Chapitre II. Guerre contre Monbrina - section 4/8

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Guidé par les cris, Jérémie déboucha sur la Grand' Place et se raidit d'effroi.

– Alice ! s'exclama-t-il.

La fureur l'envahit : son aimée sanglotait, hurlait, se débattait entre les serres de trois ennemis. Deux brutaux la plaquaient au sol. Le dernier, rouge, couvert de sueur et la verge raide, plongeait sous sa jupe. Donnant de rudes assauts entre ses jambes ouvertes, les yeux exorbités posés sur ses pairs, il ricanait d'une voix graveleuse :

– L'est bonne ! Servez-vous aussi, avant ceux qui l'achèteront, hé !

L'esprit déjà emmêlé dans l'horreur, Jérémie ne réfléchit cette fois-ci plus du tout. Sa colère le jeta sur le groupe. Il poussa le troisième militaire sur le côté et lui envoya un coup de fourche en plein buste. L'homme s'étala et rugit. Surpris, ses acolytes lâchèrent leur victime. La demoiselle tout juste consciente en profita pour s'enfuir et les combattants ripostèrent. Ils fusèrent contre le garçon, qui se défendait au mieux de sa pauvre arme. Acharné, il ne songeait pas aux risques encourus. Ni au fait qu'il n'avait tout simplement aucune chance. Il ne fallut que peu de temps aux guerriers, équipés de lames et de gants métalliques, pour dompter le jeune attaquant qui roula à terre. Ils l'attrapèrent, l'immobilisèrent, le jetèrent au sol.

– Chien ! On va te faire regretter… Allez-tiens !

Leurs pieds cloutés lui blessèrent le ventre, la figure, lui déchiquetèrent le dos, et les lèvres dont un morceau pendit. Ils firent pousser à la victime des râles encombrés par le sang qui remontait dans sa gorge. De fines traînées rouges giclaient à terre.

– Déguste, pauvre chiure !

De violentes nausées secouèrent le prisonnier paniqué et incapable de respirer. Il haletait furieusement, s'étouffait. Tout se brouillait à ses yeux et en son crâne sonné.

– Tu vas voir un peu, saloperie…

L'adolescent fut maintenu à genoux, bras en arrière. Le soldat au buste écorché le saisit par les cheveux, d'une force à lui en arracher, l'obligeant à crier et à lever sa tête inondée de larmes. À ses oreilles revint alors l'écho tremblant des râles d'Alice. Non… Non ! Ce n'était pas elle. Son esprit lui jouait des tours. Elle avait pu s'enfuir. Pourtant, ses pleurs se faisaient terriblement proches. Bien trop réels. Et certains hommes d'armes riaient, tandis que d'autres grommelaient des paroles que Jérémie préférait ne pas saisir. La lamentation en trémolos de la paysanne persistaient. Une vague de chaleur parcourut son ami, avant de céder la place à un frisson de mort qui lui darda l'échine lorsque, ouvrant au mieux ses yeux éclatés, il la vit, bien là, immobilisée par les griffes de vautours qui étaient parvenus à la rattraper.


Le fils Torrès n'eut pas le temps de la moindre prière. Il se tétanisa, son visage perdit ses ultimes couleurs en même temps que celui d'Alice, après le sinistre tintement d'un couperet tranchant l'air et les chairs. S'ensuivirent deux interminables secondes suspendues. Jérémie ne comprit pleinement qu'à l'odeur du sang chaud, à la vue de l'adolescente s'affaissant à terre, aux gargouillis échappés de sa bouche et sa poitrine ouvertes. Tout s'assourdit. S'écroula durant un instant. Ne résonna plus qu'un long hurlement écorché dans lequel le paysan vida sa colère contre lui-même autant que contre la boucherie insensée. Il réagit à peine lorsque le militaire qui le tenait toujours par ses cheveux mêlés de croûtes tira son épée et la plaça contre sa gorge offerte. À moitié conscient, le captif grinça des dents quand le fer pressa son cou.

– Non, attendez !

Jérémie retint son souffle. Il distingua un cavalier monbrinien, qui venait certainement de surprendre l'incident. Il avait stoppé son destrier et observait.

– Mon capitaine ! saluèrent fièrement les trois militaires, après que le violeur se fût caché pour se reboutonner à toute vitesse.

Il rangea son pistolet à sa ceinture puis descendit de sa monture. D'une démarche altière, le chef approcha du prisonnier qui, tremblant de bout en bout, baissait ses yeux tuméfiés et embués. Le silence infini lui était insupportable. Le garçon sentit la pointe d'une cravache lui redresser le visage. Le poids d'un regard examinateur tomba sur lui. Apeuré, étourdi, il n'osa remuer d'un cil tandis que l'homme inspectait son corps de quatorze ans, jaugeant bras, épaules carrées, torse solide et longues jambes.

– Voyons donc. Jeune, bonne allure, il paraît fort, commentait-il à mesure.

Il fit siffler sa trique d'un ample mouvement dans les airs, tandis qu'il ordonnait :

– Ne le tuez pas. Et ne l'abîmez pas davantage. Emmenez-le, on en tirera sûrement un bon prix sur un marché aux esclaves.

L'adolescent frémit, se débattit. Désespérément. Il ouvrit la bouche pour tenter quelque supplication. Seule une quinte de toux put sortir de sa gorge étranglée : les glaires ensanglantées atteignirent le capitaine qui répliqua d'une violente gifle.

Il se remit en selle et poursuivit son chemin. Éploré, Jérémie s'éreintait en vain dans tous les sens. Il était maîtrisé par deux ennemis. Le troisième dénoua la corde qui servait de ceinture au campagnard pour lui attacher solidement les poignets dans le dos. Puis il le tira par sa tunique, afin qu'il se remette debout. Son acolyte le fit démarrer d'un coup de botte, et le groupe se dirigea vers la sortie du hameau. Le captif ne sentait que ses membres blessés, tandis qu'on le forçait à avancer.

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