Chapitre 21A: mai 1772

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Mes vingt - deux ans ne furent qu'une anecdote. Je me regardais de nouveau dans le miroir, devant moi cette jeune femme vieillissante, aux cheveux roux bouclés, aux cicatrices jamais parties sur mon visage et au trou dans la bouche, très disgracieux, cette dent là c'est mon oncle qui me l'avait cassée et elle était tombée peu de temps après. J'avais très peu de poitrine, ce qui me causait un complexe terrible, des seins de jeune fille. Je me détestais encore plus quand je voyais Camille, si belle, elle avait su garder son apparence enfantine. De longs cheveux bruns, quelques grains de beauté parsemés sur son visage blanc, un nez tout petit et des dents immaculées, son seul défaut physique selon moi était ses sourcils un peu trop épais. Je lui trouvais des défauts juste parce qu’il était difficile pour moi de concevoir qu'elle était parfaite.

Nous étions toujours en mai, vers le dix. Je brossais mes cheveux lorsque Madeleine m'apporta cette lettre, elle entra dans ma chambre dont la porte était grande ouverte et me la tendit en ajoutant ces mots :

—''C'est pour vous Louise, je ne sais pas de qui il s'agit mais elle est bien abîmée.

Je récupérais l'enveloppe gondolée et laissait Madeleine regarder avec moi, n'ayant aucune idée du destinataire. Au dos, il y avait bien écrit un nom et une adresse mais l'ensemble était illisible. Je n'eus pas à décacheter : le sceau était enlevé ce qui voulait dire que la lettre avait été lue après qu'elle fus envoyée. C'est sans grande conviction que j'en sortait un papier jauni et tâché. Il me fallut quelques temps pour comprendre que la lettre venait de Maria, ma cousine, que j'avais vue pour la dernière fois en été 1761, treize ans auparavant. Comme il est triste de perdre une langue, elle qui parlait si bien français quand je l'avais vu. Cela me fendait le cœur de voir avec quelle difficulté elle avait écrit ce courrier.

'' Louise,

Je ne t'avai pas oublier, mais juste je m'étai (casado?) mon 5 enfan sont né mais mort vers 2 jours. Mon enfan s'appel (?), Francisco, Anna et Pablo. Mon ( marido?) s'appel Francisco Almeida je n'aime pas lui. Moi oublier un peu français maman morte vers 1763, moi jamais réentendu la langue. Camille bien? Et toi Louise? Mon frère a moi ils sont ( casado?) et ils ont (?). Moi j'aimais aller dans la ville de Paris mais Francisco parle trop distance. (…) ''

Le bas de la lettre était déchiré et l'adresse illisible, il apparaissait comme de l’eau de roche que je n'en saurais jamais plus. Beaucoup de questions me vinrent à l'esprit en lisant le peu de choses qu'il y avait dans cette lettre : pourquoi avait-elle décidé de me l’envoyer ? Et s’il s'agissait d'un appel au secours et que l'on avait volontairement déchiré ce qui ne devait pas être lu ? Que disait -elle dans le morceau de papier déchiré ? Et si c'était important ? J'étais vraiment frustrée de ne pas pouvoir lui répondre, la pauvre avait fait un effort énorme en m'écrivant cette lettre. Au bout de plusieurs jours à la laisser traîner sur ma table de nuit, je la jetais à la corbeille, le cœur blessé.

Georges quitta le jour de ses sept ans, au vingt - neuf mai, son foyer pour rejoindre son précepteur, au grand dam de son jeune frère, désormais seul pour ses jeux. Contrairement à Amédée qui irait au couvent après ses études chez son précepteur, Georges entrerait en apprentissage avec son père. D'après Joseph, le couvent était cher et pas forcément indispensable pour gagner sa vie. Amédée était l'aîné des garçons, il était normal qu'il poursuive ses études plus longtemps. France n'était pas de cet avis et bien qu'elle n'ait pas son mot à dire auprès de son époux, elle n'hésita pas lorsque je lui rendis visite pour dire au revoir à Georges, à exprimer son mécontentement. Selon elle, aîné ou non, l'enfant devrait aller au couvent et elle était inquiète pour l'avenir de son fils, qui selon elle ne gagnerait pas suffisamment sa vie plus tard. Ma sœur ne partageait pas les mêmes idées politiques que moi, et même si j'étais tolérante, j'avais du mal à accepter que l'on pense certaines choses. Lorsque je lui rendais visite, il arriva que nous parlions de cela en regardant la gazette que lisait Auguste.

—'' Vous ne croyez pas que dans le gouvernement de Louis XVI, il a un peu de despotisme ?

— ‘’ Écoutez Louise, mon avis est partagé, parler de despotisme est exagéré même s’il est dur avec le peuple, il est normal qu'il soit sévère. En revanche je n’adhère pas aux idées de Voltaire. Dire que tous les hommes sont frères et largement exagéré.

—''C'est un homme tolérant, qui milite pour l'égalité des classes, vous ne pouvez pas dire que ses idées sont exagérées. Il utilise la religion pour réunir tout le royaume sur les mêmes idées, il est très intelligent.

—''On n'a pas le droit de mêler Dieu a ces histoires de tolérance et d'égalité, il n'a rien à voir là-dedans !

—''Pourquoi ? Si cela peut faire réagir le peuple et le gouvernement !

—''Utiliser la religion et Notre Seigneur pour défendre des idées, voilà une chose qui m’écœure énormément. Comment, vous qui avez toujours été élevée dans le respect de Dieu pouvez-vous aujourd'hui tenir ce genre de discours insultant et haineux ?

—''Cela n'a rien à voir avec une...

Elle me coupa excédée

—''Taisez - vous maintenant je ne peux plus entendre cela !

Le soir même j'allais me coucher tôt car des nausées me firent me sentir malade et la nuit je vomissait mes tripes en faisant se réveiller Louis qui s'interrogea sur la raison d'un tel état.

—''Qu'avez-vous mangé hier ? Était - ce la soupe qui avait tournée ? Avez - vous bu le lait qui traînait dans le placard et que Madeleine avait l'intention de jeter ?

Je ne lui répondais pas dans l'état où je me trouvais, il n’attendait je pense pas de réponse de ma part. Morte de fatigue je m'en allais me coucher, mais ce fus un sommeil agité qui me pris, malgré le seau au pied de mon lit je vomissais une deuxième fois sur les draps que je dû changer au petit matin. Incapable de me lever le matin suivant, je restais la journée entière clouée au lit, en ayant droit à un défilé à mon chevet : d'abord Louis en permission ce jour - là, puis Madeleine qui m'apporta une tisane et une tartine de confiture que je laissais traîner sur ma table de chevet. Il y eu aussi la nourrice de Françoise qui me demanda simplement si elle pouvait faire quelque chose pour moi, je n'osais pas lui demander de m'apporter le pot de chambre, étant trop pudique.

Quand j'eus vomi le contenu de trois estomac durant toute une journée et que la fièvre ait diminuée, je cédais à avaler ma tartine de pain et à boire ma tisane. La nuit suivante je dormais d'un sommeil réparateur et le lendemain je reprenais en petite quantité mes repas, sans aucune nausée.

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