Chapitre 6C: décembre 1757 - février 1758

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La Saint–Nicolas fut fêtée comme tous les ans, sans fait exceptionnel d'après ma mémoire, a part Élisabeth qui demandait une attention de tous les instants.

Sa mère restait à son chevet en permanence, la rassurant, tentant de faire diversion de la douleur en lui demandant les parrains et marraines qu’elle choisirait pour ses enfants, si elles les placeraient en nourrice. Cela ne fonctionnait pas car ma cousine souffrait trop.

Au passage à la nouvelle année, sa mère la rassura en lui disant qu'elle n'avait plus qu'un mois à tenir avant la naissance de ses enfants. Mais l'accouchement risquerait d'être compliqué. Son époux la soutenait, restant le plus de temps possible avec elle, tentant comme beaucoup de monde de la soulager. La pauvre ne pouvait même plus se déplacer.

En janvier, une lettre arriva à l'attention de Camille–Marie et Louise–Victoire de Châteauroux. Immédiatement, repensant à notre visite de l'année dernière, j'imaginais qu'elle souhaitait de nouveau nous recevoir.

Marguerite lâcha la lettre sans même avoir terminé de la lire. Camille la récupéra et m'expliqua que notre mère s'était pendue. Suite au choc de la nouvelle, nous restâmes un temps silencieuses.

Je ne pouvais plus m'arrêter de pleurer dans les bras de ma grande soeur. Je n'avais pas eu le temps de la connaître. Ma tante aussi pleura beaucoup, parce que sa chère sœur venait de nous quitter, mais surtout parce-qu’elle ne pourrait recevoir la dernière onction, ayant commis un suicide, la plus grave disgrâce envers dieu.

Nous allâmes la voir chez elle, entourée de cierges et de fleurs, endormie sur son lit. L'enterrement eu lieu quelques jours plus tard, le cinq janvier 1758, non là où étaient enterrés depuis plusieurs siècles tous les membres de la famille, mais dans un coin a part du cimetière, le plus loin de l'église possible. Maman avait trente – sept ans, je n'en avais que sept. Élisabeth voulu assister à l’enterrement de sa tante, mais c'était bien impossible du fait de son état.

A peine remises de cette nouvelle effroyable, et ayant revêtues nos robes noires de deuil une nouvelle fois, nous allions devoir traverser une nouvelle épreuve. En effet, le dix - huit février, l'accouchement de ma cousine se déclara imminent. Les deux sages–femme se montrèrent claires dès le début : du fait de la taille importante des enfants, l'accouchement risquerait forcément soit de se solder par la mort d'un d'entre eux, soit par celle de la mère.

Quelques heures après la naissance, je pu voir le petit garçon. Il m'avait l'air vaillant, c'était vraiment un gros bébé ! Quelle hâte avais-je qu'il grandisse pour pouvoir jouer avec lui !

Un peu plus tard, on m'assied dans un fauteuil pour que je puisse le prendre sur mes genoux.

C'était la première fois que je tenais dans mes bras un nouveau – né, et il dormait profondément. Tel une statue de cire, en réalité empêché de mouvements par ses mailles serrés, Charles ne bougea que lorsque je lui caressais la joue.

Épuisée par cet accouchement, Élisabeth resta au lit tandis que nous lui rendions visite tous les jours.

Son ventre avait bien du mal à dégonfler, si bien que quelques jours après son accouchement, une personne qui lui était inconnu aurait pu croire qu'elle était toujours enceinte.

Plus tard, je récupérais de nouveau le journal d'Élisabeth.

''(…) Au matin du dix – huit, j'ai ressenti un poids insupportable au bas du ventre. La douleur m'a bientôt paralysée, tant elle était forte et me tirait dans l'entrejambe. C'est lorsque la matrone a déclaré que mes enfants naîtraient prochainement que j'ai eu peur, et que j'ai appelé maman.

Présente, mais tellement rongée par l'angoisse que non d'un grand réconfort. La douleur s'est intensifiée a tel point que j'ai cru perdre la vie, puis la matrone m'a ordonné de m'asseoir sur une chaise et d'écarter largement les jambes, ce qui me fis terriblement honte.

Pour oublier ma situation, j'ai repensé à ma première nuit avec Charles, et j'ai fermé les yeux, comme il m'avait demandé pour oublier la peur qui me hantait. Cela m'a permis de penser un temps à autre chose. Puis tout s'est accéléré, mes yeux se sont rouverts quand j'ai senti une masse descendre, énorme, dans une douleur insoutenable. Je me suis soudainement sentie délivrée. La matrone, sans me laisser voir mon enfant, a coupé le cordon qui me reliait encore à lui et l'a amené pour les soins. Quant au deuxième, je ne l'ai pas senti naître, car j'avais perdu connaissance. Lorsque je me suis réveillée, il n'y avait que mon époux près de moi, qui me réconfortait tout en tenant son fils dans les bras. J'ignorais où se trouvait l'autre bébé.

Ce n'est que bien plus tard que j'apprenais qu'on avait dû le découper pour l'extirper de mon corps. L'enfant survivant fus vite emmené pour le baptême, où il porterait sans doute le prénom de son père. Charles était très content d'avoir un fils, un héritier. (…) ''

Avec mes amies, avec les beaux jours de retour, nous nous retrouvions pour nous adonner à un de nos jeux favoris, à savoir ''cuisiner'' comme les adultes.

Cela consistait à mélanger dans un trou creusé dans le sol un peu de terre, des cailloux, des racines, de l'herbe, des morceaux de bois et mélanger le tout d'un peu d'eau de la fontaine pour faire semblant de déguster la préparation comme un thé ou une soupe. Comme Marie–Anne trouvait cela plus drôle de le faire en vrai, nous goûtâmes rééllement chacune un peu de la préparation. C'était immonde, ce goût âcre de terre et ces cailloux qui craquaient sous les dents. Je recrachais un par un comme avec les pépins d'une une pomme !

Même mon chien le renifla et s'éloigna, dégoûté. Je faisais aussi subir des expériences à ma poupée préférée. Elle prit plusieurs bains, chuta des dizaines de fois du haut de la balançoire, se déchira sous les crocs du cador, pour au final terminer dans la rivière, contre mon gré.

J'en avais beaucoup d'autres, que je présentais parfois à mon petit neveu Charles, mais ils s'en désintéressait complètement, préférant téter avidement le sein de sa nourrice.

Courant mars, et après mûre réflexion de son père, Marie rejoignit définitivement le couvent des sœur Madeleines, à Paris, un établissement réputé pour s'occuper des filles récalcitrantes et immariables. Les adieux furent difficiles, chargés d'émotion, pour ses sœurs comme pour nous. Symboliquement, son lit et ses affaires furent vendues, comme pour signifier qu'elle ne reviendrait plus jamais salir la réputation de la famille, déjà bien entamée. De mon point de vue, ce départ ne signifiait pas grand – chose, car je n'avais pas de relation proche avec Marie et pas encore tout à fait la notion de ''pour toute la vie'', je ne me rendais pas compte que je ne la reverrais plus jamais.

Accompagnée de ses parents et de son mari, et quarante jours après la naissance de son fils, Élisabeth se rendit à l'église pour son amessement. Ce petit rituel visait à la ramener dans le cercle de Dieu après ses longs mois d'absences aux messes lors de sa grossesse, autant que la purifier après son accouchement.

Pour son fils, Charles avait engagé une des meilleures nourrices de Paris. Cela portait ses fruits, car il était bien portant et potelé comme il fallait. Quel beau bébé !

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