Chapitre 30F : octobre - décembre 1781

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Léon–Paul conviait parfois ses deux amis autour du goûter, mais seulement lorsque ses devoirs étaient parfaitement effectués. La plupart du temps, cela motivait énormément mon fils, car il adorait inviter Charles et Lucienne.

Je connaissais la mère de Lucienne, un peu moins celle de Charles, mais dans le bourg, la plupart des mères de famille m'étaient connues au moins de vue, le lavoir nous réunissant quasiment toutes. Les deux enfants avaient à peu près l'âge de Léon-Paul, Charles ayant seulement un an de plus que lui.

Ce dernier, enfant assez expansif n'ayant pas peur des représailles de son père, avait trouvé au hasard parmi un des seuls livres de son foyer, une œuvre toute abîmée de Diderot, que je connaissais puisque mon mari la possédait.

Tout deux morts de rires, tandis que la petite brune s'exaspérait de ses amis, ils lisaient des passages à voix hautes. Interpellée par les textes assez osés, je leur confisquais, rendant l'ouvrage déchiré en main propre à Augustine, la mère de Charles, quelque peu exaspérée par l'attitude de son fils.

Je lui avais fait part de la décision de Léon d'envoyer Léon–Paul chez les frères à Rouen, elle m'avait dit que son mari y réfléchissait aussi pour Charles.

Avec l'hiver arrivèrent les maux de ventres, les vomissements, dont par bonheur André fus épargné, le seul du foyer. Concernant Malou et Gustavine, sitôt l'une guérie, que l'autre fut malade durant trois jours et trois nuits.

Léon–Paul me confia un secret, un soir, quelque chose qui le tracassait depuis longtemps et dont il avait besoin de parler pour être rassuré.

—''J'ai peur de mourir maman. J'ai réalisé après la mort d’Émile que moi aussi je pouvais partir en une seconde et j'ai peur.

—''Oh… Vous savez Léon – Paul, c'était un accident qui tient de la faute de votre tante et qui ne se reproduira plus. Ne vous inquiétez pas mon chéri, je veille sur vous avec l'aide de Dieu. Bonne nuit mon ange et priez pour vos frères.

Le lendemain matin, sur le pied de guerre, je pénétrais dans la chambre pour réveiller mon fils qui risquerait encore d'être en retard. Assise sur le bord de son lit, je lui parlais aussi doucement que tendrement, et caressais ses cheveux doux et roux.

—''Léon–Paul… Réveillez – vous. Nous sommes samedi, demain vous pourrez dormir un peu plus.

J'allais ensuite ouvrir ses volets, qui claquèrent dans un bruit familier contre le mur de pierres. Je laissais ainsi pénétrer dans sa chambre la faible lumière de six heures et demie, et dérangé, il se retourna alors dans ses draps blancs tout chiffonnés, la mine ensommeillée et les cheveux en bataille.

Tandis qu'il émergeait de son sommeil, je descendais préparer André pour le marché, lui tout content ce matin. Nous étions le samedi dix novembre et une dent venait de lui apparaître cette nuit sur la mâchoire supérieure, lui donnant des joues rouges.

Léon–Paul descendit mollement les escaliers froids dans sa chemise de nuit blanche, l'air hagard, mais je le priais de filer s'habiller. Il était six–heures quarante-cinq et dans quinze minutes, la messe commencerait avant ses leçons.

—''Filez mettre vos habits. Si vous ratez la messe de sept heures, votre père sera de mauvaise humeur. Vous vous rappelez la dernière fois, quand j'étais venu vous réveiller à sept–heures moins dix, et que vous l'aviez raté ?

—''Hum…

Mon mari, que je n'avais pas encore vu ce matin-là ajusta sa veste en dévalant les marches, j'en profitais pour lui parler.

—''Oh, Léon. Léon–Paul va encore manquer sa messe de sept heures, dites-lui donc de monter s'habiller.

En attrapant son chapeau et sa mallette, il s'adressa sans conviction à son fils.

—''Léon–Paul, je vous conseille d'être à l'heure ce matin, pas comme la dernière fois. A ce soir.

