Chapitre 27G: septembre - novembre 1778

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Jacqueline ( 8 juin 1777 - novembre 1778)


Le lendemain matin, je le forçais à manger ne serait – ce qu'un bout de pain. Il pleurait, mais je ne cédais pas, s'il ne mangeait pas, son état s’aggraverait et il serait de plus en plus faible, une spirale infernale puisqu'il aurait alors encore moins envie de manger. J’insistais aussi pour qu'il boive un verre de lait, il fit un effort et j'étais rassurée. Comment allait mon petit trésor avec son père ? Impossible d'avoir de ses nouvelles, cela mettrait trop de temps, je tentais de me l'imaginer à l'hôpital avec les médecins, mon petit garçon était sans doute apeuré dans son grand lit, mais je me disais pour me rassurer qu'il rentrerait guéri de tous ses maux.

Gustavine était une jeune fille discrète, elle parlait assez peu, mais mignonne et gentille. Elle m'aidait souvent, à faire la cuisine, à laver le linge, à prendre soin des enfants, jamais elle ne faiblissait, alors que ce n'était pas sa tâche. J'avais vingt – huit ans, j'avais l'entretien d'une famille reconstruite de sept personnes entre les mains, et mon mari insistait pour ce troisième enfant, tant et si bien que je commençais à remettre en question mes certitudes : Émile était le dernier de sa petite fratrie, mais pour combien de temps encore ?

Gabrielle arriva chez moi avec une poupée de chiffon dans les bras, Jacqueline, sa petite fille, la tête pendante, les bras se balançant au rythme des pas et des cris de sa mère, venait de mourir dans son sommeil, après une forte fièvre où l’on l'avait déshabillée pour qu'elle ait moins chaud.

Quelques jours plus tard, je la revoyais éplorée, agenouillée devant la tombe de l'enfant, qui était par le plus grand des hasards juste à côté de celle de Simon, décédé il y a plus de trois ans, où je me rendais chaque dimanche, pour prier à sa belle vie dans l'au-delà.

Mon mari rentra avec Léon – Paul ce même quelques jours plus tard, l'enfant était ravi de me retrouver, et pour une fois son petit frère, qu'il embrassa rapidement sans grande démonstration d'affection. La première chose que je demandais à mon mari, c'était si Léon – Paul était guéri.

—''Je ne sais pas s’il est guéri mais le médecin a dit qu'il ne referait pas de crises d'asthmes s’il prenait ses gouttes tous les jours.

—''Tout ce trajet pour des gouttes ? Décidément les médecins, qu’ils soient d'ici ou de Montrouge, ne sont pas bon !

Mon petit garçon prenait donc ses gouttes deux fois par jours, diluées dans de l'eau, ce n'était pas bon, mais je l’obligeais, et cela avait l'air de fonctionner, puisqu’il ne faisait plus de crises, mais sa jambe clopinait toujours, sans amélioration, à croire que jamais elle ne guérirait.

A partir de cette année, j'avais décidé d'arrêter de souhaiter l'anniversaire de Camille, parce que c'était trop douloureux pour moi, elle me faisait encore mal ma sœur. Certaines nuits, je la voyait revenir, elle me chuchotait a l'oreille certaines choses que je ne voulais pas entendre, comme le fait qu'elle était morte dans l'indifférence, ce qui était faux bien sûr, son départ avait suscité douleurs et larmes dans toute la famille, mais j'avais l'impression que j’oubliai parfois Camille dans mes petits moments de joie quotidiens, avant qu'elle ne meure, j'avais du mal à réaliser que l'on pouvait tout à fait revivre après un décès, pour moi, c'était oublier le mort. Elle aurait eu trente – deux ans et cette année, ma sœur aurait été mariée depuis dix ans.

Depuis le décès de sa fille, Gabrielle restait chez elle, et François passait énormément de temps chez nous, rentrant seulement le soir, et encore il passait certaines nuits à la maison, apeuré d'entendre ses parents se disputer. Je tentais de le protéger des adultes, mais mon mari n'était pas de mon avis, il me reprochait de trop m'attacher à cet enfant, mais il était encore si jeune, et si moi je ne le protégeais pas, qui le ferait ?

