Chapitre 32H: novembre - décembre 1783

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Plus tard, avec cette voix tranquille et légèrement interrogative, mon mari me demanda:

—''Dites - moi Louise, votre frère ne pourrait t-il pas nous aider? Je le rembourserait tantôt, il n'est quand même pas à quelques centaines de louis près...

—''Vous savez Léon, c'est un peu compliqué entre eux et nous. La dernière fois, ils ont refusé de me recevoir. Depuis le décès d’Émile, je n'ai plus de nouvelles d'eux.

—''Essayez tout de même. Ça ne coûte rien et si ça porte ses fruits, vous regretterez d'avoir hésité. Émile est disparu depuis plus de deux ans maintenant, il faudrait renouer avec eux, ça peut toujours être utile.

Nous nous rendîmes donc le six décembre chez le père de Léon. Il était fatigué a présent, courbé, et, suite a une mauvaise chute, il ne pouvait plus marcher sans l'appui de sa canne. Je me demandais bien comment il faisait pour se nourrir, pour se laver, et tout aussi important, pour faire ses lessives. Léon, devant l'état préoccupant de son père, dont le logement était sale, qui vivait pour ne rien arranger au deuxième étage, décidait de le ramener vivre à la maison, et de vendre le petit appartement. Jean - Paul refusait au début, mais devant la gravité de son cas, il n'insista pas beaucoup.

Les deux repas que nous prîmes chez lui furent préparés par moi-même. André fut exécrable, il ne tenait pas assis et les gifles de son père ne firent que le faire pleurer, il refusait sa soupe, repoussant l'assiette loin de lui, il criait lorsque Léon l'envoyait dans la chambre en le tirant par les cheveux. Épuisé, il finissait par s'endormir, mais son père le réveillait en criant. Je croyais mon mari devenir fou lorsqu'il lui renversa l'assiette sur la tête, non habitué a un enfant aussi peu docile, en aboyant :

—''Espèce de p'tit con! Si vous croyez que je n'ai que ça a faire, moi, de régler des caprices de gosse! Hurlez, pleurez, tant que vous voulez, mais vous ne mangerez plus que de la terre tant que vous n'aurez pas fermé votre clapet !

André hurlait sur son lit, les cheveux dégoulinants, Léon excédé, cassait des bibelots, c'était vraiment n'importe quoi. Malou et Gustavine assistaient a cette scène, placides, depuis le salon, les deux jeunes filles devaient elles aussi en avoir marre des cris et des pleurs. J'essuyais un peu les cheveux souillés de mon petit garçon, mais une fois à la maison, je ne lui laverai pas, je les lui raserai. Même si j'aurai aimé attendre son troisième anniversaire, dans deux mois, ce n'était plus possible.

Nous terminâmes la journée dans une ambiance glaciale, tandis que Jean - Paul rassemblait ses affaires personnelles pour pouvoir définitivement quitter son appartement. Il ne possédait pas grand - chose, alors tout alla assez vite, en deux heures a peine, le logement pouvait être mis en vente. Nous ne prîmes finalement pas notre souper là - bas, nous rentrâmes chez nous vers dix - neuf heures, avec Jean - Paul. Après le repas, je m'occupais des cheveux sales de mon fils, qui craignait le rasoir.

—''Allez André. Votre toute première coupe de cheveux. Vous êtes prêts?

—''Léon il est méchant.

—''Chuuuuut... Vous allez le mettre en colère. Ne l'appelez plus par son prénom, d'accord? Appelez - le ''père'', ce sera très bien. Je rase tout, d'accord?

Je coupais d'abord grossièrement aux ciseaux, puis je terminais au rasoir, piqué dans les affaires de mon mari. Les longs cheveux dégoûtants tombèrent devant les yeux de mon fils, qui prenait peur, croyant devenir chauve.

'' —Ça repoussera vite, ne vous inquiétez pas. Je ne vous rase pas à blanc. Voilà, vous êtes tout beau.

Il passait sa main sur son crâne.

—''C'est doux maman! J'ai plus de cheveux!

