Cavale (*)

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Karl revit les moments les plus significatifs avec Vivi. Des images furtives depuis sa naissance l'assaillirent. Le beau temps, quand elle était tendre et douce, quand elle et Kirsten s'aimaient... puis, comme si tout un pan avait été effacé, celui des mauvais moments. Comme l'instant présent. Le pire de tous. Elle avait été malmenée par sa faute, et même s'il avait pu châtier le monstre, cela ne serait jamais suffisant. Cela ne la ramènerait pas au cas où... il n’osait même pas y penser.

Il se précipita vers sa fille, prononçant inutilement son prénom, il savait qu’elle ne répondrait pas. La haine et la crainte de découvrir l’étendue des dégâts le poussèrent à se défouler sur la dépouille du barbu ; lui lancer quelques coups de pied et vider le chargeur sur ce porc. Cela lui donna le courage pour se pencher auprès d'elle et vérifier ses signes vitaux. Elle respirait. Lui aussi, il put respirer enfin, un peu. Le visage meurtri de l'adolescente  ne le rassurait pas. Il examina ses pupilles, celles-ci réagirent à la lumière de son portable, mais elle était froide et son pouls restait faible. Il fallait la sortir de là et l’emmener à l’hôpital. Mais comment ? s’interrogea-t-il en observant autour de lui : deux voitures abîmées, deux cadavres, un chalet avec ses empreintes. Le désespoir conduit son regard sur l’allée enneigée, le chemin de sortie de cet enfer, où il aperçut un nouveau problème. Une silhouette armée, canon braqué sur lui, l'épiait. Karl lorgna, dépité, le pistolet qu’il venait de vider et balancer au sol.

Le moteur du 4x4 ronronnait toujours, ajoutant de la tension sur ses nerfs, l’empêchant de réfléchir. Que pouvait-il faire à part lever les mains dans un geste de reddition ? À une dizaine de mètres, la fine silhouette avança vers lui, fusil en main, canon pointé au sol. Elle prenait forme, il avait déjà vu cette combinaison blanche la veille. Celle qui avait tiré. La mystérieuse intruse. La folle.

Lorsque celle-ci fut à la hauteur de la berline des malfrats, sa tête balaya la scène en sifflant, insouciante. Puis elle s’attarda sur la jeune fille qu’il portait dans ses bras. Son visage parut soudain plus grave.

— Est-ce qu’elle...

— Non ! s’empressa de répondre Karl, son regard exprimait aussi bien la colère que la peur.

Charlotte mit le fusil en bandoulière et avança en jetant un coup d’œil à la carrosserie abîmée des deux véhicules ; puis elle continua jusqu'à ses pieds.

— Elle va plutôt crever avec tout ce qui sort du pot d’échappement...

En effet, le moteur poursuivait son ronronnement en bruit de fond, mais Karl ne l’écoutait pas. Il était plus attentif aux signes de réveil de sa fille et, la portant dans ses bras, se demandait quel véhicule emprunter. Pendant ce temps, l’intruse prit l’initiative d’éteindre le moteur. Après avoir jeté un coup d’œil à la banquette arrière couverte d’éclats de verre, elle somma Karl de la placer côté passager, aidant à ouvrir la portière. Accompagnée d'un gémissement douloureux, Vivi reprit connaissance et, effrayée, voulut repousser son père. Il avait d’abord cru que cette réaction était due au choc, mais il comprit vite qu’elle le repoussait lui, son père, marmonnant des insultes. Lorsqu’elle fut installée sur le siège passager et aperçut Charlotte, elle écarquilla les yeux, surprise.

— Putain, tu fais quoi là ? s’écria-t-elle avec une élocution douloureuse, la main sur la mâchoire ecchymosée.

Avec un calme certain, Charlotte contempla ces deux paires d'yeux identiques et inquisiteurs.

— Tu me fais confiance ? demanda-t-elle, s'adressant à l'adolescente d’un ton rassurant.

— Non ! s’empressèrent de répondre tous les deux, sans concertation.

— Ben, il va falloir ! Papa et moi devons discuter un peu, OK ? conclut Charlotte, en lançant un clin d’œil à Karl.

La jeune femme sortit du véhicule. Elle l’attendit à l’écart, percevant par le pare-brise le regard haineux de la jeune fille, trop affaiblie pour tenter de les écouter.

— Il faut l’emmener à l’hôpital ! hurla-t-il. Puis, tentant de reprendre son sang froid, il l'interrogea à voix basse : Qui êtes-vous ? Que faites-vous là ? Ils sont avec vous ?

Charlotte le détailla de long en large, émettant un sifflement admiratif.

— Beau travail !

— C'est tout ce que vous vouliez me dire ?

— On n’a pas de temps à perdre. Alors, tu vas m’écouter et je répondrai à tes questions plus tard.

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