Chapitre 3C: août - septembre 1754

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L'esclave était malheureuse, Louise le voyait. Lorsqu'elle nettoyait sa chambre, la petite fille s'allongeait parfois sur le lit, contemplant ses formes rondes, d'un œil curieux et rêveur. Le plus souvent, elle portait des vêtements amples, qui ne la gênait pas dans ses mouvements, généralement une robe de toile. Louise ignorait son âge, mais elle la trouvait fatiguée, lente dans ses mouvements, triste comme si elle n'espérait plus rien de la vie. Elle aurait aimé faire sa connaissance, mais sa tante lui expliqua qu'il ne fallait mieux pas essayer, car cette race d'humain ne savait rien faire d'autre qu'obéir aux ordres d'un supérieur.

Curieuse, Louise aimait tester des activités qui lui étaient jusqu'alors inconnues. Une fois, on l'initia à l'art de la cuisine avec sa cousine, elles confectionnèrent des biscuits aux pommes. La pâte lui collait aux doigts, elle renversa même le bol contenant les pelures de fruit sur le sol de la cuisine, mais elle eue quand même le privilège suprême de pouvoir manger un quartier de pomme, en dehors du repas. Sur ses sollicitations, Marguerite lui montra aussi comment elle tricotait une écharpe, cependant Louise n’eut ni la patience, ni le courage de l'écouter jusqu'au bout.

Quelque temps après, un matin comme les autres, Jean, entre deux pages de son journal, et comme s'il s'agissait du plus banal des événements annonça à son épouse :

— La nègre est en gestation.

C'est là que Marguerite eut l'air de comprendre ce qui s'était passé de si mystérieux dans la chambre quelques semaines auparavant. Camille expliqua alors la situation à Louise avec des mots simples, mais la petite fille de quatre ans avait toujours du mal à saisir.

Louise continuait d'observer la jeune fille depuis son lit et elle lui semblait de plus en plus faible. Son ventre s'arrondissait de semaines en semaines et elle tentait de le dissimuler en rabattant sans cesse sa veste dessus. Mais cela devenait vain, ne faisant que montrer davantage la honte qu'elle éprouvait.

En septembre, le jour du mariage arriva. L'on enfila à Louise sa robe de princesse, ses gants de soie, son chapeau bleu, ses ballerines blanches et l'on coiffa sa chevelure rousse et bouclée. Quand le reste de la maison fus prêt, tout le monde embarqua dans la voiture.

Après un voyage éclair, le véhicule s’arrêta devant le parvis d'une église. Ils entrèrent à l'intérieur, et s'installèrent sur les bancs en guettant l'arrivée du marié. Cela prenait du temps, et Louise n'arrêtait pas de bouger. Sa tante la recadrait.

— '' Tenez-vous un peu Louise !

Le futur marié arriva enfin, accompagné d’une femme qui, vu son âge, devait être sa mère. Puis il se plaça face à l’autel pour attendre sa fiancée. Ce fut long, Louise gigotait de plus en plus, sa patience ayant de courtes limites. Quand la fiancée arriva enfin, sans doute au bras de son père, suivie de ses demoiselles d’honneur, Louise la trouva resplendissante. La jeune femme se dirigea vers son époux, puis la cérémonie commença.

Les familles se tenaient de chaque côté, heureuses de partager ce moment. Le prêtre récita un passage de la Bible, accueilli la parole de Dieu, lu l’Évangile. Mais pour Louise, c’était déjà trop long. La petite fille réclama à sa tante de pouvoir sortir, mais elle n'eut pas l'air de l'écouter. Puis, le moment tant attendu arriva, les mariés échangèrent leurs consentements, les alliances, le prêtre les bénit. Cela ne s’arrêta pas immédiatement comme elle l'aurait espéré, et sa patience toucha bientôt à son ultime fin. Sans solliciter l’avis de quiconque, elle se leva donc de son banc inconfortable pour se diriger vers la porte, laissée grande ouverte avec le temps clément.

Marguerite se retourna, affolée.

— '' Louise, revenez immédiatement !

Mais il était trop tard, et dans son tout-petit âge, Louise n'avait pas conscience de ce qu'elle faisait, et n'imaginait donc pas faire demi - tour. À force d'entendre crier sa tante, elle dérapa d'insolence et commit l'irréparable, en lui tirant la langue. Son oncle, interpellé par son épouse et plus énervé que jamais, se leva, couru presque vers elle qui se figea de peur, et l'attrapa par le col de sa robe. Sa tentative un peu passive pour s'enfuir au dernier moment resta vaine, et avant les coups, elle pleurait déjà. Puis il la souleva du sol et frappa, de coups toujours plus durs les uns que les autres, vociférant que personne ne devait manquer de respect à un adulte, et encore moins à son épouse. Il la lâcha et elle retomba lourdement sur le sol en graviers.

Jean n'était ordinairement pas un homme violent, mais il aimait que l'on le respecte. Louise, aussitôt de nouveau maître de ses esprits, courut alors pour rejoindre sa sœur, son seul refuge dans ce monde si dur. Elle l'embrassa aussi fort qu'elle le pouvait, la serrant dans ses bras, lui chuchotant des paroles réconfortantes. Louise n’avait maintenant plus l'intention de la quitter. La cérémonie qui toucha à sa fin fut un vrai soulagement pour elle. Les mariés quittèrent l’église au bras l'un de l'autre, des enfants leur jetèrent des fleurs sur le parvis, puis le couple remonta dans la voiture, où, bientôt, ils disparurent à l’horizon. N'étant pas de la famille proche, nous rentrâmes immédiatement. Louise fut ainsi mise au régime pain sec et eau tous les soirs pendant huit jours.

Ces bêtises, Louise les faisait, car elle voulait de l'attention, que l'on s'occupe plus d'elle. Malheureuse, elle l'était, s'attendant à chaque fois aux coups, mais c'était encore incontrôlable à son âge.

C'est à cette période-là que Louise commença à craindre son oncle.

Elle l'évitait, et même lorsqu'il s'approchait d'elle et faisait un geste au-dessus de sa tête, son réflexe était de se protéger. Il n'avait pourtant pas de haine particulière contre sa nièce.

La période où Louise devint ingérable fut celle où sa cousine Anne tomba assez gravement malade. Alitée en permanence, ses parents restaient à son chevet jours et nuits, la laissant avec Camille à la charge des esclaves.

Elle renversait son assiette pleine sur la table, se faisait même dessus volontairement, fracassait les vases contre le sol, criait et pleurait sans cesse et sans raison. Combien de fois l'esclave qui avait en charge les enfants alla voir Marguerite toute gênée pour lui expliquer que sa nièce avait furieusement cassé un vase d'une valeur inestimable ? Louise, qui scrutait tout le temps les réactions de sa tante, l'entendait alors fréquemment répondre à l'esclave :

— Que voulez-vous que j'y fasse ? C'est votre travail de vous occuper d'elle, alors gérez ça vous-même.

Tellement furieuse, il lui arriva une fois de frapper sa sœur Camille.

— Qu'avez-vous donc, à vous acharner ainsi sur moi ? Je comprends votre tristesse, mais il est inutile de me frapper ainsi, je ne vous ai rien fait.

Elle venait de perdre son dernier repère. La seule personne à qui Louise pouvait se confier ne la comprenait plus. Comment ne pas voir qu'elle avait le grand besoin que l'on s'occupe d'elle ?

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