Chapitre 32I: janvier - février 1784

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Quatre jours plus tard, nous entrâmes dans la nouvelle année 1784. André attendait avec beaucoup d'impatience son anniversaire pour recevoir son pantalon et sa chemise. Chaque jour, il m'en parlait, du matin en se levant, jusqu'au soir en allant se coucher. Il ne faisait plus du tout de caprices, sans doute assez marqué par l'épisode de la soupe. C'était un enfant qui savait s'amuser seul, n'ayant pas de frères et sœurs avec qui partager ses jeux. Souvent, lorsqu'il ne s'accrochait pas a ma robe pour me demander un verre d'eau ou un biscuit, je le retrouvais assis sous la table du salon avec sa petite bille, ou allongé sur son lit, feuilletant a l'envers l'imagier qu'avaient tenu chacun de ses trois frères. J'aimais le voir si calme, si posé, j'aimais quand régnait dans l'appartement une ambiance silencieuse, quand Gustavine, Malou et André étaient occupés a leurs tâches sans un mot.

Gustavine claqua la porte de la chambre ce matin là. Je ne comprenais pas, Malou marmonnait, attablée dans le salon. J'allais la voir, calmement, je posais mes mains sur ses épaules.

—''Je n'ai pas l'habitude de vous voir fâchées. Que se passe t-il?

—''Ne vous inquiétez pas. Ce n'est pas grave.

—''Si, si, dites moi. Je ne voudrais pas que vous restiez en froid toute la journée.

Elle parla sans que je ne comprenne trop.

—''Comment? Excusez-moi, je n'ai pas entendu. Parlez un peu plus fort.

—''Gustavine pense que je ne la considère pas comme sa famille. Alors que c'est faux...

—''Oh, mais si, vous faites partie de la même famille. Vous êtes cousines.

—''Allez lui expliquer alors. Que je ne considère pas de la même manière mon frère et mon père que vous, mais que vous êtes quand même ma famille.

J'allais donc voir Gustavine, cette grande fille aux longs cheveux bruns, qui boudait la tête enfoncée dans son oreiller, comme l'aurait fait une enfant de cinq ans. Je lui expliquais, mais les deux jeunes filles restèrent sans se parler durant toute la journée. Le lendemain soir, Malou m'avoua quelque chose.

—''Vous savez, dimanche dernier, au cimetière, nous avons croisé mon père et mon frère?

—''Oui...

—''Et bien j'ai discuté avec Auguste.

—''Auguste... Votre frère?

—''Oui. Il m'a dit que papa cherchait un nouvel appartement pour que j'ai ma propre chambre. Il m'a dit que d'ici un an, je pourrais les rejoindre!

Je n'était pas très heureuse a cette idée.

—''Mais vous n'aurez que quatorze ans... On en avait déjà discuté Marie - Louise. Je suis contre cette idée que vous vous retrouviez seule avec deux hommes dans un appartement.

—''Mais pourquoi? Il sont gentils!

—''Ce n'est pas une question de gentillesse, c'est plutôt que vous jouerez forcément à un moment ou à un autre la petite bonne à tout faire. je ne veux pas ça pour vous Malou, comprenez - le, vous êtes encore une enfant, toute votre vie après votre mariage vous jouerez ce rôle, pourquoi vouloir accélérer les choses?

—''Je ne jouerais pas la bonne... Auguste m'a dit que papa en avait engagé une...

—''Vous croyez vraiment que votre père continuera à payer une bonne, si vous êtes là? Quand ils iront travailler, que ferez - vous? Vous serez obligé de faire la cuisine, le ménage. Non, non, parlez en avec Léon si vous voulez, mais il tiendra le même discours que moi.

—''De toute façon vous ne comprenez rien. Papa viendra me chercher de toute façon. Vous n'aurez rien à dire.

Je me rapprochais d'elle, énervée par une attitude aussi insolente.

—''Vous n'avez pas à tenir un tel discours sur un tel ton envers un adulte! Écoutez-moi Marie-Louise, je vous ai élevée, alors c'est moi qui déciderais avec votre oncle de ce qui sera le mieux pour vous. Bonne nuit.

