*L'alliance*(****)

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Cher lecteur confiné, dernière partie du flashback "L'alliance" :P

Elle s’appelait Éva.

Il l’avait déjà rencontrée, à peine une heure plus tôt, lors de la réception. Souriante. Séduisante. Si Aleksander ne les avait pas interrompus, s’il avait cédé à la tentation, aurait-elle été épargnée ? Avec le recul, il aurait préféré ne plus jamais la revoir.

— C’est ici.

Elle rompit le silence en désignant par la vitre un immeuble à l’architecture moderne et froide, comme les alentours. Il n’eut pas de mal à se garer dans ce quartier parsemé de chantiers sur les bords du Danube

— Je monte avec vous. Pour vous examiner, ajouta-t-il après un moment de flottement.

Il parla d’une voix posée, mesurant ses mots pour ne pas l’affoler. Mais elle ne dit rien. Sa main gauche pressait toujours un mouchoir ensanglanté contre sa joue, l’autre main s’apprêtait à ouvrir la portière. Il la stoppa en saisissant délicatement son bras. Il s’en chargerait, annonça-t-il. Il s’approcha d’elle jusqu’à atteindre la boîte à gants d’où il sortit une trousse à pharmacie et des mouchoirs. Cette proximité lui suffit à ressentir le magnétisme qu’elle dégageait. Mais comment pouvait-il penser à cela ?

Il se ressaisit et respira un bon coup d’air frais en sortant du véhicule. Lorsqu’il lui ouvrit la portière, il remarqua qu’elle tentait de se glisser dans ses escarpins. Son visage esquissa une grimace de douleur en posant ses pieds au sol, puis elle le fixa consternée.

— Je dois récupérer les clés chez la gardienne, chuchota-t-elle dans un ton de supplique.

— On vous les a volées ? demanda-t-il sans dissimuler son inquiétude, persuadé qu’il aurait dû s’en débarrasser dans un poste de police.

— Non, ne vous affolez pas. Je vais tout vous expliquer...

Mais elle ne le fit pas et lui commençait à en avoir assez. II ne lui restait plus qu'à l'aider. À la lueur des réverbères, son regard de biche apeurée, les yeux tremblants, au bord des larmes, elle lui rappelait Kirsten ce soir-là.

— Merci, souffla-t-elle à son oreille en s’agrippant à son bras pour se soutenir.

Avant d’entrer dans l’immeuble, elle rehaussa son col pour couvrir au mieux sa blessure, puis sonna chez la gardienne. Karl avait préféré s’éloigner et avança au fond du hall, jusqu’au pied de l’ascenseur. Il les entendit chuchoter. À juste titre, la bonne femme semblait agacée par ce dérangement tardif. Étonnée par les blessures apparentes, elle commença à questionner la jeune femme, mais Éva avait déjà récupéré ses clés et partit aussitôt. Fouineuse, la gardienne pencha la tête à l’extérieur de sa loge et jaugea Karl. Une fois sa curiosité soulagée, elle disparut, non sans lui avoir lancé un regard empreint de dédain.

Tête baissée, sa main couvrant toujours sa blessure, Éva le rejoignit. À la voir si vulnérable, si fragile, il faillit l’entourer de ses bras.

— Une vraie commère ! grommela-t-elle à propos de la gardienne.

Il préféra arborer un air détaché et ne dit rien. Son comportement l’intriguait. Quelques secondes plus tôt, elle semblait si fragile et désemparée, maintenant elle paraissait enhardie.

— Vous avez l’habitude de sortir sans vos clés ? finit-il par demander pendant qu'ils montaient.

Elle ne répondit rien, fixant le regard ailleurs que sur son interlocuteur. D’un geste impérieux, tel un ordre silencieux, Éva lui tendit ses clés.

Un appartement de fille célibataire, pensa-t-il en pénétrant chez elle. Le paillasson en forme de chat lui fit craindre la présence d’une bête à poils, même s’il n’y avait pas d’odeur féline. L’absence d’irritation nasale le conforta. L’intérieur de ce cocon chaleureux était décoré sobrement avec des étagères affichant des bibelots hétéroclites. Une journaliste qui voyage aux quatre coins du monde ?

Il la suivit jusqu’à la salle de bains où elle osa enfin retirer le mouchoir de son visage meurtri. Elle gémit de douleur et de surprise. Son reflet sur la glace n’était pas beau à voir.

— Je vais m’en occuper, intervint-il, l’invitant à se mettre à l’aise.

Elle s’assit sur le rebord de la baignoire. Elle s’était déchaussée, mais se trouvait toujours enveloppée avec son pardessus.

— Vous n’avez pas chaud ? demanda-t-il d’un ton affable, pour la détendre, tandis qu’il se lavait les mains.

