Chapitre 2E : octobre 1753

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Anne était sa cousine, mais aussi son amie et sa confidente. Louise lui racontait ses secrets obscurs, encore sans importance vu son âge, mais cela juste pour tester encore une fois sa confiance. Elle en était déjà confiante, elle pouvait la lui accorder. C'était une petite fille à la peau de porcelaine, aux lèvres roses, et aux cheveux si clairs qu'on aurait pu les confondre de loin avec ceux blanchis d'une personne âgée. Ses yeux étaient du bleu de sa mère, un magnifique bleu saphir, dont la couleur les faisait ressortir sur son visage pâle.

Ses journées monotones et pluvieuses lui permettaient de découvrir plus en détail l'endroit où elle vivait. L'hôtel contenait une multitude de pièces, toutes bien entretenues et décorées. Au rez–de-chaussée, se trouvait la cuisine, les chambres exiguës de chacun des quatre esclaves, qui ressemblaient chacune plus à un réduit contenant un petit lit et une chaise. Au sous-sol, par un escalier étroit, une grande cave, froide et lugubre, où Jean entreposait ses nombreuses bouteilles de vin.

Au premier étage, là où ils vivaient, la chambre de Jean, celle de son épouse, la chambre de Louise, celle d'Anne et Camille, la chambre de Marie et de France et enfin celle auparavant utilisée par Élisabeth. Il y avait aussi un grand salon superbe, décoré de tentures, où trônait une table immense de bois, là où nous avalions nos repas. Ils ne possédaient pas de salle d'eau, mais le baquet était installé et rempli par un esclave dans une chambre lorsqu'un bain devait être pris.

L'oncle de Louise possédait aussi un bureau, avec une bibliothèque, verrouillée en permanence.

Louise s’ennuyait. Tout était long, elle avait envie que sa tante s’aperçoive de son malheur et fasse quelque chose pour elle. Parfois, elle faisait des bêtises avec Anne, comme la fois où elle avait écrit à la peinture sur les murs d'une des chambres ''Louise & Anne=amour''. En effet, les deux petites filles étaient inséparables à cette époque, et Louise lui répétait sans cesse qu'elle voulait se marier avec elle. C'était pour rire bien sûr, même si du haut de ses trois ans, Louise ne voyait pas d'inconvénient à cet acte, mais elle pleura lorsqu'elle fut contrainte de tout nettoyer, tenant d'une main l'éponge humide et de l'autre frottant sa joue rougie par les gifles.

Un matin, quelle ne fut pas la surprise de Louise lorsqu'elle vit à travers les fenêtres de sa chambre de minuscules nuages blancs descendre du ciel !

Elle se prépara, descendit tout aussi vite les escaliers, et pria les domestiques de lui préparer les vêtements appropriés. Un épais manteau de fourrure, des bottes en peau épaisse et elle se précipita vers le square. Camille et Anne étaient déjà en train de jouer avec la blanche, certains dévalaient les bosquets sur une luge, d’autres construisaient d’éphémères statues de neige.

Louise cherchait ses amies des yeux.

— Vous n'avez pas vu les jumelles ? Demanda t-elle à Camille

— Elles ne sont pas encore arrivées.

Elle rejoignit ainsi Françoise qui édifiait une statue de neige aidée de son frère et de quelques autres petits. Louise les aidait passivement, jusqu'au moment où elle aperçut les sœurs. Elle courut vers elles. Marie-Anne et Marie–Catherine étaient jumelles et Louise avait encore quelques difficultés à les différencier. Malgré tout, en les observant bien, l'on pouvait se rendre compte que Marie-Anne portait un grain de beauté sur la joue, ce que n'avait pas sa sœur. Elles jouèrent peut - être une demie– heure durant, puis Marguerite vint les chercher.

— Les enfants ! Le déjeuner est prêt !

Comme la faim se faisait effectivement ressentir, elles rentrèrent. Les attendaient sur la table des tartines dégoulinantes de confiture, des biscuits aux raisins, aux noix, au miel, des fruits, du lait, du sirop de sureau, du jus d'orange, du jus de pomme, et une assiette pleine de friandises.

Une fois rassasiées, elles rejoignirent le square.

À leur grande surprise, il n'y avait plus personne. À la place, des paysans en colère qui s’apprêtaient à incendier les appartements aux alentours. Munis de fourches, de torches, de poignards, ils vociféraient des paroles incompréhensibles. En avaient-ils contre elles ? Louise l'ignorait et prit peur, tout comme sa sœur et Anne. Elles se mirent alors à courir, aussi vite que leurs jambes le leur permettaient. Arrivées devant l'hôtel, tante Marguerite les attrapa par la main pour les ramener à l'intérieur le plus vite possible. Elles montèrent les escaliers et s'assirent sur le lit d'une des chambres. Marguerite referma aussi vite la porte avant de sortir. Les filles restèrent prostrées quelque temps durant, accablées de surprise et figées par la peur.

Plus tard, tante Marguerite revint les voir pour leur expliquer que ces paysans en voulaient au roi, et non pas à eux. Quand la menace fut passée, les enfants purent ressortir prudemment malgré eux.

La journée se termina dans un silence de mort, car la peur resta présente parmi eux dans les jours suivants. Pour en quelque sorte les rassurer, Marguerite les emmena plus tard à l'exécution au bûcher de tous les révoltants, la première fois que la petite Louise assistait à une mise à mort. L'exécution, en vue de faire passer l'idée d'une nouvelle révolte à la population, se déroula un dimanche matin, après la messe hebdomadaire. Les condamnés furent attachés nus à de hauts poteaux de bois, au-dessus d'un tas de paille. Le public applaudissait, huait, criait.

— A mort les révoltants ! À mort les opposants au régime !

Puis un gros bonhomme encapuchonné de noir enflamma la paille. Les condamnés criaient de douleur, cruellement brûlés, lentement consumés, subissant sûrement une des pires formes de mise à mort. Le son de leurs voix désespérées résonna longtemps en elle. Puis leurs cendres furent dispersées. Les gens autour d'eux applaudissaient, considérant cette cruauté sans nom comme une distraction comme une autre.

La petite fille resta profondément marquée par cette première et bouleversante expérience.

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