dîner là, mon mari proposa une chose inédite aux enfants.

—'' Accepteriez vous que nous utilisions le tutoiement entre nous, les enfants?

André ne connaissait pas ce mot, tandis que Léon-Paul me regarda avec des yeux étonnés. Je hochais la tête, favorable au changement.

—'' Quelle drôle d'idée. Mais pourquoi pas. Après tout, de plus en plus de familles y ont recours. Je suis favorable, mais seulement de la part des adultes envers les enfants. Lorsque les enfants s'adressent aux adultes, le vouvoiement est une marque de respect qui me semble indispensable.

André, assis sur la chaise voisine, se pencha vers moi, et me glissa dans l'oreille.

—'' C'est quoi le '' tu toi ment'' maman?

—'' Pourquoi chuchotez - vous, mon garçon? C'est lorsqu'on parle a une personne en lui disant ''tu''. Lorsqu'on s'adresse aux gens en leur disant '' vous '', cela s'appelle le vouvoiement.

Le soir, j'avais bien du mal a coucher André. Surexcité, il sautait sur son lit en s'accrochant aux épaules de son beau - père, qui participait à son jeu en riant. Je parvenais à le coucher, seulement lorsque son beau - père sortait de la pièce.

—'' Vous avez été faire? Vous avez été boire? Vous avez fait votre prière? Oui? Allez, calmez - vous. Chuuuut... Bonne nuit mon bonhomme.

J'embrassais Léon - Paul et je quittais la pièce sur la pointe des pieds. Nous nous retrouvâmes tous deux dans la chambre conjugale, pour la première fois. Mon mari me lança un regard coquin.

—'' Voulez - vous que je vous déshabille, madame Aubejoux - Bailly?

Je soupirais. Je détestais l'association des deux noms, que j'avais pourtant réclamé auprès de mon mari. Et puis, j'avais mes lunes, ce soir - là. Je réfléchissais à une manière de ne pas le braquer, tout en évitant une catastrophe sanglante. La seule solution fus pour moi de prétexter une migraine. Forcément, il se vexait. Il se vexa et passa sa nuit sur le canapé. Le lendemain matin, lorsque je me réveillais, il était parti depuis longtemps.

Le lendemain fut pareil, ainsi que le surlendemain. Lorsque mes lunes avaient enfin cessées, je pouvais m'offrir à lui. Cependant, il s'était rodé à dormir sur le canapé, et je devais faire preuve de jugeote et de discrétion pour lui faire comprendre que ce soir là, j'étais prête.

—'' André... Ce soir, vous pouvez venir...

Il tourna la tête, et, étonné, me rejoignit dans la chambre. Rien ne se passa comme prévu. Lorsque je me déshabilla derrière le paravent, il se plaignit, car monsieur aurait aimé le faire lui même, et puis, il allait beaucoup trop vite, il ne maîtrisait pas son corps et me faisait alors prendre le grand risque de tomber enceinte. Énervée, je le prévenais que cela ne pourrait pas se passer comme ça chaque soir. Il m'avait pourtant assuré avant le mariage que ne pas avoir d'enfant avec moi ne le dérangerait pas, j'aurais cru qu'il faisait exprès de se laisser aller.

Je pensais que j'y parviendrais, mais même au bout de quelques semaines, j'avais toujours trop de mal à tutoyer mes enfants. Léon - Paul détestait qu'on le tutoie, Gustavine s'en fichait, alors cela était vite abandonné. Sauf entre André et André. Le petit garçon trouvait cela plaisant, et il s'embrouillait a mélanger les deux dans ses phrases, comme son beau - père. Chaque soir, André lui faisait la fête quand il rentrait. Mon fils passait parfois ses après - midi entiers attablé dans le salon à lui faire des dessins, avec les crayons de couleurs qu'il lui avait offert. Lorsque mon mari passait la porte, fier de ses œuvres, sans même lui dire bonsoir, il lui sautait dans les bras et les lui offrait tous, avec un grand sourire.

Je voyait bien qu'André guettait mon ventre. C'était prompt, mais tellement dégoûtant. Salaud... Pensais - je un soir dans mon lit, en fixant le plafond, la couverture chaude mais gratteuse jusqu'au menton. Je n'avais pas l'intention de me laisser engrosser contre ma volonté comme une vache a lait ou comme une épouse soumise. Je me disais que si il continuait à ainsi se laisser aller, je ne lui permettrais plus de me toucher. Ce qui fus bientôt la sanction qui lui tombait sur la tête. Il s'énervait, comme si il ne comprenait pas.

—'' Je ne comprend pas, Louise, pourquoi vous me refusez à vous.

—'' Quand vous aurez compris que je ne veux pas d'autre enfant, vous cesserez d'agir en bon père de famille.

—'' Ce que vous dites est complètement ridicule. Et le devoir conjugal alors?

—'' Le devoir conjugal, je vais vous dire André, je l'emmerde! Voilà, je n'avais jamais dit de gros mot, c'est sorti. A presque trente - cinq ans, il était temps, non? Sur ce, bonne nuit.

J'espérais qu'il ait compris. Après quelques semaines de frustration pour lui et de tranquillité pour moi, j'acceptais de le laisser de nouveau agir. Il faisait attention cette fois, respectant ma décision, faisant ses petites affaires hors de mon corps et de mon intimité.

Nous arrivâmes en avril, où, comme en mars, le temps pluvieux me rendait triste et morose. Le marché le samedi était une vraie galère, comme d'ailleurs a chaque fois que cette saison revenait. Le pire étant la lessive le samedi après - dîner, qu'il fallait effectuer certaines fois sous une pluie torrentielle. Le linge ne pouvait alors pas sécher dehors, et l'appartement se transformait en séchoir, heureusement pour moi que les enfants n'avaient pas beaucoup de vêtements. Trois pantalons pour chacun dont un qu'ils ne portaient que le dimanche, trois chemises dont une du dimanche, trois paires de chaussettes, une paire de chaussures, un manteau que je ne lavais qu'une fois par an, une veste, deux pyjamas chacun. Gustavine avait deux robes et une paire de chaussures, je possédais trois robes et une paire de chaussures, nous n'étions pas riches en linge.

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