* Los Cabos *

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La brise marine frappait son visage tandis que ses pensées divaguaient au gré des vagues. Face à elle se trouvait l’horizon parsemé de petites embarcations et d’affreux paquebots de croisière. Elle tourna alors la tête pour apprécier une meilleure vue sur les falaises en granit, sompteux spectacle encadré par une magnifique arche naturelle entourée par la mer. « La plage des amoureux » l'appelait-on, selon les dires des autochtones. Elle tenait son nom d’une légende qui ne tarda pas à se perdre dans les méandres de son esprit, tant les versions différaient selon le conteur. Bel endroit pour un voyage de noces. Ils s’y étaient rendus en amoureux. Mais pour l’instant, son époux préférait profiter des fortes vagues dans la plage voisine ; elle portait une appellation plutôt curieuse : « La plage des divorcés ». Quelle idée !

Elle aspira une profonde bouffée d’air et l’odeur saline de la mer s’engouffra dans ses narines. Un tendre baiser vint se planter sur sa joue et elle découvrit son amoureux, les cheveux mouillés, ébouriffés. Sous un bras, il portait une planche de skimboard, et il tendit l'autre pour attraper sa main.

— Ça va ? Tu t’ennuies ? lui demanda-t-il, plantant un autre baiser, cette fois-ci sur sa bouche, l’empêchant de répondre.

Non, elle ne s’ennuyait pas. De toute façon, elle savait qu’elle ne pourrait pas le suivre dans ses activités. Tous ces sports nautiques ne l’intéressaient pas. De plus, vu son état, il les lui aurait déconseillés. D’ailleurs, c’était plus ou moins ce qu’il avait fait, en décrétant qu’elle ne devrait même pas faire du snorkeling. Il avait raison sûrement, il voulait la protéger. Quand bien même, il l'abandonnait pour assouvir ses envies d’adrénaline.

Elle aurait aimé profiter du voyage toujours près de lui. À se délecter l'un de l'autre pour le peu de temps qui leur restait. Bien que son ventre n’affichât pas encore de trace de la vie qu’elle portait, elle appréhendait déjà les inexorables changements sur son corps. Et cela la tracassait, parmi d'autres tourments. Elle se blâmait d’avoir tenu à dissimuler cette grossesse surprise.

Égoïstement, elle avait aussi pensé à y mettre fin. Mais ce fut l’amour, le sauveur de cette petite créature. L’amour que Kirsten portait à Karl. Elle l’aimait de tout son cœur et voulait vivre toute sa vie avec lui sans secret ni mensonge.

Lorsqu’elle lui avait annoncé la nouvelle, il avait été si heureux qu’il l’avait aussitôt demandée en mariage. À quoi bon attendre ? s'était-il justifié. Quoi qu'il en soit, pour elle, sa vie s’arrêtait avec ce corps en métamorphose. Une page se tournait. Adieu à sa jeunesse. Ils ne seraient plus le couple universitaire partageant une colocation à Innsbruck. Enfin, pour lui rien ne changerait, ses études n'étaient pas compromises. Quant à elle, optimiste, elle souhaitait laisser passer une année afin de gérer au mieux cette future naissance ; elle, qui se voyait autrement que mère et femme au foyer.

— À quoi tu penses ? s’enquit-il, lâchant sa main pour l’entourer de son bras.

Ils se mirent à marcher sur le sable tandis qu’elle profitait au maximum de ces instants. Elle adorait être prise dans ses bras, elle se sentait systématiquement à l’abri de l’adversité, même de ses propres démons. Elle leva les yeux vers lui et, éblouie, mit sa main en visière pour admirer, heureuse, sa peau hâlée par le soleil mexicain.

— Ça va ? insista-t-il, en se penchant pour chuchoter à son oreille.

Elle secoua la tête avec un grand sourire et lui fit signe de continuer leur promenade aux limites du continent, jusqu’aux portes de l’océan Pacifique. À la vue de l’arche rocheuse, elle soupira et répondit enfin :

— Cet endroit est magnifique !

— N’est-ce pas ? Veux-tu qu’on s’y installe ?

— Tu crois que je pourrais ouvrir une galerie d’art ici ?

Karl sourit discrètement. Un sourire canaille dont elle commençait à avoir l’habitude. Il se gardait de beaucoup de choses, surtout s’il s’agissait d’une remarque sarcastique et il esquissait à chaque fois ce même sourire. Alors, elle imaginait des choses. Qu’allait-il dire ? Qu’il confondait une galerie d’art avec un magasin de souvenirs ? Ses délires et fausses idées la portèrent loin, plus qu’il n’en fallait. Sa réponse à lui finit par la rassurer.

— Je t’accompagnerai où que tu veuilles aller, promit-il en l’embrassant à nouveau, posant délicatement la paume sur son ventre. Si j’ai le droit de te regarder tous les jours te promener en bikini rouge.

Elle s'esclaffa, plus d'amertume que de gaieté. Il rit aussi.

— Profite tant que tu peux, car je serai bientôt difforme !

— Tu n’as qu’à faire attention, gloussa-t-il, coquin, puis il reprit un air sérieux et la fixa dans les yeux. Kirsten, tu seras toujours belle pour moi. Ce bébé c’est le fruit de notre amour.

De ses deux mains, elle lui attrapa la sienne et la porta à ses lèvres. À quoi bon se casser la tête ? Il avait raison, il fallait uniquement penser au bébé, au diable son corps et ses angoisses.

— Tu préfères une fille ou un garçon ? lui demanda-t-elle.

— Une petite princesse ?

*

Aéroport international de Newark-Liberty, New Jersey, Etats-Unis

13 février 2012

Les souvenirs lointains de leur voyage de noces avaient envahi l'esprit de Kirsten. La destination affichée à l'écran n'y était pas étrangère. Alors qu'elle recherchait son vol, un nom avait surgi parmi d'autres : Los Cabos. Elle fut étonnée de revivre ces instants perdus dans sa mémoire, ensevelis par le temps, la lassitude et les rancunes.

Tel un automate, elle avait miraculeusement atteint le hall d’attente grâce à la main salutaire de Scott. Tous ces souvenirs, aussi beaux fussent-ils dans leur temps, faisaient désormais partie du passé. Tous, sauf sa fille.

L'angoisse de ne plus avoir de ses nouvelles avait été momentanément anesthésiée par cette réminiscence. Revenue à la réalité, sa douleur ressurgit brusquement. Machinalement, elle prit son téléphone portable pour parcourir l’historique d’appels. Son inquiétude augmentait à chaque communication laissée sans réponse. Que pouvait-il se passer pour que tous les deux l'ignorent ? Quelque chose de grave, sans aucun doute.

Soudain, son appareil se mit à vibrer. Surprise, elle vit un nom s’afficher à l’écran.

Karl.

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