Chapitre 28B: mai 1779

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Une nuit, mon grand amour était revenu. Il était tellement beau, il ressemblait trait pour trait à son fils, notre enfant. Ses cheveux épais et bouclés, son amour m'avaient manqué. Dès que je le voyais, je lui sautais dans les bras, c'était lui l'homme de ma vie. Il m'embrassait mille fois et je sentais ses larmes dans mon cou. Notre petit garçon de six ans ne l'avait pas reconnu, mais je lui expliquais que son vrai père, c'était lui.

Je croyais tomber et me réveillais en sursaut, sans comprendre, ce n'était qu'un mauvais rêve. Inquiète et voulant croire à son retour, je tâtais l'autre côté du lit : c'était vide, froid, aucun homme n'était venu depuis longtemps dormir près de moi, mon mari ayant abandonné l'idée d'un autre enfant depuis qu'il avait compris que je ne céderais pas. Heureusement, dans le malheur de mon petit ange qui faisait encore des cauchemars, je retrouvais une présence au lit. En effet, il venait souvent se rassurer dans mon lit, apportant sa chaleur, son réconfort qu'il cherchait chez moi et que je trouvais avec lui, une seule fois, j'étais incapable de savoir si c'était un simple oubli ou un essai pour vérifier ma mémoire, il réclama le sein. Bien sûr, je ne tombais pas dans son piège et refusait en lui rappelant qu'il était grand maintenant. J'entrais avec lui dans un paradoxe, puisque d'un côté je le considérais comme un bébé pour la vie quotidienne, ne le laissant rien faire seul, et d'un autre je lui disais qu'il était trop grand pour téter mon sein. Alors faute de sein, il prenait son pouce, c'était mieux, pour lui et pour moi. Quand il dormait, je ne trouvais souvent pas le sommeil tout de suite, je caressais ses cheveux doux embaumés de savon, puisque le médecin m'avait préconisé, pour éviter les crises d'asthmes de Léon – Paul, d'améliorer l'hygiène des enfants et mieux nettoyer la maison, pour éviter la poussière qui irritait la gorge, alors c'était contraignant, mais je les lavais tous les deux jours, pour pouvoir respirer un peu un jour sur deux. Ils étaient propres, c'est vrai que c'était plus agréable, surtout pour les garçons qui se dépensaient énormément en jouant avec leurs amis, ils transpiraient, avaient les pieds noirs de terre en rentrant à la maison, car bien sûr, ils enlevaient leurs chaussures pour courir. Mon mari appréciait de retrouver la maison et les enfants propres en rentrant du travail, il me l'avait dit.

Un dimanche après – midi par mois c'était avec Gustavine, très serviable, le grand nettoyage de la maison, il fallait battre les oreillers, laver et changer les draps des lits, frotter les vitres, enlever les toiles d'araignées des chambres, faire venir le ramoneur pour nettoyer les cheminées, c'était long et épuisant, mais c'était nécessaire, et puis, c'était mon rôle d'épouse d'entretenir le foyer. Bien sûr, il y avait des tâches ménagères que je faisais chaque jour comme passer le balai dans la maison, raccommoder les chemises et pantalons troués des enfants avec mes bases de couture, préparer à manger, dresser la table avant les repas, nourrir les poules, les lapins, tandis qu'à la fin de chaque repas, j’allais donner les restes au chien. J'avais aussi du temps pour moi, dans mes longues journées qui se ressemblaient chacune un peu, je lisais, prenait le thé avec Gabrielle, faisait la sieste avec Émile lové contre moi, ou encore je sortais me promener toute seule, parfois avec Michel, qui explorais la nature avec son odorat, son toucher, et son goût lorsque je lui donnais à manger des fruits des bois. Chaque bruit le faisait presque paniquer, il me faisait entièrement confiance, crispant sa main dans la mienne, demandant l'origine de chaque bruit qu'il ne connaissait pas, comme le cri des pies, qui ne ressemblait pas à un cri d'oiseau, mais plutôt à un bâton de pluie, jeu qui faisait partie des rares qu'il possédait, étant incapable de s'amuser à autre chose.

Mon neveu avait sept ans, il savait lire avec les doigts, écrire son prénom et son nom de famille, manger seul dans un bol (c’était plus simple pour lui), presque se laver seul, monter les escaliers à quatre pattes très prudemment, réciter une poésie et ses prières par cœur, plus il grandissait et plus je me disais que cet enfant-là était vraiment courageux.

