Chapitre 31B: juin - juillet 1782

5 minutes de lecture

Lorsque Gustavine m'apporta cette lettre, je me disais que c'était bien la première depuis des mois, tout en redoutant une mauvaise nouvelle. C'est avec appréhension que je décachetais doucement le courrier, et lu les quelques lignes noires et écrites à la va–vite.

Ma sœur,

C'est seulement pour vous informer de ma décision que je vous envoie cette lettre, je n'attends pas de réponse de votre part. Comme vous le savez, notre défunte mère est enterrée au cimetière de la Madeleine, tout comme Louis–Augustin Châteauroux, notre père. C'est ainsi que depuis plus de vingt ans, depuis que la concession de père s'est terminée et celle de mère aussi, je paye régulièrement des renouvellements de concessions pour que leurs corps soient conservés en ce lieu et non placés en fosse commune. Maman étant décédée depuis vingt–cinq ans et père depuis près de trente–deux ans, j'ai pris la décision de faire exhumer leurs os, pour les placer en fosse commune. Que cette décision vous plaise ou non, elle risque d'avoir lieu d'ici au plus tard deux mois. Tout en espérant que vous serez favorable à ma décision,

Louis–Henri.

Comment mon frère pouvait -il me faire cela ? C'était une décision des plus abominables, prise sans mon consentement, sans doute à cause du prix des concessions, devenu exorbitant, et même si nos parents étaient décédés depuis plus de vingt ans chacun, en faisant cela il condamnait leurs âmes, il les vouait chacun à l'anonymat pour toujours, puisque nous ne saurons jamais plus qui ils étaient après la mort de mon frère et moi. Même s’il n'attendait pas de réponse, je la lui donnais, ma réponse, blessée par cet homme que j'avais si longtemps respecté et apprécié.

Vous n'êtes qu'un homme sans cœur Louis, sans âme, tout cela à cause du prix des concessions, alors que vous avez tout à fait les moyens de continuer à les payer, nos deux parents ne méritent pas cela, alors je vous en prie, laissez - les reposer en paix là où ils sont depuis tant d'années. Je ne pourrais plus vivre si je savais que ma sœur chérie, notre sœur, dont les deux enfants vivent encore parmi nous, reposait en fosse commune, ce serait pour moi, et pour elle surtout, une humiliation, alors je vous préviens, quand la concession de Camille arrivera à son terme, je m'occuperais des frais, et si par malheur vous refusiez, sachez que je ferais moi-même transférer son corps à Montrouge.

Non affectueusement, Louise.

Je comptais bien faire transférer les restes de ma sœur à Montrouge, ce même si mon frère acceptait que je paye la concession, d'avantage parce que j'avais besoin de me recueillir sur sa tombe que parce que Louis m'avait fait un mauvais coup avec celles de mes parents. La réaction de Léon fut sans égal.

—''Que me dites-vous ? N’est-elle pas bien, enterrée à Paris ? Quelles sont vos histoires, encore ? Non, non, j'accepte bien de payer la concession de votre sœur si cela est nécessaire, mais je ne ferais pas transférer ses restes au cimetière de Montrouge. Et puis quoi encore ? Vous savez combien coûte le transfert des restes, Louise ?

—''Je le sais Léon, mais j'aimerais pouvoir m'y rendre plus souvent. Je ne sais même pas si je pourrais m'y rendre avec Malou pour les dix ans de son départ, en décembre de l'année prochaine.

—''D'accord… Quand vous voulez acheter un livre, le libraire est à Paris, et bien vous vous déplacez, vous n'exigez pas que la librairie se déplace jusqu'à chez vous. C'est la même chose, quand on veut quelque chose, on se déplace, et puis quand on est loin, on en profite mieux sur place.

—''Vous n'avez pas le droit de comparer Camille à un livre ! C'est ma sœur mais aussi votre belle – sœur et la mère de Malou et d'Auguste!

—''C'était, Louise. Elle est décédée. Ne nous attardons pas sur ce sujet, dites - moi quand il faudra payer la concession, et s'il le faut, je vous conduirais…

Sans le laisser terminer sa phrase, petite partie des grandes paroles qui m’insupportais, je quittais la pièce, en appelant André que j'avais perdu de vue et d’ouïe. Je le cherchais longtemps, montant d'abord à l'étage, questionnant Gustavine, puis redescendant, avant de le retrouver dans un de ses endroits de prédilections, assis sous la table de la cuisine, les mains pleines de confiture de mûre, la bouche barbouillée de noir, le pot brisé près de lui.

Prise d'un élan de panique en craignant qu'il n'en ait avalé, j’attrapais l'enfant tâché et surpris de ma réaction, le sortais de dessous la table en faisant attention de ne pas le cogner, et courais l'emmener voir le docteur Louis. Mon mari avait le temps de se retourner pour me questionner, au moment seulement où je refermais la porte.

Je courais, la chaleur de ce mois de juillet me faisait suer, nous étions en milieu de journée et le docteur prenait sans doute en charge en ce moment même des femmes ayant accouchées seules, ou des bébés fiévreux, qui représentaient une grande partie de son travail.

C’était l’unique médecin de ce bourg de neuf cent habitants, mais il n’était jamais débordé, les gens n’ayant pas l’habitude comme moi de le solliciter, préférant s’occuper eux-mêmes des malades et des blessés. Comme je l'aurais redouté, il n'était pas dans son cabinet, alors plutôt qu'attendre, je ramenais André à la maison, inquiète.

—''Que s’est -il passé ? Questionna Léon en s'approchant d'André

—''Pourriez - vous vérifier qu'il ne présente pas de coupures dans la bouche ? Je l'ai trouvé mangeant de la confiture, près du pot brisé en éclats, sous la table de la cuisine.

—''Il serait préférable de le conduire chez le médecin.

—''J'en reviens, il est absent de son cabinet. Venez ici André, hop, Léon va regarder si vous n'êtes pas blessé.

—''Hein… Râlait-il tandis que son père s'assurait qu'il n'avait pas mangé de verre, explorant sa bouche baveuse de ses gros doigts rêches.

—''Je ne vois rien d'anormal, il saignerait sinon. Surveillez – le, mais normalement tout va bien.

Le soir, André mangea avec tant d'appétit que je fus définitivement rassurée. Enfin, pour la santé de mon fils, mais pas pour celle du bébé que je portais. A cause des contractions, minimes mais présentes qui me réveillaient certaines nuits, j’avais peur de mettre au monde un enfant mort–né, car désormais, à mon stade de grossesse, ce ne serait plus une fausse – couche.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Lanam ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0