Chapitre 32B: juin 1783

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Je m'en souviens très bien, puisque au moment où tout commença, je feuilletais passivement la gazette du jour, décortiquant le titre, qui indiquait la date du vendredi treize juin 1783. Un jour de malchance pour cette dame, qui, du troisième étage, me fit sursauter, quand elle se mit subitement à crier, et ce, de plus en plus fort.

Je pensais vraiment qu'elle venait de perdre un de ses enfants, mais en y repensant, je n'avais pour l'instant jamais croisé personne ainsi accompagnée dans cet immeuble qui comptait pourtant trois étages. Ce n'est que quand Malou arriva le plus naturellement du monde en me disant :

—''Un nouvel habitant pour l'immeuble, pour la ville, pour le royaume et pour la Terre entière ! Vous croyez que ce sera une fille ?

—''Euh… Oui. Pourquoi pas ? Répondis–je étonnée

—''Demain, j'irais lui apporter des fleurs. Mais il faudrait qu'elle survive. Vous avez crié comme ça, vous, pour vos accouchements ?

—''Je ne sais plus. Comme tout le monde je crois, mais à part pour Léon–Paul, j'ai toujours accouché à Montrouge, alors je pouvais crier autant que je le voulais, personne n'allait taper au plafond. Cette pauvre dame a l'air de beaucoup souffrir…

Malou répliqua en riant :

—''Espérons juste qu'elle ne mette pas une semaine à accoucher.

—''Riez donc Malou, mais cela arrive parfois. Intervint Gustavine en nous rejoignant au salon.

Au bout de quelques heures, la femme finissait par cesser de hurler, et alors que nous savourions ce silence, un autre cri se faisait entendre, masculin cette fois. Malou et moi avions alors un mauvais pressentiment, ma filleule était sûre que cette femme venait de rendre l'âme en donnant la vie, alors que j'espérais pouvoir rester optimiste, en me disant que c'était uniquement l'enfant qui était mort.

Nous n'y pensions plus vraiment, lorsque deux jours plus tard, un vacarme sans nom dans les escaliers me faisait grandement m'interroger, aussi quand je me décidais à entrebâiller la porte pour voir ce qu’il se passait, quatre hommes étaient au bas de l’escalier, vêtus de costumes noirs et la mine lugubre, ils descendaient avec difficulté de leurs bras forts un cercueil qui vu sa taille, n'était pas celui d'un enfant.

Le nouveau – né pleurait beaucoup, nous l'entendions depuis chez nous. C’était d’une certaine manière sa faute si sa maman reposait maintenant dans ce cercueil, mais dès le mardi suivant, nous n'entendîmes plus jamais rien et nous devinâmes bien vite ce qu’il lui était arrivé.

Ma joie ce matin - là fut indescriptible, puisque alors que j'avais cessé d'espérer des nouvelles de Léon – Paul voilà des mois, il m'écrivait, en m'annonçant qu'il voudrait passer la journée du quinze juin à nos côtés, lors de la célébration de sa première communion en son école avec ses camarades. Nous devrions nous y rendre mais qu'importe, je verrais mon fils chéri pour la première fois depuis deux ans, et peu de choses auraient pu me procurer autant de joie, si ce n'est que nous avions reçu la lettre la veille de l'événement et qu'il serait compliqué pour Léon de se libérer de la librairie qui l'occupait énormément, mais mon mari faisait ce métier avec passion et dévouement.

Le problème se posa très vite, puisque nous n'avions qu'une petite voiture et que Léon refusait de me conduire, même de me laisser prendre les rênes comme j'en avais l'habitude étant plus jeune, je suppliais, mais rien n'y faisait. Prête à tout pour revoir mon petit garçon et assister à cette belle cérémonie, je me forçais bien que ce soit excessivement dur pour moi, à rendre visite à mon frère et ma belle – sœur, en espérant qu'ils fassent preuve d'un peu de charité en m'y conduisant ou en me prêtant la leur.

Le jour même, André était resté tranquillement à l'appartement avec Malou et Gustavine, tandis que je traînais des pieds, chaque pas que je faisais me rapprochait de chez eux, de chez ces gens que je considérais encore comme les meurtriers de mon fils. En espérant qu'ils vivent toujours dans cet appartement aussi luxueux qu’immense, je montais les escaliers luisants la boule au ventre et lentement, en me posant mille questions, ne prenant pas même le temps de contempler le magnifique lustre qui donnait de l'éclat à cette pièce d'entrée. La vieille femme flasque et ridée qui m'ouvrit la porte, sans même me laisser décliner mon identité, disparaissait un temps dans le logement pour appeler les propriétaires, je n'avais alors envie que de partir, me demandant vraiment comme je pourrais obtenir ce que je voulais avant demain, sans paraître trop intéressée et pourquoi je faisais tout cela pour un fils qui ne m'avait jamais donné de nouvelles depuis deux ans.

Je patientais un temps devant la porte, avant que l'on se souvienne que j’existais. La bonne refaisait son apparition, aussi lorsque je donnais mon nom, elle voulait refermer la porte d'où émanait quelques voix, que je bloquais de ma main. Elle suivit ensuite ses gestes à ses propos.

—''Madame ne souhaite pas vous recevoir.

—''Je vous en prie, dites - lui que c'est important et que je souhaiterais lui parler.

Je la laissais refermer la porte, en espérant qu'elle m'écouterait et qu'elle ferait part de mes mots à Madeleine. J'attendais un temps, avant de penser au repas et aux enfants qui devaient m'attendre. C'est donc terriblement déçu que je m'en retournais vers chez moi, le cœur fendu des deux côtés, pour Madeleine qui refusait de me parler et pour mon fils qui ne me verrait pas pour le plus beau jour de sa vie.

André traversait une période difficile, puis qu’après que mon mari m'avait sermonnée sur ce sujet, j'avais décidé de cesser de le faire téter, lui qui attendait pourtant chaque soir ce moment très fort entre nous deux. Lors d'un souper, alors que j'avais arrêté de lui donner mon sein depuis deux jours, il avait décidé de me faire comprendre que c'était trop tôt pour lui.

Alors que nous prenions notre dessert, il lâcha sa cuiller brutalement dans son assiette, et s’exclama en se laissant glisser sur sa chaise, avec ce ton d'enfant, et ces mots broyés et presque incompréhensibles.

—''Moi veu ti sein maman… Maman…

Assise près de lui, je le releva et poussa sa chaise vers la table pour ne plus lui permettre de se tenir ainsi. Il recommença son caprice, avec ces mêmes mots, mais en insistant davantage, glissant encore de sa chaise, râlant.

Alors aussi brutalement que sévèrement, Léon excédé se leva de table, attrapa André par les bras, et s'en alla presque le jeter sur son lit, en lui donnant cette violente gifle qui le fit hurler pour de bon. C'était pour moi insupportable, et ne tenant plus, j'allais, à la fin du repas lui donner mon sein. ll se calma instantanément et s'endormit même au creux de mes bras, mon téton dans la bouche.

Léon rentra ce jour un peu plus tôt que prévu, et accompagné d'une femme et d'un homme que je n'avais tous deux jamais vu.

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