—''Oui, oui. Vous vous souvenez comment vous devez appeler Léon maintenant?

—''Père.

André se calmait, affamé par le régime à base d'eau et de pain imposé par Léon pendant deux jours. Désormais, il l'appelait ''père''. Au début, il se trompait, mais à force que je le reprenne, à force que je répète, cela finissait par entrer.

Le père de Léon se faisait discret, nous lui avions installé un matelas dans le salon, qu'il rangeait durant la journée. Il avait été désagréable et machiste, mais dans un tel état de santé, il ne parlait presque plus. Durant la journée, je m'occupais de lui, enfin, je lui servais a manger. Le pire était de lui donner son bain. Pour cela, je fermais les yeux, devant ce corps flasque, usé, je frottais a peine et les jours où le grand - père prenait son bain, je ne lavais pas André, pour ne pas baigner mon petit garçon dans cette eau souillée par ce corps. Je ne sais pourquoi celui là en particulier me dégoûtait tant, alors que Léon, Malou, Gustavine, moi même et André nous étions toujours baignés dans la même eau.

Jean - Paul ne resta pas longtemps avec nous, puisque trois semaines après son arrivée, il décéda d'une crise cardiaque dans son sommeil. Léon était ébranlé par le décès de son père, mais l'enterrement fus prompt, car l’homme était vieux.

Ce vingt - huit décembre tombait un dimanche. Après la messe, nous nous rendîmes tous au cimetière pour prier sur la décennie écoulée depuis le décès de Camille. Alors que nous nous dirigions vers la tombe, dont je connaissait l'emplacement par cœur, Malou paraissait inquiète, elle revenait vers nous alors que marchant devant, elle y était déjà arrivée. Je l'entendais parler doucement avec Gustavine, derrière. Elle avait vu son frère aîné. Elles avaient ralenties, alors que nous arrivâmes là où reposait Camille. Sans surprise, je croisais Auguste fils et son père, sur la tombe de leur mère et ex – épouse. Auguste ressemblait tant à son père ! C'était un jeune homme qui allait avoir quinze ans, dont le léger duvet sous le nez dessinait la même moustache que portait toujours son paternel.

—''Bonjour Auguste. Le saluais - je en embrassant le jeune homme. Ne sachant pas comment appeler ni saluer mon beau - frère, je m'en passais.

Malou n'était pas très bien. Elle embrassait son père et son frère avec un profond malaise, sans doute étonnée de voir son père si vieux et son frère si grand.

—''Bonjour Marie. Vous allez - bien? Lui demandait son frère

—''Oui... Je vais bien. Soupirait t-elle en regardant la pierre luisante de la tombe de sa mère

Nous déposâmes les fleurs, Léon restait en retrait avec Gustavine. Retirés près d'une autre tombe, Auguste parlait avec sa sœur cadette, je savais qu'ils étaient content de se revoir, même si les circonstances n'étaient pas des plus joyeuses. Nous restâmes ensemble quelques temps, avant de nous séparer. Sur le chemin du retour, j'écoutais leur conversation en tendant l'oreille, Gustavine et Malou marchaient toujours derrière nous, l'une à côté de l'autre.

—''Vous avez l'air très proche de votre frère. Vous avez de la chance. Lui disait Gustavine

—''Oh, on se voit si peu. Je lui écris régulièrement, pour garder un lien. Je l'aime beaucoup, il représente ma seule famille proche avec papa.

—''Mais vous avez Louise, vos deux cousins, moi, Léon...

—''Oui, mais ce n'est pas pareil. Je suis désolée Gustavine, mais les parents ne sont pas les oncles et les tantes. Ce sont les frères et sœurs, le père et la mère. Je n'ai plus qu'un frère, et mon père. Malou se mettait à chuchoter. Je ne pourrais jamais considérer Louise comme ma mère.

Je n'étais pas sa mère, mais je tentais depuis qu'elle était toute petite de lui donner beaucoup d'affection, en continuité de celle de sa mère qu'elle avait reçu jusqu'à ses trois ans.

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