Léon quitta la maison d'un pas décidé, après avoir avalé d'une gorgée le verre de lait que je lui avais préparé. Quand il claqua la porte derrière lui, la guirlande de houx jamais décrochée depuis des années trembla, comme tous les matins. Je ne sais comment il se débrouilla, mais Léon–Paul, après avoir subitement retrouvé son énergie, quitta seulement dix minutes plus tard la maison, avec Malou et Gustavine, qui passait ses derniers mois en cours, avant ses fatidiques quatorze ans.

Je me trouvais rassurée lorsque ce jour de fin novembre, alors que je m'affairais dans la cuisine à préparer le repas du midi pour mes enfants, je trouvais, toute étonnée, mon petit André rampant à mes pieds, bavant la tête sur mes chaussures, me fixant de ses yeux irrésistibles.

—''Allons donc Jeanjean ? Me faites–vous des surprises ? Vous aimez donc faire des surprises à votre maman ? Oh mon bébé… Le câlinais - je en le prenant dans mes bras et l'embrassant à pleines joues.

Je ne saurais jamais ce qui lui était passé dans la tête, mais ce progrès soudain m'étonna longtemps.

Appuyée contre le rebord d'une fenêtre, je savourais la faible chaleur des quelques rayons de soleil de ce mois de novembre.

Même si mon mari m'avait demandé de ne pas encore les allumer par économie, je ne pouvais pas me résoudre à laisser mon fils grelotter avec sa cousine et sa demie–sœur. Alors je laissais brûler les bûches dans leurs chambres et dans la mienne, dans ces pièces froides difficiles à réchauffer, on ne pouvait pas être bien en faisant des économies sur le bois.

Suite a d'importantes chutes de neiges, je pu découvrir des fuites d'eau au plafond, pour la toute première fois depuis les huit ans que nous vivions ici. Mon mari se contenta de placer des seaux dessous, mais quand je retrouva André le front trempé au réveil de sa sieste, je savais bien que ce n'était pas de la sueur.

—''Quand penserez - vous à colmater les fuites du plafond ?

—''Cela n'est pas urgent, et puis avant d'appeler qui que ce soit, j'ai encore la maison à payer chaque mois. Cela attendra le retour du beau temps.

—''J'ai retrouvé André mouillé au retour de sa sieste.

—''Sans doute ses langes étaient-il sales ?

Interloquée, je levais la tête pour le regarder dans les yeux. Je voulais qu'il comprenne que la situation était sérieuse.

—''Ne me prenez pas pour une sotte, c'est sa tête qui était trempée. Vous voulez qu'il parte comme Simon avant son premier anniversaire ? C'est ça ?

—''Ne ressassez pas Louise. Je réparerais. En attendant, vous n'avez qu'à déplacer un peu son berceau ou lui mettre un bonnet.

Il m'exaspérait avec ses économies, mais après tout, je ne pouvais pas savoir ce qu'était gagner sa vie et travailler toute la semaine pour faire vivre une famille.

Léon récoltait un salaire aléatoire en fonction des dossiers qu'il gérait, c'est ainsi il pouvait parfois s'accorder une ou deux journées de repos dans la semaine, et en profiter pour choyer ses juments, ou pour s'adonner à ses lectures dans sa bibliothèque.

Pour la Saint–Nicolas de cette année, Léon–Paul fut choyé en fils unique, son frère étant trop jeune pour comprendre et recevoir des sucreries et cadeaux du bon Saint–Nicolas.

Il reçu un cadeau dont il fut très déçu : mon mari avait trouvé près de son cabinet un homme qui prenait des portraits réalistes, grâce à la photosynthèse, alors un dimanche après–midi de novembre, il avait emmené Léon–Paul à Paris. Il avait reçu le portrait, mais celui-ci s'était effacé entre temps et il ne restait plus qu'une couche d'encre noire brillante sur ce papier glacé.

Mon fils, docile, se contenta des sucreries dans sa petite chaussette. Sa mine réjouie nous fit malgré tout plaisir son père et moi.

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