Chapitre 27B: septembre 1778

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Chaque jour de la semaine a seize heures y compris le dimanche, les enfants se réunissaient autour de la table pour prendre leur en–cas. Pour rien au monde ils n'auraient raté ce moment délicieux, où je cuisinais des biscuits et de la compote.

Un de ces après–midi d'été particulièrement chaud, où la fraîcheur de la maison faisait du bien pour une fois, je me demandais où était passé Émile. En effet, chacun des quatre enfants mangeait sagement assis tandis que mon petit dernier manquait à l'appel. Alors que je m’inquiétais, il fit son apparition, trempé et noir de terre, le sourire aux lèvres.

—''Où étiez-vous Émile ? Mais regardez dans quel état vous êtes !

—''On a joué dans l'eau et François il m'a claboussé ! Il m'a jeté la terre !

Je le prenais par le bras pour l'envoyer se laver.

—''Au bain Émile ! Vous ne pouvez pas rester dans cet état, il faut que vous soyez propre avant que votre père ne rentre. On dirait un petit nègre, heureusement que je vous ai coupé les cheveux en juin, sinon, je n'imagine même pas leur état…

Sur le chemin de la chambre, suite à ma réflexion, il me demanda :

—''C'est quoi un nègre maman ?

—''Un nègre ? C'est une bête qui ressemble à une personne mais avec la peau très noire qu'il ne faut surtout pas toucher. Si un jour vous en croisez une en liberté, sauvez-vous et criez. Vous m'avez comprise ?

—''Oui maman, mais pourquoi elle a la peau noire la nègre ?

—''C'est comme ça trésor, c'est une espèce particulière de singe.

Je lavais rapidement Émile avec le baquet rempli par Gustavine, elle m'arrangeait car avec ses bains journaliers, elle m'évitait la corvée de remonter l'eau. Après son bain, quand je l’eus sorti, Émile profita d'un de mes moments d’inattentions pour se sauver, dégoulinant et complètement nu.

—''Où allez–vous Émile ?! Revenez ici tout de suite !

—''Attendez maman je vais chercher mon épée !

J'entendis ses petits pas de loup descendre les escaliers puis Malou qui lui criais :

— ‘’ Émile ! Allez-vous habiller ! Louise, Émile il est tout nu, c'est dégoûtant !

Je me décidais à descendre chercher mon fils, je riais car il embêtait Malou plutôt gênée par la nudité.

—''Allons, c'est un bébé. Émile, dépêchez-vous de monter vous habiller, votre père va arriver !

Je le prenais par la taille, le chatouillais un peu à l'en faire rire à gorge déployée, et le montais en haut pour l'habiller. Ce n'était pas un caprice, seulement un jeu, il n'avait aucune pudeur, mais ce n'était pas grave, pour moi, c'était encore mon bébé, un bébé qui allait fêter ses trois ans certes, mais un bébé.

Décidément, cette année était meurtrière pour notre culture, le deux juillet nous perdions Rousseau, d'un accident au cerveau, Léon m'en parlait tous les soirs après sa mort, c'était un de ses fervents admirateurs.

