Chapitre 30H : février - avril 1782

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André accepta de lâcher mes mains peu de temps après son premier anniversaire.

D'abord longeant prudemment les meubles bas de la cuisine, il se mit à aggriper les jointures des portes. Bien sûr, un tel appui lui occasionna plusieurs fois des blessures, lorsque la porte se refermait sur ses petits doigts. A chaque fois pourtant il se relevait et c'est ainsi qu'il accomplit ses touts-premiers pas.

C'est en ce pluvieux mois d'avril que je tombais enceinte pour la cinquième fois de ma vie.

André aimait montrer du doigt les animaux sur l'imagier de son frère et imiter leurs cris respectifs, manger seul sa soupe en retournant au passage la cuiller, renversant la totalité sur la nappe de sa maman, tirer celle–ci pour pouvoir accéder au morceau de fromage ou de pain posé dessus, ou encore, montrer du doigt son ego du miroir.

C'était un adorable petit garçon aux cheveux blonds qui bouclaient seulement sur les côtés.

Il avait gardé ses yeux bleus et les gens s'arrêtaient parfois le dimanche avant ou après la messe pour m'accorder un petit mot ou me demander l'âge de mon ange de quatorze mois.

Léon avait été mis au courant de ma grossesse dès que j'en avais été sûre, tandis que Gabrielle avait ri.

—''Mais vous ne vous arrêtez plus ! Et ce sera encore un p'tit de toute fin ou de tout début d'année, en y réfléchissant un peu, quatre de vos cinq enfants sont de ces mois-ci. Regardez, Simon était du mois de décembre, Émile de janvier, André est du mois de février et ce p’tit-là est prévu pour les mois de décembre ou janvier.

—''Bon j'ai déjà trente-deux ans alors je crois que ce sera mon dernier ! Vous avez raison sinon. On ne décide pas de la date de naissance de nos enfants. Mais rien que pour le baptême et la température dans la maison, il est plus confortable autant pour l'enfant que la mère de naître au printemps. C'est comme ça écoutez, on a déjà bien de la chance de les avoir, nos enfants.

Assis comme à son habitude au fond de son fauteuil, ne quittant pas des yeux sa lecture pour me parler, Léon m'interpella.

—''Regardez Louise, c'est une connaissance de ma sœur.

Je m'approchais en chaussant mes lunettes.

—''Comment?

Il pointa du doigt l'article puant l'encre.

—''L'article, là dans le journal. Ici.

« Antoine Beauvilliers, 28 ans, cuisinier renommé de profession, vient d'ouvrir au Palais Royal le premier grand restaurant de Paris et du royaume de France. Son établissement, baptisé ''Le Beauvilliers'', accueille déjà à ses luxueuses tables les plus grands noms de cette décennie, comme Jacques Roux dit le curé rouge ou encore Jean – François Houbigant, le célèbre parfumeur, directeur de la prestigieuse maison Houbigant. Les plats, raffinés, ont pour vocation de rappeler ceux de Versailles, ce qui, d'après les premiers retours, semble plutôt réussi. »

—''J'avais entendu parler de Houbigant, car ma sœur achetait ses poudres et crèmes là–bas, mais jamais de Beauvilliers. Je ne suis jamais allée au restaurant. Il faudrait que j'essaye un jour, pour ne pas mourir bête.

—''Moi, une fois seulement, avec mes sœurs et mes parents, c'était une connaissance de ma mère qui avait ouvert ce petit établissement, qui comptait bien peu de tables, mais dont la cuisine était absolument fabuleuse. Je devais avoir quinze ou seize ans, j'en garde un souvenir exquis. D'ailleurs en y repensant, nous passerons voir mon père à Paris avant l'été, il veut nous voir, et les enfants aussi. Depuis le temps qu'il me tanne…

—''Il est assez rare d'avoir encore son père à votre âge.

—''Suis–je vieux ?

—''Non, mais enfin, vous n'avez plus vingt ans.

—''Sa santé décline effectivement, c'est aussi pour cela que j'ai décidé de passer le voir. Je ne suis plus sûr de le revoir vivant après, vous savez, un accident ou une maladie est vite arrivé.

—''Quel âge a-t-il ?

—''Nous avons exactement trente ans de différence d'âge. Il est de l'année 1711, il a donc soixante et onze ans.

—''Il a dû avoir une belle vie.

—''C'est sans doute vrai, mais pourquoi dites-vous cela ?

—''Pour vivre jusqu'à cet âge, il ne faut pas avoir été malheureux.

Parfois je taquinais mon fils, très proche de moi et tout aussi joueur.

Je m'agenouilla près de lui en tapotant ma joue.

—''André, m'accordez-vous un baiser ?

Il détourna sa petite tête blonde de moi en riant, assurément, il se moquait de moi.

—''Et bien ? Quel est ce p'tit fripon ? Ne voulez-vous donc pas faire de baiser à votre maman ? Regardez moi-donc André, n’ai-je pas l’air triste ?

Il s'approcha de moi l'air interrogé, et naïvement me secoua les vêtements, comme pour m'inciter à ne pas être chagrinée. Quand il se décida enfin à m'embrasser, je l'attrapa pour le chatouiller partout, il aimait beaucoup cela, surtout les baisers à profusion sur les joues et le ventre.

Lorsque mon mari reçut une invitation de sa sœur, pour aller prendre un souper au restaurant d'Antoine Beauvilliers, son ami depuis longtemps, je n'y cru pas mes yeux. Jamais, même si mon mari gagnait plutôt bien sa vie, nous n'aurions pu nous y rendre en temps normal, et jamais nous y aurions pensé.

André n'avait pour le moment jamais quitté son bourg natal, et j'imaginais mal mon petit loup de quatorze mois tenir assis sagement sur la chaise d'un restaurant chic ou sur mes genoux durant plus d'une heure ou deux. Même si bien sûr, j'aurais adoré m'y rendre pour goûter de la bonne cuisine et mettre les pieds dans un restaurant pour la première fois de ma vie, je préférais laisser Léon y aller avec ses deux associés.

« Monsieur et madame Pierre Detant vous annoncent le mariage de leur fils Gabriel, avec mademoiselle Berthe de Montmorency, le mercredi huit janvier 1783. La célébration devant Dieu aura lieu à l'église Sainte – Geneviève à midi. »

Cette lettre me fit fort plaisir, et même sans avoir beaucoup connu ma petite-cousine, j'avais vraiment hâte d'assister à cet événement, sans doute un des plus beaux de sa vie, si elle avait choisi ce mariage bien sûr.

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