Chapitre 31G: février 1783

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A quinze ans désormais, Gustavine devenait une jeune femme. Ses lunes arriveraient probablement prochainement, son corps se métamorphosait et bientôt, elle porterait des corsets comme n'importe quelle femme. J'avais changé ma garde–robe depuis mon arrivée à Paris, désormais, je ne pouvais plus me contenter d'une robe longue enfilée sans corset sous une simple chemise. En ville, la mode était aux robes lourdes et sophistiquées et aux gaines, que je me devais de porter même chez moi pour ne pas ressembler à une campagnarde ou à une paysanne.

Pour le deuxième anniversaire d'André, je lui préparais un beau gâteau aux fruits rouges, qu'il dévorait des yeux en accrochant de ses petites mains la table, avant de pouvoir goûter une part, le soir venu. Il avait du coulis de fruit partout, malgré le bavoir, la robe que j'aurais aimé qu'il porte quatre ou cinq jours de suite était bonne pour la lessive le dimanche suivant, forcément, nous étions un mardi et il restait toute la semaine à attendre. Je le revoyais ce soir-là, assis entre ses deux parents, sous les yeux attendris et protecteurs de sa cousine et sa demie – sœur, son petit bavoir blanc maculé de rouge autour du cou, il souriait de toutes ses dents, sans doute heureux d'avoir toute l'attention pour lui seul. Un privilège rare en nos temps, et quelque peu dramatique aussi, puisqu'il n'était que la conséquence d'une véritable hécatombe dans sa fratrie.

Léon gagnait moins d'argent, cela s'en ressentait sur notre quotidien. Nous ne mangions plus de viande, même le dimanche et ce premier hiver était assez froid, car le bois de chauffage manquait. Un soir, je venais de coucher André lorsqu'une question, assez banale en réalité, me parcourait l'esprit.

—''Les affaires fonctionnent - elle bien avec votre librairie ?

Il haussait les épaules, et prenait un air désolé.

—''Bof… soupira-t-il en levant les yeux de son livre. Nous n'avons pas assez de clients et le roy est trop sévère sur les publications. Même un ouvrage de Laclos, un des plus grands succès n'a plus le droit d'être vendu. Je me demande vraiment où nous allons Louise.

—''Ah oui ? Mais comment allons-nous faire ? Vous auriez dû vous méfier, c'est sans doute pour cette raison qu'il vendait son magasin. Écoutez je ne sais pas… Vendez le magasin au plus vite et reprenez votre cabinet ? Non, ce n'est pas possible ?

—''Avec vous tout est facile, mais je n'ai plus les moyens de racheter un nouveau cabinet et mon associé refuse de vendre, sinon quoi je lui devrais de l'argent, car il à investi dans cette affaire à ma place contre une plus grande partie du chiffre d'affaire mensuel. Je crains que si nous ne pouvons plus payer le loyer chaque mois, le trottoir ne nous prépare une place.

—''Vous ne pouvez pas être aussi pessimiste, nous allons trouver une solution.

Je me mettais à avoir la boule au ventre, la rue, je ne l'avais jamais connue, et j'espérais ne jamais devoir faire sa connaissance. Heureusement pour nous, Léon parvenait toujours à compléter son salaire grâce aux placements ingénieux qu'il avait effectué voilà une vingtaine d'années, qui lui rapportait des intérêts chaque mois, je ne savais pas exactement combien mais la somme, même si elle ne nous aurait jamais permis de vivre à elle seule, était assez importante pour ne pas être négligée.

Tranquillement accoudée au rebord de la fenêtre ce jour-là, bien qu'il fasse très froid dehors, j'assistais l'air pensif à un accident de la circulation. C'était la première fois que j'en voyais un depuis notre arrivée. Assez impressionnante, la collision entre ces deux voitures provoqua sur le boulevard un embouteillage monstre, avec un sur-accident quand plusieurs voitures durent se stopper d'un coup à la vue des deux véhicules retournés. Des hommes criaient, s'affairaient à empêcher la circulation de tamponner les uns après les autres les carcasses, par de grands gestes des bras plus moins utiles, des femmes et des hommes encore sonnés sortaient un par un des véhicules accidentés, une femme avait la main en sang, elle tentait presque en vain de stopper son effusion à la tête. Au bout de quelques minutes, on releva les chevaux couchés par le choc sur la voirie, et les voitures, en mauvais état, furent une à une retirées de la route, pour que la circulation très perturbée puisse reprendre son cours. Après l'accident, une fois tous les blessés évacués par ambulance vers les hôpitaux les plus proches, il ne restait rien de la scène sur la route. Alors je refermais la fenêtre, comme un livre d'horreur que l'on referme vite après la lecture, rassuré que la fiction soit loin de moi, et m'en retournais encore pensive vers mon fils, qui s'amusait assis par terre avec Gustavine.

Cet après – midi là, pour la première fois depuis longtemps, on frappait à la porte. J'allais ouvrir, laissant la soupe du soir à Gustavine, essayant de ne pas piétiner mon fils qui jouait à quatre pattes en faisant rouler cette petite bille qu'il avait trouvé je ne sais où. Une femme aux cheveux bruns cachés sous un chapeau se tenait sur le seuil de la porte, c'était fou à quel point elle ressemblait à Malou. Alors que je ne voyais pas qui elle pouvait être, ma nièce accouru pour embrasser sa tante. Adélaïde avait beaucoup vieilli, mais elle n'avait pas perdu de sa gentillesse. La visite de la sœur d'Auguste me faisait beaucoup de bien, alors même que je pensais qu'elle m'avait rayée de sa mémoire, ma nièce entretenait en plus de celles avec son frère, des correspondances avec sa tante. Ses fils avaient beaucoup grandi, en plus de Augustin–Louis, neuf ans, et de Charles, qui avait désormais six ans, elle était désormais mère d'un garçon de trois mois, Jean–Pierre, né en janvier de cette année.

Adélaïde m'invita chez elle, aussi, ne pouvant décliner son offre, et pensant que cela me passerait assurément un après – dîner, j'acceptais, sans vraiment savoir quand. Autour du thé, elle me racontait sa vie, qu'elle voyait souvent le frère de Malou, que c'était un brillant garçon qui parlait beaucoup de sa sœur, avec qui il correspondait, de surcroît elle ne comprenait pas vraiment pourquoi Auguste père ne faisait pas d'effort pour permettre à ses deux enfants de se voir, alors qu'il connaissait notre adresse, et qu'il aimait sa fille. En y repensant, j'avais aussi oublié la cérémonie d'Auguste qui devait se dérouler en janvier, mais Malou ne me l'avait pas rappelé.

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