Il faisait si chaud cet été-là que nous sortîmes très peu, seul Émile jouait encore au bord de l'étang avec François, un peu délaissé depuis la naissance de sa petite sœur, il appréciait d'autant plus la compagnie de mon fils. Les filles étaient apathiques, elles passaient leurs journées allongées sur leurs lits à lire et râlaient même au moment de passer à table. Michel lui, ne disait rien comme d'habitude, effacé de la vie familiale, je sentais qu'il dépérissait. Mon idée pour rompre sa tristesse fus de l'emmener à l'étang, pour lui apprendre à nager, mais voyant sa peur panique lorsque je lui mouillais simplement la tête pour le laver, je ne savais si cela ne le tétaniserait pas complètement. Émile était enjoué à l'idée de l'emmener à l'étang avec moi et François, Michel tremblait à l'idée d'entrer dans l'eau. Je n'avais pas pour but de le forcer et de le tétaniser, seulement de tenter de l'empêcher d'avoir peur. Lorsque j’eus mis mon grand chapeau a bords larges, mes lunettes de soleil, et ajusté ma robe fleurie, c'est sous un soleil de plomb et une chaleur torride que j'accompagnais les enfants à l'étang. Émile avait d'ailleurs - il ne la quittait pas de la journée -, une sorte de culotte large de bain que je lui avais cousue, quant à Michel, je n'avais qu'à lui retirer son haut pour la baignade. J'avais apporté une lecture au cas où Michel voudrait rester se baigner, ce a dont je ne croyais pas du tout. A peine étions nous arrivés près de l'église que j'entendais les enfants crier et chahuter dans l'eau, François, trempé, alla à la rencontre d'Émile et les deux bonhommes se mirent subitement à courir pour sans doute aller sauter dans l'étang.

Michel savait que je l’emmenais à l'étang, je lui avais dit pour ne pas qu'il soit surpris, seulement lorsque je l'accompagnais au bord de l'étang, les éclaboussures et les cris des enfants suffirent à lui faire peur. Il se figea et résista lorsque je voulu l'emmener plus loin que la berge, tentant de décrocher sa main de la mienne. J'avais au moins essayé, mais il avait trop peur alors tant pis. Je m'allongeais à l'ombre d'un chêne, un de ceux qui bordaient l'étang et donnaient son éternelle fraîcheur à l'endroit, pour me reposer et lire, mais l'air était tellement lourd que je finissais par m'endormir. Au moment où je m'endormais, Michel était assis près de moi a humer l'air, à écouter bien en sécurité les cris des enfants, le nez en l'air il rêvait, sans doute imaginait t- il le paysage autour de lui. C'est Émile qui me réveillait, notamment par les gouttes qui tombaient de son nez perlant et sa main glacée sur ma joue lorsqu'il voulut me réveiller.

—''Que se passe-t-il Émile ? Il y a un problème ?

—''Léon il est arrivé et il demande où vous êtes.

—''Mais quelle heure est-il ?! Dix-neuf heures ! Mon dieu il faut rentrer ! Où est Michel ?

—''Je ne sais pas maman, Léon il dit que le souper il est pas encore prêt et que ça tarde !

—''D'accord, retournez à la maison et dites à votre père que j'arrive.

Je me levais précipitamment, attrapais ma lecture et jetais un œil autour de moi : le soleil tombait et il n'y avait plus qu'un ou deux enfants qui s'amusaient dans l'eau, mais Michel était hors de ma vue.

Complètement paniquée, je ne voulais pas savoir ce qu'il y aurait pu lui arriver et rentrait à la maison, tout en priant pour qu'il y soit. Quand je le vis sagement assis à table, mon soulagement fut à la hauteur de mon étonnement : comment avait -il fait pour rentrer seul ? Michel était très fier d'avoir pu me montrer qu'il avait pu retourner à la maison sans aide.

Mon mari était de mauvaise humeur : il n'aimait pas me savoir seule dehors le soir, et de plus le souper n'était pas prêt à l'heure, lui et les enfants avaient faim et ça n'allait pas.

Ce soir-là, après le souper et que les enfants furent couchés, Léon ne tenant plus me rejoignit dans mon lit pour la première fois depuis trois ans. C'est difficile à dire mais je crois que j'y éprouvait du plaisir. La peur de tomber enceinte n'était plus là, je savais que Dame Nature ne m'y prendrait pas cette fois ci. Mon mari resta dormir avec moi, trop fatigué pour retourner dans son lit, cela me fis une étrange sensation. De bons souvenirs réapparaissaient alors, quand allongée sur son lit je regardais Mathurin peindre, dans sa petite chambre sous les toits, avec les murs recouverts de dessins et peintures colorées. Le matin quand je me réveillais mon mari était parti au travail, nous étions mardi et la semaine était loin d'être terminée.

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