Une fois, Émile rentrait à la maison les genoux égratignés, ayant chuté en jouant. Je lui demandais s’il allait bien, il acquiesçait en souriant, mais voyant sa blessure qui saignait, je doutais de sa sincérité. Aussi dès qu'il s’assit pour que je le soigne, il se mit à pleurer, voyant pour la première fois le sang qui coulait de sa plaie bénigne.

—''Oh, trésor, ne pleurez pas… Le rassurais - je en me rapprochant avec le bandage et en l'embrassant sur le front.

Heureusement, dès que le sang fut nettoyé, le chagrin passé, Émile courait retrouver ses amis dehors, avec cette petite larme sur la joue, qui témoignait du passé déjà oublié.

En juin, je recevais une lettre signée du veuf de Camille, qui me demandais si le dix- huit avril prochain pour la première communion d'Auguste fils, sa sœur pourrait à cette occasion la passer le même jour que son frère, histoire de leur créer des souvenirs ensemble, de passer une bonne journée avec un repas avec la famille le midi suivant. Sans hésiter et sans même en parler à Malou j'acceptais, je savais qu'elle serait ravie et le fait de passer une journée loin de Montrouge avec la famille me ravissait. Je notais sur mon petit calendrier la date, pour ne pas risquer d'oublier et penser à en parler à mon mari et à Malou quelques jours avant.

Cet été-là il se passa quelque chose d’exceptionnel pour nous, qui ne quittions jamais Montrouge : dans une lettre, mon frère m’invitait avec les enfants dans la maison qu'il venait de louer dans le sud de la France pour l'été. Dans cette lettre, elle m’expliquait que, dans l'impossibilité pour Louis de quitter définitivement Paris, il avait loué à une vieille femme sa maison du sud, en échange de l'entretien durant le temps de passage et la préparation des repas de la vieille femme, qui continuerait d'y vivre. J'avais peur d'en parler à Léon, au cas où il refuserait, car cela comportait beaucoup d'inconvénients, d'abord il fallait quelqu'un pour entretenir la maison, quelqu'un pour faire à manger, quelqu'un pour s'occuper de Michel et Gustavine, qui ne partiraient pas, ensuite mon mari n'aimait pas me savoir loin de Montrouge même si j'étais avec mon frère.

Au fur et à mesure que je lui en parlais, je n'étais moi-même plus convaincue, il y avait trop de choses à gérer si je partais. Sa proposition, qui me fis mal, car j'aurais adoré partir en vacances avec mon frère et ma belle – sœur, était d'y envoyer Émile, Malou et Léon – Paul, et que je reste à la maison. Je digérais mon immense déception, aussi j'annonçais aux enfants qu'ils partiraient, Malou raterait un mois d'école, elle détestait cela de toute façon. Ils étaient fous, Émile courait autour de la table du salon en criant :

—''On va dans le Zud de la France ! on va dans le zud de la France ! on va dans le zud de la France !

Cela me rappelait mon enfance, quand j'étais toute aussi folle a l'idée de partir au Portugal avec ma sœur et ma tante, je ne tenais plus en place, tellement heureuse. Malou, moins expansive, arborait un grand sourire, tandis que Léon – Paul lui, se demandait comment était la maison. J'étais heureuse pour eux, et je me demandais si, pour me laisser des vacances, Michel et Gustavine ne pourraient pas partir eux aussi. Mon mari me fit rapidement changer d'avis.

—''Il n'y aurait pas d'intérêt à les faire partir, contentez-vous d'envoyer là-bas les trois enfants. Je trouve déjà bien gentil votre frère d'accueillir ses neveux et sa nièce en plus de ses quatre filles dans sa maison d'été, ne lui en demandez pas trop.

—''Vous avez sans doute raison, Léon, mais Michel risque d'être déçu s’il ne part pas.

—''Ce n'est pas à lui de décider, et puis entre nous, il peut ne rien savoir…

—''Le fils de ma sœur est peut - être aveugle, mais il n'est ni sourd, ni sot ! Il saura forcément qu’Émile, Léon – Paul et Malou partent en vacances, je ne trouve vraiment pas cela juste pour lui…

'' —Écoutez Louise, jusque-là, j'ai fait un effort pour tenter de le considérer comme les autres, mais au bout d'un moment, on ne peut plus, voilà, j'ai atteint mon seuil d'acceptation. Il n'est pas comme les autres, il ne mérite pas de vacances. Voilà c'est tout.

—''Vous êtes ignoble ! Cet enfant n'a rien demandé à personne ! Il a le droit de partir lui aussi, vous ne pouvez pas dire cela ! Il partira avec ses cousins et sa sœur, vous m'avez convaincue.

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