Au fur et à mesure que la mousse disparaissait sous le jet d’eau, l’absence de l’anneau en or blanc lui paraissait de plus en plus pesante. Dès qu’il finirait avec elle, il consulterait le SMS de Kirsten et répondrait aussitôt. D’habitude, il esquivait les nombreux messages qu’elle lui envoyait pour communiquer ses capricieux états d’âme. Mais cette fois-ci, la situation était différente. Il devait baliser le terrain avant de lui avouer qu’il avait égaré le symbole de leur union. Avec un peu de chance, il retrouverait son alliance, il gardait espoir. Du moins, il espérait pouvoir la remplacer avant son retour.

Il sécha ses mains, prit de quoi désinfecter la plaie, se tourna vers la jeune femme et la prévint que ça risquait de piquer. Soudain, il remarqua derrière elle un fil à linge d’où pendaient des délicats dessous en dentelle. Une bien jolie parure. De celles que Kirsten mettait plutôt pour se faire plaisir à elle que pour lui. Il ne put s’empêcher de rougir. Éva remarqua sa crispation, son changement d’attitude et esquissa un faible sourire. Elle se laissa faire pour le nettoyage et le pansement de sa blessure.

Après avoir terminé, il observa attentivement ses contusions devenues jaunâtres. Avec la lampe de son portable, il examina à nouveau ses yeux sans trouver rien d’inquiétant. Finalement, il pourrait partir aussitôt. Les explications n'étaient plus nécessaires. Dans cette histoire de vol et d'agression, il n'avait rien à faire.

— Restez avec moi, s’il vous plaît, supplia-t-elle comme si elle avait entendu ses pensées.

Le contrecoup du choc, se dit-il. En effet, ce serait peu professionnel, inhumain, de la laisser seule dans cet état.

Karl s’apprêtait à rentrer chez lui, éreinté par une longue nuit, un sommeil léger et des préoccupations. Il n’obtint aucun éclaircissement de la part de la jeune femme. Aucun propos cohérent ne sortit de sa bouche à part sa requête de ne pas la laisser seule, de s’asseoir à côté d’elle dans le lit. Elle avait fini par s'endormir, tête reposée contre son épaule. À proximité de ses cheveux, il huma son parfum, devinant cette petite note sucrée identique à celui de Kirsten. Celui qu'elle portait quand ils avaient commencé à sortir ensemble, fragrance abandonnée aussitôt que l’étudiante se métamorphosa en future mère. En pensant à sa femme, la curiosité le rattrapa, il se rappela son message. Il attendit le moment idéal pour se lever sans réveiller Éva. Quand il put le faire, la batterie de son portable était vide et il n’avait pas trouvé de chargeur compatible. Alors, comme un chien de garde, allongé sur le canapé du salon, les yeux braqués sur la porte d’entrée, il attendit que les heures passent.

Le lendemain, Éva se portait mieux. Il l'avait priée de consulter un médecin, provoquant son rire. Pour elle, c’était chose faite. Elle aurait voulu qu’il reste, il avait promit de la revoir, sans en avoir réellement l’intention.

Sur le chemin de retour, il rechargea son téléphone, découvrant une vingtaine d’appels de sa femme, moitié moins pour Aleksander. Quelle excuse lui donner pour les avoir ignorés ? Si cette aventure avec Éva n’était pas ponctuée de zones d’ombre, il aurait au moins pu en parler à Aleksander, pour se faire pardonner l’oubli de sa sacoche. Quant à sa femme, elle ne comprendrait jamais. Elle l’accablerait de reproches, de cris de rage et de préoccupation. « Tu étais où hier soir ? » Heureusement, elle n'était pas encore rentrée. Il pourrait gérer au téléphone, au calme, chez lui.

En montant dans l’ascenseur, il consulta les derniers SMS de Kirsten. Le plus récent avait été envoyé à 3 h. Un laconique « Tu es où ? » identique aux deux autres. Tant d’insistance ne présageait rien de bon. Il consulta la messagerie vocale, mais il n’eut pas de tonalité entre la cabine et le palier. Fugacement, il craignit qu'une urgence puisse concerner sa fille, même s’il n’avait pas reçu d’appel de l’internat.

Il obtint enfin la tonalité juste au moment d’insérer la clé dans la serrure. Et là, en poussant la porte il l’aperçut. Sa femme.

Kirsten avait la mine défaite. Le maquillage de la veille lui coulait de ses yeux rougis, paupières gonflées. Son regard afficha une pointe de soulagement suivi de préoccupation. Ses lèvres tremblaient, comme si elle hésitait quant aux mots à sortir de sa bouche. Des reproches, sûrement. « Où étais-tu hier soir ? »

Elle avait avancé son retour. Elle voulait lui faire la surprise, mais c’est elle qui l'avait eue, la surprise. Celle de découvrir qu’en son absence, son mari couchait ailleurs, portable éteint. Que ce doux parfum de violettes ne pouvait venir que d’une autre femme. Plus jeune ? Plus belle ? Qu’elle aurait pu lui laisser une chance, écouter ses explications, avaler ses excuses. Elle l'aurait cru même s’il lui racontait une histoire rocambolesque. Elle aurait tout pardonné, si elle n’avait pas constaté la pire preuve de sa trahison : cette alliance qu’il n’avait même pas pris la peine de remettre.

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