Chapitre 15B: mai - septembre 1766

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Chère Camille,

Je suis très heureuse d'apprendre qu’Élisabeth est satisfaite de ce remariage, et qu'elle va pouvoir se réinstaller dans un nouveau logis très rapidement. Quant à moi, j'ai passé un plutôt bel été, préservé de la chaleur par les murs de pierre du bâtiment. Nous avons, il y a quelques jours, découverts un nouvel aliment fort délicieux, la pomme de terre, que je vous incite à déguster.

Mes salutations,

Louise

Chère Louise,

Marguerite est faible, très faible, et ce depuis longtemps, mais cela s'est accentué depuis les grandes chaleurs accablantes. Alitée, elle ne supporte plus les pleurs d'Aimé, aussi rares soit t-ils, tousse beaucoup et n'a plus d'appétit. Célestin veille sur elle, et j'espère de tout mon cœur que son âge pourtant pas si avancé n'aura pas raison d'elle aussi vite. Je prendrais bien sûr soin de vous et du foyer s’il venait à arriver le pire, je suis une adulte maintenant, mais ce qui me déchirerait le cœur, ce serait de la voir partir avant nos mariages respectifs, elle ne connaîtrait alors jamais ses neveux et nièces, et j'en serait chagrinée. Sinon, comment vont les études pour vous ma sœur ? J'ai hâte que vous rentriez, vous savez, mais j'aimerais de tout cœur que votre retour n'influence pas la date de mes noces, car je n'ai aucune envie de me marier, et pourtant réticente, j'ai promis à Célestin d'accepter l'alliance aussitôt votre retour. Cette idée de mariage me fait très peur, vous savez, je ne sais pas du tout à quoi m'attendre. En attendant, profitez de vos études et de votre certaine liberté de mouvements,

Camille, votre sœur qui vous aime.

Un soir de septembre, je m'endormais normalement et plutôt ravie d'être bien au chaud et douillette dans mon lit, alors que la pluie et l'orage grondaient dehors. Cependant, je fus réveillée par de violentes douleurs au ventre. J'allumais ma bougie, et regardais l'heure sur mon gousset : trois heures trente - sept. En espérant que cela me soulage, je plaçais ma main chaude sur mon ventre en guise de bouillotte, mais il n'y avait rien à faire, la douleur était incessante.

Comme je ne parvenais pas à trouver le sommeil alors que j'étais morte de fatigue, je lisais quelques passages de mon livre, très vite abandonné, je ne pensais qu'au mal qui s'étendait jusqu'à mes jambes, me donnaient des nausées et me faisait grelotter, bien que la saison ne s'y prête pas.

Après deux heures de supplice, je me rendormais, lourde de fatigue et lassée de claquer des dents. Une demie - heure plus tard, l'on venait me secouer l'épaule : il était l'heure de la prière de six heures. J'ouvrais très péniblement les yeux, on avait allumé la bougie, encore harassée, mes yeux ne voulaient pas rester ouverts, me piquaient, mais je devait tout de même me lever. Je posais mes deux pieds à terre, le sol était glacé, je frissonnais, mon mal de ventre n'avait pas diminué d'intensité.

Au bout de dix minutes les yeux dans le vague, j'enfilais ma robe, mes chaussures, et je descendais les escaliers en veillant à ne pas tomber. J'étais bien en retard, mais j'étais là. La matinée se déroula chaotiquement : à la vue de la nourriture du déjeuner, le haut le cœur fus tel que je crus vomir, et durant les leçons, je somnolais la tête dans mes bras. à la pause de dix heures, je découvrais une longue et écœurante tâche de sang sur ma jambe. Rapidement, je dénouais mon foulard, et le passais comme protection de fortune. Je savais ce que cela signifiais, et j'eus été assez prévenue pour ne pas avoir peur. La suite fut sans surprise, mais le mal de ventre ne diminua pas pour autant. J'avais seize ans, j'étais une jeune femme à présent.

Des fois, l'immensité du monde me faisait peur, qu'y avait t-il en dehors de notre Terre ? Qu’étions-nous par rapport à l'infini de l’univers ? Rien que de la poussière destinée à disparaître. Depuis la nuit des temps, les hommes s'étaient battus pour améliorer leurs conditions de vie, celle de leurs enfants, petits-enfants, en sachant que tous allaient finir par retomber poussière. Selon moi, tout ce que les hommes faisaient, en progrès, que ce soit médical ou architectural, dans la recherche contre les maladies ou l'espace, ne servait qu'à attendre la mort qui nous guettait, car la vie n'avait pas de but. Nous sommes arrivés sur Terre au hasard, et nous repartirons tout aussi soudainement. J'avais tout de même du mal à m'imaginer disparaître un jour, ne plus vivre, quelle sensation cela faisait – il ? Comme tout le monde, je pensais être invincible, ne jamais vieillir, mourir. Vieillir me faisait peur, car à ce moment-là, je regarderai le passé et me dirait : Je n'ai jamais et n'accomplirai jamais les rêves de ma jeunesse, comme faire le tour du monde, ou ne jamais me marier et vivre libre comme l'air. Mes rêves les plus fous, comme revenir dans le passé et faire que papa ne meure pas, décimer les maladies et la pauvreté à Paris, ne seraient sûrement jamais réalisés...

En ce mois de septembre arriva un fait bien malheureux : deux jeunes filles que l'on avait renvoyées du couvent parce qu’elles se retrouvaient dehors pour s'aimer furent retrouvées pendues ensemble, main dans la main. La nouvelle fis vite le tour de l'établissement, telle la lumière qui éclaire les esprits, et tout le monde fus dégoûté par l'amour qu'elles se portaient. La mère supérieure alla voir chaque dortoir, pour informer les élèves de ces débordements graves, et des nouvelles mesures. Elle fut bien clair : toute démonstration affective trop poussée et sortie sans autorisation serait punie d'une exclusion définitive immédiate sans avertissement préalable. La fin d'une liberté qui m'était si précieuse. Certaines filles, qui se croyaient plus malignes que d'autres, assurèrent qu'elles trouveraient bien un moyen pour correspondre sans être vue, mais ce n'était que des bonnes paroles. Je me souviens avoir beaucoup pleuré, car en renonçant à ces sorties, je renonçais à ma jeunesse, c'était un monde qui s'écroulait pour moi, car je savais pertinemment qu'à la fin de ces quatre années d'études, j'aurais en charge le foyer, et s'en serait fini de l'insouciance.

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