Michel, désormais en pleine santé, était fier de me montrer ses progrès en lecture et en écriture, j'étais contente, mais surtout de le voir heureux. Je ne sais comment Camille l'aurait élevé mais sans doute avec une certaine honte, comme la plupart des mères dans ce cas-là, j'avais l'orgueil de dire que non, je n'avais pas et je n'aurais jamais honte de mon neveu.

Léon avait des poules, nombreuses à présent, et des coqs, qui servaient si bien pour les œufs que pour le plat du dimanche midi, nous avions souvent des poussins, mais beaucoup se sauvaient et mouraient écrasés par les charrettes à ânes quand ils se retrouvaient seuls sur les chemins, mangés par le chien, Lion n'hésitant pas à les croquer, ou même noyés dans le puits, j'avais assisté à une mort de poussin en direct, sans pouvoir rien faire. Les poules se sauvaient moins souvent, car elles s'habituaient à nous et savaient que nous leur donnions souvent du grain, mais quand elles se sauvaient, les enfants prenaient un malin plaisir à leur courir derrière le plus longtemps possible, et les attraper fermement par les ailes, avant de les ramener dans la cour. Une des poules, particulièrement aventureuse, avait été jusqu'à l'école, était rentré dans une des classes et avait provoqué l'hystérie des élèves, peu habitués à ce genre de visites inopinées. Gustavine, après les leçons, l'avait ramené et l'animal avait terminé dans les assiettes le dimanche suivant.

Mes moments favoris étaient les après – midi que je passais avec mes fils, couchés ensemble, nous faisions la sieste, et Émile, jusqu'au jour de ses trois ans j’avais décrété, avait le privilège de pouvoir téter mon sein, pour s'endormir rassuré. Ces moments uniques, je ne les passais qu'avec mes deux trésors, il m'aurait été impossible de les partager de la même manière avec mon neveu ou ma nièce.

Le dix – neuf décembre, naissait le premier enfant tant attendu de Louis XVI et de son épouse Marie – Antoinette, mariés depuis huit ans. Les parents de Léon profitèrent de l’événement pour nous inviter chez eux, de façon à partager un repas avec toute la famille réunie. Les enfants, tout excités, surtout après cette fête de la Saint - Nicolas où ils s'étaient particulièrement amusés, couraient partout. Le père de Léon était venu nous chercher dans sa voiture, nous nous étions serrés pour le court trajet.

Les deux sœurs de mon mari, Catherine et Jeanne, des femmes proches de la cinquantaine, étaient présentes, accompagnées de leurs maris respectifs, Messieurs François Brogniart et Joseph Boutot, tous deux médecins de profession, et leurs cinq enfants, Marie et Jean – Léon pour les Brogniart et Catherine, Jacques et André pour les Boutot.

Ce que j'appelais leurs enfants étaient des adultes et les jeunes femmes étaient mariées depuis peu, de surcroît, Marie portait au creux de son ventre un enfant. J'avais du mal à sympathiser avec elles, à cause de leurs caractères renfermés, leurs mines tristes et plongées dans leurs assiettes. Nous mangeâmes cependant bien, les parents de mon mari étaient âgés, mais tenaient encore debout, et sa mère notamment, était une excellente cuisinière. Le soir, Léon me disait suite à ma critique sur la cuisine de sa mère :

—''Cela fait presque quarante ans qu'elle nous fait, mes sœurs, mon père et moi, à manger, je peux vous dire que ma mère est une excellente cuisinière !

Le vingt – quatre décembre, au moment d'installer la crèche de l'enfant Jésus, Émile, voulant bien faire, plaça avec toute sa délicatesse, la petite figurine de bébé près de Marie et de Joseph. Gentiment, comme ma sœur l'avait fait pour moi vingt – cinq ans auparavant, je lui expliquais qu'il ne naîtrait que le lendemain, et le priait d'aller ranger la petite figurine.

Il la gardait dans sa main toute la nuit, et le lendemain, dès l'aube, allait la mettre dans la crèche avec ses parents, Marie et Joseph.

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