Chapitre 19A: mai - juin 1770

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Célestin ( ? - +8 juin 1770)

Le trois mai, je fêtais mes vingt ans en compagnie de Célestin, mais aussi Camille, France, Joseph et leurs trois enfants. Ma marraine Louise fut aussi invitée, c'était la première fois que je la voyais depuis bien longtemps. Je soufflais mes vingt bougies avec bonheur, et fus inondée de cadeaux : une montre de Camille, une boîte à musique de ma marraine, et un bouquet de fleurs de France et son mari. Alors que nous prenions notre dessert, après que j'eus reçu mes cadeaux, j'observais que Georges et Philippe chuchotaient quelque chose à leur mère, dont j'ignorais si cela avait un lien avec mon anniversaire. Puis les deux frères montèrent chacun sur une chaise, leur public se tut et avec la maladresse de sa petite enfance, Georges récita :

— '' Louise, tu as vingt ans audourdui, vous êtes grande, tu es belle, je t'aime, joyeux anniversaire.

Son petit frère de seulement deux ans et demi ajouta dans un silence :

— '' Yeu nersaire.

Tout le monde applaudit, ils étaient touchants, et avaient préparés cela tout seuls. Ils vinrent vers moi et m'embrassèrent, cet anniversaire était probablement le plus beau. Mais aussi sans doute le dernier aussi joyeusement célébré. Je reçu un petit mot de la part d'Amédée, quelques jours plus tard, simple, mais mignon : '' Joyeux anniversair Louise, je pense toujoure a vous''. Les progrès en orthographe étaient là, il n'y avait qu'un ''e'' qui n'avait pas su trouver sa place.

Le seize mai, Marie - Antoinette de France et le dauphin Louis s'unirent dans un mariage purement politique à Versailles. Pour que le peuple puisse participer à l’événement, le trente mai fus déclaré chômé par la ville, et pour bien marquer le coup, on tira le canon dès six heures et sur la place Louis XV, furent dressés des tables sur lesquelles avaient été disposés des victuailles : le peuple se rua dessus et il y eut un mouvement de foule qui tua des dizaines de personnes.

Nous l'apprîmes par la gazette mais nous ne nous y rendîmes pas, à quoi bon ? Le soir en revanche fus tiré un feu d'artifice qui tourna à la catastrophe : le bouquet final s'enflamma trop tôt et parti en plein milieu des autres tirs, enflammant l'estrade d'où il avait été tiré. Les pompiers intervinrent et la fête tourna court. La foule de dix-mille personnes se pressa vers la rue royale, une rue en goulot de bouteille, pour accéder à la suite des festivités, mais deux voitures pompes arrivèrent en sens inverse. Poussées par le mouvement de foule, des centaines de personnes tombèrent en avant et furent piétinées. La foule tenta de reculer mais la pression était telle que les gens mouraient étouffés debout. Devant l'ampleur du phénomène, des badauds montèrent sur les carrosses, les chevaux qui s'écroulèrent sous leur poids.

Les gens hurlaient, criaient dans l'obscurité, tentaient de survivre dans la cohue sans nom en montant sur les rebords, les poutres ou en se rencognant dans les portes cochères des maisons. Avertis, les gardes parvinrent à bloquer la foule à l'entrée de la rue Royale, qui se dispersa. Un chaos, des corps enchevêtrés, des mourants, qu'il faut extirper de la mêlée, on distribue de l'eau de vie aux survivants. Pour transporter le millier de blessés, on réquisitionna de force les carrosses et voitures des habitants. On dénombra des centaines de morts, dont la plus jeune victime avait six ans et la plus âgée soixante-quinze. Des miséreux en grande majorité. D'après la police municipale, la faute était au peuple qui avait été trop impétueux.

Quand le vingt-neuf mai nous fêtâmes les cinq ans de Georges, je lui offris une belle plume d'oie et un encrier pour qu'il s'entraîne à écrire, il me chuchota un vague merci et s'en alla fier comme un coq montrer le cadeau à ses parents.

Je continuais de me rendre au cimetière pour me recueillir chaque premier jour du mois.

C'était sur la tombe de ma mère que je passais le plus de temps, elle aurait presque cinquante ans. Après une longue prière à genoux, je lui parlais, lui racontant les événements des jours précédents, l'imaginant aujourd'hui, sûrement fière de ses filles, et de son premier petit–enfant. Je me recueillais aussi sur les tombes de mon père, des filles de France, Adrienne et Marguerite qui auraient six ans et presque trois ans, de ma cousine Anne, remplaçait les fleurs fanées et priait longuement, avant de rentrer la mort dans l'âme. Bien que la mort soit un sujet souvent côtoyé, nous ne nous y habituions jamais, et chaque enfant perdu était une souffrance inconcevable.

Nous pouvions nous estimer chanceux, car certaines connaissances de ma tante n'avaient jamais réussi à maintenir leurs enfants en vie au-delà de quelques mois, et se retrouvaient répudiées par leurs maris, faute d'avoir un héritier pour perpétuer leur nom.

L'unique fille de France était une enfant surnommée affectueusement '' la petite pieuse,'' aux cheveux blonds toujours rabattus sous un châle et aux manières irréprochables, jamais je ne la voyais s'amuser avec ses frères ou raconter une anecdote. Lors d'une discussion, sa mère me confia:

—''Thérèse ne veut pas faire d'études, seule la théologie l'intéresse, même si un mariage serait mieux pour elle, vouer sa vie au Seigneur est un bon choix.

—''Il vaut toujours mieux de finir dans un couvent que chez les filles de joie.

Si son choix se maintenait, elle entrerait dès ses douze ans au couvent des Ursulines.

En attendant, elle apprenait, récitait, c'était une petite fille modèle, même si je la trouvais parfois presque trop vouée au Seigneur.

Ma sœur était courageuse : malgré la chaleur du mois de juin, et sa grossesse presque à terme (elle me le disait souvent, elle avait mal au dos et au ventre) Camille continuait de prendre soin de son mari et du foyer conjugal. Je l'aidais, mais je ne pouvais pas la remplacer. Son époux venait d'être mis au courant de la grossesse, il le savait bien avant mais l'avait plutôt mal pris, selon lui, il aurait dû être prévenu dès le début.

Le soir du huit juin, je venais de rentrer d'une journée chez Camille, nous avions tenté ce jour-là de faire marcher Auguste fils, de lui faire goûter sa bouillie. Tout allait bien, Chocolatine préparait la soupe dans la cuisine, je lisais dans ma chambre, Célestin vaquait à ses occupations assis sur le canapé du salon. Soudain, Chocolatine entra dans ma chambre sans frapper. Je m’indigna un instant, avant qu'elle ne puisses parler plus fort que moi.

—''Monsieur Célestin à perdu connaissance Mademoiselle !

Après un instant de réflexion, je couru vers le salon où l'homme se trouvait inconscient sur son fauteuil, la pipe (qu’il lui arrivait de fumer) à terre. Je criais à la nègre de rester près de lui, et j'allais chercher le médecin au bout de la rue. Quand nous arrivâmes, il écouta sans grand espoir son cœur et conclut qu'il était mort d'un arrêt subit du cœur.

Cette mort subite me fit un petit choc. Bien que je ne l'aime pas beaucoup, il avait partagé ma vie onze ans durant. Plus encore, j'étais inquiète pour mon avenir, car encore mineure, je ne savais pas où j'allais aller vivre.

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