Chapitre 7E: janvier - mai 1759

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Un après–dîner, avec Camille et une des employées, nous fîmes la cuisine.

Casser les œufs, incorporer la farine, en mettre un peu sur la joue de sa sœur, mélanger la mixture, mettre les mains dans la pâte fraîche, manger ce qui me restait sur le doigt, une ou deux tranches de pommes par ci par là, et enfin lorsqu'elle fut cuite, déguster notre tarte aux pommes, un vrai délice !

Je connaissais beaucoup de gens dans le quartier, tous les commerçants, la plupart des voisins.

Ma tante invitait souvent les dames à prendre un thé, elle voulait derrière tout ça me socialiser, car je n'avais plus de vrais amies depuis le départ des jumelles.

Un couple de voisins, que l'on voyait assez peu, car ils ne le disaient pas, mais la honte était plus forte que tout, avaient, parmi leurs trois enfants parfaitement normaux, une petite fille handicapée, et on admirait leur courage à vouloir l'élever. L'enfant marchait tout juste à trois ans, s'exprimait tel un singe, et avait des comportements étranges.

Sa face aplatie, ses yeux en amandes et ses toutes petites mains lui donnaient un vrai air d'animal.

Comme si cela ne suffisait pas, la pauvre était lunatique, passant en quelques secondes de l'euphorie à la colère incontrôlable, jetant tout par terre, tapant, hurlant, puis quelques secondes plus tard, câlinant sa mère, lui faisant des baisers par dizaines.

Les quelques fois où nous la vîmes, ses parents se trouvaient démunis face à ce malheur. Je me souviens encore du regard de l'enfant lorsque nous nous étions retrouvées à jouer au puzzle, une activité difficile pour elle. C'était rude pour moi aussi, car quoique je lui dise, elle ne m’écoutait pas, ou répondait par des cris. Cela m'impressionnait et parfois même, m'effrayait.

Mais le regard des autres avait dû finir par l'emporter, et les deux seules fois où nous leur rendîmes visite, leur petite fille ne les accompagnaient plus. J'ignore ce qu'elle est devenue.

Une fois tous les trois ou quatre jours, je prenais mon bain avec ma sœur, vêtue d'une chemise. J'aimais ce moment car cela m'amusait et me détendait, et j'aimais éclabousser Camille. Malheureusement, elle avait l'air de moins apprécier ces jeux depuis quelques temps, ce qui me désolait.

Ma tante dictait à l'employée de verser du lait d'ânesse dans l'eau du bain pour la rendre opaque, mais aussi pour que l'on ait la peau douce. Celle-ci était souvent froide, car avant nous s'y lavaient mon oncle, ma tante, et ma cousine France. Un de ces soirs, alors que l'atmosphère était détendue et relativement tranquille, nous entendîmes un énorme choc depuis le salon.

Un bruit sourd, assurément provoqué contre un meuble. Avec ma sœur nous prîmes peur et questionnâmes l'employée présente avec nous.

— '' Que se passe t - il Madame ?

—''Sûrement un vase qui s'est brisé depuis la commode, ne vous en faites guère.

Elle quitta la pièce et revint vers nous l'air paniquée, sa voix angoissée. Sûre de moi, je m'écriais.

—''Il ne s'agit pas d'un vase qui tombe !

—''Mademoiselle, voudrez-vous bien cesser de remettre en question ce que l'adulte vous dit ?

L'absence d'explications me laissait imaginer toutes les situations, surtout les pires.

Au bout d'un temps interminable et grelottantes de froid, nous fûmes autorisées à sortir de l'eau, le lait caillé formait comme de gros morceaux de yaourt autour de nous.

Séchées, rhabillées, nous nous rendîmes dans le salon pour prendre notre souper, curieuses de savoir enfin l'origine du vacarme qui nous avaient interpellées.

Après le souper, France nous expliqua enfin la situation. Son père, complètement saoul, s'était écroulé contre le meuble du salon.

Mon oncle resta alité quelques jours avant de pouvoir se relever, mais nous ne l'avions jamais vu dans cet état. Il titubait, ne tenant plus sur ses jambes, et, gestes qu'il n'aurait jamais fait auparavant, il levait la main sur son épouse qu'il aimait tant.

Cela m’impressionnait beaucoup, de voir dans un état aussi pitoyable l'homme que je croyais sérieux et invincible. La réponse était qu'il n'avait jamais accepté la perte de son enfant, qui remontait tout de même à quatre ans. Tout ce qu'il avait passé des années à nous dissimuler, venait de remonter à la surface, comme un bout de bois flotté que l'on tente désespérement de maintenir sous l'eau.

Il était malade, son corps entier empoisonné par l'alcool, le malheur. Ma tante tentait de rester forte face à ces moments difficiles, car elle avait des jeunes filles à éduquer en face d'elle, mais elle était détruite intérieurement, le sachant mourant.

Que deviendraient-on si mon oncle venait à disparaître prématurément?

Février et mars passèrent, ainsi qu'avril.

Mon oncle tenait le coup, son état restant stable, il continuait de sortir avec nous à l'église le dimanche, au théâtre deux fois par mois. J’étais une enfant, naïve, qui ne connaissait pas la vie et ses vices. Je le pensais guéri, comme si quatre ans de désespoir s’effaceraient par une bonne pensée.

Personne ne me fêta mes neuf ans, mais je relativisais en me disant que l'an prochain, on organiserait une belle cérémonie pour mes dix ans, comme il avait été fait pour Camille quelques années auparavant. Comme je ne faisais rien de particulier de mes journées, les leçons n'occupant qu'une petite partie de mon temps, mes apprentissages furent accélérés, je n’avais ainsi plus de raison de m'ennuyer.

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