Chapitre 5E: août 1756 - janvier 1757

5 minutes de lecture

Certains soirs, j'entendais ma tante regretter, elle s'en voulait, pensant que l'éducation qu'elle avait donné à sa deuxième fille n'avait pas été exemplaire, et qu'elle lui avait laissé trop de libertés, devenir une fille vulgaire.

Marie ne rentrait pas souvent le soir, passant la plupart de ses nuits dans la rue, alors mon oncle, si elle rentrait avant, la laissait dehors, pour la punir. Il aimait sans doute son enfant mais ne pouvait pas la laisser perturber l'équilibre familial. Elle rentrait le matin, comme si de rien n'était, et prenait son déjeuner avec nous. J'entendais mon oncle la réprimander.

— '' Vous savez ce qu'on fait des filles comme vous ? On les envoie en prison, pour le reste de leurs jours, c'est ça que vous voulez ?

Alors elle répondait, comme si son choix de vie ne concernait qu'elle.

—''Je fais ce que j'ai envie, et si l'on m'envoie en prison, vous n'y serez pour rien.

Plus tard, ma tante me prit sur ses genoux pour me raconter la complicité qui liait autrefois ses trois filles.

Elle décrocha d'un mur de sa chambre un portrait, où elles apparaissaient toutes trois, le sourire aux lèvres.

—''Sur cette peinture, Élisabeth avait sept ans, Marie six ans et France cinq ans. C'est un peintre que votre oncle connaissait bien, qui avait un talent fou, qui les a immortalisées, je me souviens, c'était juste après la Saint - Nicolas de l'année 1744.

Elles avaient dû prendre la pose deux heures entières. France, très jeune, avait eu beaucoup de mal à tenir en place. Elles étaient inséparables, passant leurs journées ensemble, dans le parc que vous affectionnez tant. Jusqu'à ce qu’Élisabeth entre au couvent, elles étaient ensembles comme des meilleures amies. Une fois qu'elle est partie, la fratrie s'est disloquée.

—''Et Anne ?

—''Anne est née sur le tard, onze ans après Élisabeth. Elle est restée très complice avec votre sœur qui avait deux ans lorsqu'elle est née.

Le deux novembre, les dix ans de Camille furent fêtés comme il se devait, avec comme cadeau une belle poupée de porcelaine, et un bracelet de perle splendide. Elle était si heureuse d'avoir dix ans et sa joie s'en ressentait parmi toute l'assemblée. Même Marie, finalement pas si mauvaise, oublia un instant ses malheurs et lui souhaita son anniversaire.

Le lendemain, ma sœur célébra sa première communion, le plus beau jour de sa vie d'après elle.

Nous entrâmes dans l'église, et la cérémonie se déroula comme pour mon frère des années auparavant.

A la fin, tout le monde se sentait bien, plus personne ne pensait à ses malheurs. Dieu était doué pour ça et pour cette raison, la religion avait toujours été importante pour moi.

La plus grande peur du début de ma vie fut lorsque je perdis ma première dent. J'avais lu dans un livre de Camille qu'il existait une maladie, le scorbut, où les gens justement perdaient leurs dents et mouraient parce qu’ils ne mangeaient pas assez d'oranges. Je réfléchissais, depuis combien de temps n'en avais - je pas mangé ? Depuis la Saint - Nicolas de l'an dernier !

Les larmes aux yeux, tenant ma dent dans le creux de ma main, j'allais voir ma tante pour lui montrer le trou dans ma gencive. Elle ne paniqua pas, mais alla voir mon oncle en lui demandant de préparer un cercueil pour sa nièce qui avait attrapé le scorbut.

Il se mit à rire légèrement, cette maladie était - elle drôle ?

Elle retourna me voir, un sourire en coin.

— '' Mais non Louise, vous n'avez pas le scorbut. Mais juste l'étoile de la bonne petite fée qui fait que vous perdez vos dents.

—''Les perdrais - je toutes?

—''La plupart, mais celle qui vient de se décrocher repoussera avant que d'autres ne tombent.

—''Pourquoi mes dents doivent tomber ?

—''C'est la bonne petite souris qui l'a décidé.

—''Mais ce n'est pas beau !

Au nouvel an, je rencontrais pour la première fois les amies de ma tante, qui prenaient le thé tous les jours à seize heure en sa compagnie, comité auquel je n'avais pas le droit d'assister.

Cette fois, exeptionnellement venues accompagnées de leur époux et pour certaines de leurs enfants, la plupart venaient se renseigner sur le mariage d’Élisabeth, car certaines auraient voulu y marier leur fils. Mais ma tante ne cessait de répéter les mêmes choses.

— '' Bien que je ne doute pas que vos fils soient de bons garçons, le prétendant est déjà choisi, nous ne reviendront pas sur notre décision.

Pendant leurs interminables discussions, je m’amusais avec les filles des amies de ma tante, toutes plus âgées que moi. Elles s'amusaient à faire prendre le thé à leurs frêles poupées de porcelaine. Cela m'ennuyait, je préférais courir dehors.

Il y avait aussi un ou deux jeunes garçons de mon âge. Je me souviens d'un, avec lequel j'avais joué au médecin. Moi, le médecin, au détour d'une auscultation, j'avais découvert son corps, celui d'un garçon, cela m'avait marqué. Alors, c'était donc fait comme cela ? Moi qui ne connaissais jusqu'alors que le corps des filles, je venais d'apprendre à six ans une chose bien importante : il existait une vraie différence entre les filles et les garçons.

Tout au début de l'année 1757, fut choisie la robe de mariée que porterait ma cousine le jour de son mariage. Elle n'en avait aucune envie, mais elle n'aurait pas le choix.

De son futur mari, elle comme moi ne connaissait que son nom, Charles–Émilien de Montmorency.

La pauvre, désespérée, ne souriait plus. Moi, très heureuse qu'elle se marie, j'avais surtout hâte de voir son futur époux.

A cette époque -là, j'avais hâte de me marier avec un prince charmant pour avoir beaucoup d'enfants et être heureuse. J'enviais terriblement ma cousine.

Mon chien m'était toujours fidèle, même si je lui avais tout fait subir. Je le jetais plusieurs fois dans la fontaine publique, et un jour, j’essayais même de couper sa moustache. Cela avait dû lui faire mal, car c'était la première fois où il m'avait mordu. J'essayais aussi parfois de lui faire manger du gravier, et même une fois, je l'attacha à mon pied pour voir ce ça faisait, me ramassant par terre quand il se débattait. Le pauvre animal, cabossé, mais toujours fidèle, recevait pourtant toute mon affection. Les jumelles et moi jouions tout le temps avec lui, la plupart du temps à le balancer avec nous sur l'escarpolette, à tenter de le faire jouer à la corde ou encore à la marelle.

Je l'appelais '' mon cador ''.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 5 versions.

Vous aimez lire Lanam ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0