Alors que je quittais la pièce, Malou cria, la voix chevrotante.

—''Papa n'avait pas d'autre choix que de me confier à vous ! Je suis assez âgée maintenant ! Ils forment ma plus proche famille! J'ai le droit de vivre avec eux!

Je l'entendais pleurer dans son lit, puis le silence s'installa. Je discutais un peu avec Léon, lui aussi trouvait cela normal que nous décidions de son avenir, et puis, Auguste aurait aussi pu élever Malou et Auguste avec une nourrice, si il l'avait vraiment voulu. Elle resterait ici avec nous jusqu'à son mariage ou du moins, jusqu'à ce qu'elle soit adulte. Le lendemain, ma nièce traîna au lit la mine boudeuse et elle ne m'adressa pas la parole.

En ce début d'année tumultueux, la mince couche de neige sur les pavés était rendue marron par la terre et par le crottin des chevaux qui empestait. S'il avait grandi à Montrouge, André aurait pu construire des bonhommes de neige avec ses cousines, lui donner un prénom comme Émile le faisait, et regarder la sculpture éphémère fondre au fil des semaines. Au début du printemps, il aurait retrouvé la carotte flétrie et noircie et le bonnet par terre dans le jardin, en se rappelant qu'il y avait là quelques temps auparavant un grand homme de neige qui veillait sur la maison. Jamais il ne connaîtrait cela, les grands espaces, l'étang près de l'église où l'on jouait tout l'été, la sortie de l'école communale et les bonnes sœurs qui passaient dans les maisons pour donner les appréciations des élèves. Jamais il ne goûterait les gâteaux de Gabrielle, jamais il n'irait pêcher avec son père, jamais il ne reverrait sa maison natale et les petites tombes où reposaient son frère et sa sœur.

Le quatorze février, nous nous rendîmes à l'église Sainte-Geneviève pour assister au mariage de Jean - Léon, le neveu de mon mari. André était calme, la cérémonie se déroula parfaitement bien, mais alors que je penserais que nous rentrerions, Léon m'informa.

—''Ils font une fête après la cérémonie. Il y aura un repas, de la danse, de la musique. Je tiendrais à ce que nous y allions.

C'était la première fois que je voyais un mariage aussi festif. Dans la périphérie de la ville, près d'une vieille grange abandonnée, les deux familles avaient installées des tables alignées joliment napées de grands tissus fleuris, sur lesquelles il y avait des bouquets de fleurs dans les vases. Sous les grands chênes, des dizaines d'enfants jouaient à grimper sur les branches, il y avait des musiciens qui jouaient du tambour, des trompettistes. Les mariés arrivèrent dans leur voiture tirée par deux chevaux blancs, tels les héros d'un livre, on les acclamait, eux qui se tenaient la main en souriant. Lorsqu'ils s'embrassèrent, les invités crièrent plus fort encore leurs prénoms.

Nous nous installâmes près de gens que je ne connaissais pas, je mettais à André sa petite serviette pour qu'il ne salisse pas sa robe, puis le plat arriva, servi par la sœur de Léon, la mère du marié. Alors que les hommes se désaltéraient et se saoulaient avec le vin qui coulait à flots dans les verres, les femmes se contentaient d'eau fraîche. Les pintades préparées pour l'occasion furent dévorées en un temps record, il y avaient aussi des pommes de terre cuites au four, du pain croustillant, des haricots verts, puis au dessert, de la tarte flambée, du fromage, des yaourts et des fruits.

L'après-midi fut dansant, les femmes se dandinaient en faisant tournoyer la jeune mariée jusqu'à ce qu'elle tombe par terre, les hommes faisaient boire et charriaient le marié, en chantant des chansons grivoises en se balançant sur leurs chaises. Pourtant, la mariée ne venait pas de la campagne, il avait fallut trouver un endroit où faire la fête, voilà tout. Je ne dansais pas, mais Gustavine fut invitée par un jeune homme avec qui elle passa tout le reste de la journée.

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