Imprudence (*)

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Hôpital de Hopfgarten, 9 février 2012

Ce matin-là Karl vivait un cauchemar éveillé. Il n’avait pas écouté Parker. Pas suffisamment tôt, en tout cas. La date butoir s'approchait inexorablement, celle de la tâche qu'il aurait voulu ignorer, mais qu'il se devait d'accomplir.

Il chassa ces pensées de son esprit et patienta en silence. Il connaissait bien ce genre d'endroits, mais sous un autre angle : celui qui regarde les visages soucieux, inquiets, impatients. Non, en fait il ne daignait pas les voir. Il avait arpenté ce type de couloirs, indifférent à la souffrance d’autrui. Il ne faisait pas ce métier pour aider, mais pour résoudre des problèmes.

Maintenant qu’il attendait, ignoré par le corps médical, il ne lui restait qu’à imiter les autres : se rabattre sur son téléphone. Glisser son pouce sur l’écran et voir défiler les SMS, tentatives d’appel, notifications. Sa femme ne tarderait pas à rappeler. Il préférait ne pas entendre sa voix. Pas en ce moment.

Il avait d'autres soucis. Quelques jours plus tôt, la curiosité l’avait poussé à ouvrir l’enveloppe. Le contenu l'avait laissé sceptique : des instructions, une adresse, des coordonnées et une clé de voiture de location. Il aurait aimé rire, se dire que ce Parker se croyait dans un film d’espionnage avec ses énigmes stupides et son enveloppe mystérieuse. Mais il ravala son mépris. Ce Parker semblait savoir des choses sur lui. Sur sa famille, sa fille.

Malgré tout, il avait ignoré sa demande. Il avait laissé filer le temps, tout en ayant noté dans son agenda la date inscrite dans les instructions. Du reste, il avait trop réfléchi. Par acquit de conscience, il appelait sa fille deux fois par jour, au point de la lasser. « T’es pire que l’autre ! » avait-elle ronchonnée. Et elle n’avait pas tort. Comme elle ne répondait plus, il contactait le centre pour connaître les détails de sa journée. Oui, définitivement, il était passé pour un de ces parents névrosés, comme elle.

Auparavant, sa femme s’occupait de ces choses-là. Elle, l'anxieuse, celle qui voulait s’assurer que sa fille mangeait bien, car elle paraissait trop maigre. Qu'elle avait des amis, car elle semblait trop solitaire, renfermée. Elle, qui cherchait à faire figure de mère parfaite malgré son sentiment de culpabilité. Rongée par son envie de se réaliser en tant que femme après avoir été mère. Elle qui avait sacrifié une partie de sa vie à élever Vivi, l’autre à la délaisser. Et lui ? Lui, il faisait confiance à sa femme.

Il comprenait Kirsten. Sa nature nerveuse et anxieuse le touchait, puisqu'il n'avait qu'une seule envie : la protéger des malheurs de ce monde. Dans le bon temps, il aimait l’entendre dire que le destin l’avait mis là pour la défendre. C'était vrai. Pour toujours. Il se l’était promis. Or, c'est elle qui avait décidé de partir.

À présent, il s'interrogeait. S’était-il fixé le même objectif avec sa fille ? Non, évidemment que non. Autrement, il aurait obéi sans rechigner, accepté la tâche. Non seulement il avait été un mauvais époux, mais aussi un mauvais père.

Son portable vibra, le tirant de ses réflexions. Encore elle. Pourtant, il s’en voulait de la faire attendre comme ça. Ce serait pire. Il avait l'excuse de l'heure, trop tôt. Alors, il rangea son téléphone et ressortit l’enveloppe. Demain. Dans un jour, il devrait abattre une cible.

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